SI L’ON S’INTÉRESSE au domaine hispanique, l’adjectif quantique apparaît comme épithète pour désigner des formes artistiques diverses. Plus encore, il est le fer de lance d’une association internationale créée à Grenade en 1994, le Salon des Indépendants. Un des co-fondateurs, Gregorio Morales, journaliste et écrivain, a ainsi publié en 1998 un essai intitulé LE CADAVRE DE BALZAC. UNE VISION QUANTIQUE DE LA LITTÉRATURE ET DE L’ART. Si le théâtre quantique est relativement peu abordé dans cet ouvrage, il est revendiqué par l’une des figures majeures du théâtre hispanique contemporain, José Sanchis Sinisterra, et l’adjectif quantique est souvent associé à des œuvres postmodernes telles que PERDUE DANS LES APPALACHES, JOUET QUANTIQUE de José Sanchis Sinisterra (1991) ou encore LE TEMPS DE PLANCK de Sergi Belbel (2002) 1.
L’article proposé ici s’appuiera sur un texte court du dramaturge espagnol Raúl Hernández Garrido, PARTÍCULAS ELEMENTALES. Si le titre, hommage au roman de Michel Houellebecq et renvoi explicite à l’univers de la physique quantique, pourrait suffire à justifier notre intérêt pour cette pièce, la personnalité de l’auteur y contribue aussi. Dramaturge, réalisateur, celui-ci a aussi passé une licence de Sciences Physiques pour « connaître à fond les théories physiques et pouvoir les utiliser dans la littérature ». Et d’affirmer :
« mon premier maître à penser dans cette voie fut Pinter, mais, ensuite, j’ai découvert les fragments de WOYZECK… et tout est là : les particules, les probabilités et l’impossibilité de fixer l’objet de Schrödinger, les indéterminations d’Heisenberg, l’intervention de l’observateur comme déterminant physique, etc. » 2
C’est cette imbrication, clairement revendiquée, entre art et science que nous allons rapidement explorer, à un double niveau : le monde des sciences comme matériau dramaturgique et la possibilité d’une lecture quantique du texte produit.
La science comme matériau scénique
Dès le paratexte, l’importance de la science comme matériau scénique dans la pièce de Raúl Hernández Garrido saute aux yeux, des particules élémentaires évoquées par le titre au nom des personnages – Gauss et Bernoulli. Le nom des personnages, accessible au seul lecteur (les personnages ne s’interpellent jamais par leurs noms respectifs), doit influencer l’interprétation de la pièce par le lecteur ou les praticiens. Le dramaturge lance ici une piste pour le moins paradoxale : il y a de prime abord contradiction entre un titre qui évoque la physique quantique et des personnages dont les noms renvoient, eux, à la physique classique… Cette contradiction est encore soulignée par des costumes et des décors futuristes :
« Intérieur d’une sphère métallique creuse. Au centre, une grande machine. Un homme et une femme, vêtus de combinaisons métallisées et moulantes qui servent à masquer la différence sexuelle plus qu’à la souligner.
La femme, Bernoulli, pose sur la tête de l’homme, Gauss, un casque couvert de câbles et de connecteurs de taille et de couleur très diverses, de LEDs s’allumant et s’éteignant nerveusement… (I)» 3