Une histoire consistante

Théâtre
Réflexion

Une histoire consistante

Le 14 Déc 2009
Les participants au congrès Solvay de 1911: Assis (de g. à dr.): Walther Nernst, Marcel Brillouin, Ernest Solvay, Hendrik Lorentz, Emil Warburg, Jean Baptiste Perrin, Wilhelm Wien, Marie Curie et Henri Poincaré. Debout (de g. à dr.): Robert Goldschmidt, Max Planck, Heinrich Rubens, Arnold Sommerfeld, Frederick Lindemann, Maurice de Broglie, Martin Knudsen, Friedrich Hasenöhrl, Georges Hostelet, Édouard Herzen, James Jeans, Ernest Rutherford, Heike Kamerlingh Onnes, Albert Einstein, et Paul Langevin. Hôtel Métropole de Bruxelles. Photo D. R.
Les participants au congrès Solvay de 1911: Assis (de g. à dr.): Walther Nernst, Marcel Brillouin, Ernest Solvay, Hendrik Lorentz, Emil Warburg, Jean Baptiste Perrin, Wilhelm Wien, Marie Curie et Henri Poincaré. Debout (de g. à dr.): Robert Goldschmidt, Max Planck, Heinrich Rubens, Arnold Sommerfeld, Frederick Lindemann, Maurice de Broglie, Martin Knudsen, Friedrich Hasenöhrl, Georges Hostelet, Édouard Herzen, James Jeans, Ernest Rutherford, Heike Kamerlingh Onnes, Albert Einstein, et Paul Langevin. Hôtel Métropole de Bruxelles. Photo D. R.

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Les participants au congrès Solvay de 1911: Assis (de g. à dr.): Walther Nernst, Marcel Brillouin, Ernest Solvay, Hendrik Lorentz, Emil Warburg, Jean Baptiste Perrin, Wilhelm Wien, Marie Curie et Henri Poincaré. Debout (de g. à dr.): Robert Goldschmidt, Max Planck, Heinrich Rubens, Arnold Sommerfeld, Frederick Lindemann, Maurice de Broglie, Martin Knudsen, Friedrich Hasenöhrl, Georges Hostelet, Édouard Herzen, James Jeans, Ernest Rutherford, Heike Kamerlingh Onnes, Albert Einstein, et Paul Langevin. Hôtel Métropole de Bruxelles. Photo D. R.
Les participants au congrès Solvay de 1911: Assis (de g. à dr.): Walther Nernst, Marcel Brillouin, Ernest Solvay, Hendrik Lorentz, Emil Warburg, Jean Baptiste Perrin, Wilhelm Wien, Marie Curie et Henri Poincaré. Debout (de g. à dr.): Robert Goldschmidt, Max Planck, Heinrich Rubens, Arnold Sommerfeld, Frederick Lindemann, Maurice de Broglie, Martin Knudsen, Friedrich Hasenöhrl, Georges Hostelet, Édouard Herzen, James Jeans, Ernest Rutherford, Heike Kamerlingh Onnes, Albert Einstein, et Paul Langevin. Hôtel Métropole de Bruxelles. Photo D. R.
Article publié pour le numéro
Couverture du numéro 102-103 - Côté Sciences
102 – 103

LA DÉMARCHE dite aris­totéli­enne con­siste à analyser des textes dra­ma­tiques exis­tants pour en extraire un mod­èle général et cod­i­fi­er les sys­tèmes dra­maturgiques — sorte de moule qu’un auteur peut employ­er pour des réc­its à venir.

L’élaboration de sys­tèmes dra­maturgiques peut se fonder sur une autre démarche basée, non plus sur l’analyse des textes et de leur fonc­tion­nement, mais bien sur l’environnement dans lequel l’auteur agit : la réal­ité et sa per­cep­tion.

Écrire une pièce de théâtre con­siste dès lors à créer un sys­tème dra­maturgique déduit de la nature de la réal­ité (plus pré­cisé­ment la per­cep­tion de la réal­ité) pour un dis­posi­tif spé­ci­fique. Ce dis­posi­tif étant l’endroit choisi dans lequel le sys­tème dra­maturgique doit pou­voir fonc­tion­ner (une salle de théâtre, une salle de ciné­ma, une instal­la­tion, etc.).

Si nous voulons trans­pos­er la nature de la réal­ité en un sys­tème dra­maturgique, nous devons pre­mière­ment savoir de quelle réal­ité il s’agit. Celle-ci, depuis Pla­ton, depuis que l’être humain s’est sous­trait de la réal­ité afin de « l’observer » et de l’analyser, a tou­jours été « prob­lé­ma­tique ».

Aujourd’hui, elle recou­vre de nom­breuses appel­la­tions : réal­ité virtuelle, cyber­réal­ité, hyper­réal­ité, réal­ité par proxy, ready-made réal­ité, réal­ité simulée et Dis­ney World.

Nous nous éloignons d’une cer­taine cohérence de la réal­ité, dev­enue ambiguë, dif­fi­cile à nom­mer, à décoder. Com­pren­dre les mécan­ismes de son fonc­tion­nement est devenu une entre­prise très com­plexe.

Sans compter que la réal­ité est régulière­ment manip­ulée de sorte que nous nous deman­dons par­fois si cer­tains événe­ments présen­tés comme réels ont « réelle­ment » eu lieu.

La réal­ité d’un champ de bataille nous parvient par la représen­ta­tion que les mass médias en font. La guerre du Golfe (1990 – 1991) a trou­vé sa spé­ci­ficité visuelle dans ce qui ressem­blait à un jeu vidéo, une guerre qui se voulait « pro­pre », où l’information était métic­uleuse­ment fil­trée par les mil­i­taires et où en fin de compte, plus per­son­ne ne savait ce qui se pas­sait exacte­ment sur le champ de bataille. S’il faut en croire le soci­o­logue et philosophe français Bau­drillard, il est tout à fait accept­able d’admettre que la guerre du Golfe n’a jamais eu lieu. Et main­tenant que cette guerre est ter­minée, nous pou­vons « par­ler de » ou nous référ­er à ce non-événe­ment.

Dix ans plus tard, l’attaque des tours jumelles con­sis­tait non seule­ment en une attaque con­tre les États-Unis mais égale­ment en une attaque con­tre cette réal­ité de jeux vidéo ; le réal­isme de l’événement même, des avions emboutis­sant les deux tours, a mis à mal le sen­ti­ment de cette réal­ité d’une guerre « pro­pre ». S’il faut en croire à nou­veau Bau­drillard, la tac­tique du mod­èle ter­ror­iste con­sis­tait à provo­quer un excès de réal­ité afin de détru­ire le sys­tème.

D’autre part il sem­ble qu’à côté de la réal­ité « réelle » une autre réal­ité, virtuelle, s’affirme comme une réal­ité en soi. « Sec­ond life » en est un exem­ple ; le monde financier en est un autre. Dans un envi­ron­nement équipé de GSM, de modems et d’ordinateurs, une banque de Wall Street peut racheter, scinder et reven­dre virtuelle­ment une société et réalis­er « réelle­ment » de gros prof­its. Pour Wall Street, la réal­ité sociale et humaine importe peu. Seuls les mil­lions de dol­lars voy­ageant dans la réal­ité virtuelle impor­tent, et même si un excès de réal­ité, comme la crise actuelle, vient la heurter, cela ne sem­ble pas la per­turber out­re mesure.

Au XVI­Ie siè­cle, Descartes avait lancé l’idée que la réal­ité pou­vait être trans­posée en for­mules math­é­ma­tiques. Ain­si fut fait. À par­tir de New­ton la réal­ité fu t décrite en ter­mes abso­lus et qu’il y ait ou pas un obser­va­teur ne changeait rien à la nature de la réal­ité. Cette démarche a atteint son point cul­mi­nant au XVI­II-XIXe siè­cle, lorsque Laplace trou­va la rela­tion uni­voque entre le passé, le présent et le futur (- avec suff­isam­ment de don­nées, nous pou­vons, non seule­ment prévoir l’avenir, mais aus­si recon­stituer un passé).

Ces décou­vertes sci­en­tifiques ont eu pour résul­tat que la réal­ité fut décrite et perçue de manière déter­min­iste, selon un principe strict de cause à effet. La réal­ité était uni­forme, sim­ple, mécanique. Cette approche attribuait une posi­tion priv­ilégiée à l’ordre et à la sta­bil­ité et entrete­nait une rela­tion uni­voque entre le passé et le futur.

De cette approche de la réal­ité découla une nou­velle vision du monde qui rendait les humains moins dépen­dant des dieux et de forces naturelles ; l’homme pou­vait se forg­er une représen­ta­tion moins aléa­toire du monde : un monde fonc­tion­nant comme une gigan­tesque hor­loge, soumis à des lois prévis­i­bles et immuables. De ces con­cep­tions new­toni­ennes naquit un monde où chaque événe­ment sur­gis­sant était déter­miné par des con­di­tions antérieures, iden­ti­fi­ables de manière pré­cise. C’était une vision du monde mécan­iste où le hasard ne tenait aucun rôle, et dans laque­lle tous les élé­ments s’intégraient par­faite­ment les uns aux autres.

Au XIXe siè­cle, la quête de « soi », de « l’âme d’un peu­ple » se nour­rit entière­ment du déter­min­isme, qui, procu­rant une cer­ti­tude absolue quant à l’existence et la per­cep­tion de la réal­ité, provo­qua une infla­tion du « moi ». L’homme, l’individu, gagna en impor­tance, il devait pour­suiv­re des idéaux ain­si que des valeurs morales élevées.

C’est aus­si au cours de ce siè­cle, par ailleurs, que la politesse, les bonnes manières à l’égard de la femme sont apparues en Europe. L’homme est cen­sé ouvrir la porte devant elle, les aider à met­tre leur man­teau et à s’asseoir sur une chaise. (Cette cour­toisie ne s’explique pas unique­ment par des valeurs morales, mais plus prosaïque­ment par le fait que les femmes, com­primées par leurs corsets étaient affaib­lies). Ces corsets don­naient à la femme une forme supra humaine. Elle devint un objet pres­tigieux, se retrou­va sur un piédestal que l’homme était sup­posé aduler. Aus­si bien l’homme que la femme dev­in­rent des « créa­tions ».

Le cinquième Conseil international Solvay, en octobre 1927
à l’Institut International de Physique Solvay, Parc Léopold de Bruxelles. Participants: A. Piccard, E. Henriot, P. Ehrenfest, Ed. Herzen, Th. de Donder, E. Schrödinger, E. Verschaffelt, W. Pauli, W. Heisenberg, R.H. Fowler, L. Brillouin, P. Debye, M. Knudsen, W.L. Bragg, H.A. Kramers, P.A.M. Dirac, A.H. Compton, L. de Broglie, M. Born, N. Bohr, I. Langmuir, M. Planck, M. Curie, H.A. Lorentz, A. Einstein, P. Langevin, Ch. E. Guye, C.T.R. Wilson, O. W. Richardson. Photo Benjamin Couprie.
Le cinquième Con­seil inter­na­tion­al Solvay, en octo­bre 1927 à l’Institut Inter­na­tion­al de Physique Solvay, Parc Léopold de Brux­elles. Par­tic­i­pants : A. Pic­card, E. Hen­ri­ot, P. Ehren­fest, Ed. Herzen, Th. de Don­der, E. Schrödinger, E. Ver­schaf­felt, W. Pauli, W. Heisen­berg, R.H. Fowler, L. Bril­louin, P. Debye, M. Knud­sen, W.L. Bragg, H.A. Kramers, P.A.M. Dirac, A.H. Comp­ton, L. de Broglie, M. Born, N. Bohr, I. Lang­muir, M. Planck, M. Curie, H.A. Lorentz, A. Ein­stein, P. Langevin, Ch. E. Guye, C.T.R. Wil­son, O. W. Richard­son. Pho­to Ben­jamin Cou­prie.

Ce n’est pas non plus par hasard si au dix-neu­vième siè­cle, un nou­veau genre lit­téraire appa­raît : le roman polici­er. Par­tant d’une énigme, l’auteur essaie de l’élucider jusque dans ses moin­dres détails. Edgar Allen Poe avec THE MURDERS IN THE RUE MORGUE (1841) et Wilkie Collins avec MOONSTONE (1868) en sont les précurseurs. Plus tard vien­dra Conan Doyle avec STUDIES IN SCARLET (1887). Dans cer­tains cas, il s’agit de pro­pos­er l’énigme ultime – comme celle que l’on trou­ve dans le roman LE MYSTÈRE DE LA CHAMBRE JAUNE (1908) de Gas­ton Ler­oux. Une ten­ta­tive de meurtre est com­mise dans une pièce dont la porte est fer­mée à clef de l’intérieur tout comme les volets de l’unique fenêtre. Les sec­ours arrivent très rapi­de­ment mais l’assassin sem­ble s’être envolé, alors qu’il est impos­si­ble qu’il ait pu s’échapper de la pièce. Tout au long de l’histoire, le détec­tive (Rouletabille) essaie d’élucider le mys­tère. Les per­son­nages de ces romans policiers ont sou­vent un passé trou­ble et lourd qui ressur­git et trou­ve place dans le mobile.

Ce qui est remar­quable dans ces romans, c’est la logique éton­nam­ment déter­min­iste qui y est appliquée, une obser­va­tion prodigieuse qui per­met par exem­ple de con­clure, à par­tir de la façon de marcher d’un per­son­nage, l’endroit d’où il vient ou la chose à laque­lle il pense.

Si l’on exam­ine égale­ment les descrip­tions de plusieurs pages d’auteurs tels que Mar­cel Proust ou Gus­tave Flaubert, dans lesquelles cer­taines sit­u­a­tions, décors, per­son­nages sont décrits métic­uleuse­ment, cela donne égale­ment une indi­ca­tion de l’emprise qua­si illim­itée que l’homme du dix-neu­vième siè­cle pen­sait avoir sur la réal­ité.

Au début du siè­cle dernier, le pein­tre Cézanne déclara que la réal­ité ne pou­vait être représen­tée ; selon lui seule la per­cep­tion de la réal­ité pou­vait l’être.

À la même époque, les pre­miers principes de la mécanique quan­tique sont élaborés, pour aboutir finale­ment aux mêmes con­clu­sions que celles de Cézanne. Pour la pre­mière fois dans l’histoire, l’art et la sci­ence arrivent au même type de con­clu­sion quant à la réal­ité.

Avec le pein­tre Cézanne et les sci­en­tifiques Heisen­berg et Bohr, les fon­da­teurs de la mécanique quan­tique, une nou­velle approche de la réal­ité voit le jour.

Selon cette sci­ence, il est tout à fait impos­si­ble de décrire la réal­ité en ter­mes abso­lus et l’observation agit sur l’objet observé. La prob­a­bil­ité est la seule descrip­tion que l’on puisse don­ner de la réal­ité.

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Paul Pourveur
Paul Pourveur est scénariste et dramaturge. Parfait bilingue, il écrit aussi bien en néerlandais qu’en...Plus d'info
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