ÉTAIT-IL INTELLIGENT ? Certes. Était-il sérieux ? Réfléchi, oui, mais sérieux ce n’était pas son genre… Était-il ivre, ou furieux, lorsqu’il disait et écrivait des choses aussi… drastiques ? Comme les buveurs d’absinthe, entre les deux, ça dépendait des circonstances et des heures mais, vous savez, son absinthe, il la coupait avec des gouttes d’encre rouge…
J’aimerais qu’à un éventuel tribunal pénal international des crimes contre le public de théâtre (le TPICCPT) on m’interroge, un jour, sur les grands casseurs de la dramaturgie, et au premier chef sur un ami que je n’ai pas connu et à qui je veux du bien… Vous savez, monsieur le procureur, je dirais, il est mort trente-sept ans avant ma naissance le type qui vous intéresse, mort d’une cirrhose en 1907 et nous partageons la date pour moi inaugurale et pour lui finale du premier novembre, la Toussaint ; ça rapproche ces détails-là, je ne sais pas si vous me comprenez…?
Ne nous éloignons pas du sujet. Voilà. Ce monsieur, votre ami, dans La Revue blanche du 1er janvier 1897, il a donc alors vingt-trois ou vingt-quatre ans, a bel et bien écrit ceci, que je cite : « c’est parce que la foule est une masse inerte et incompréhensive qu’il la faut frapper de temps en temps, pour qu’on connaisse à ses grognements d’ours où elle est, où elle en est »? Oui, exactement. N’est-ce pas une incitation à la violence ? Non. C’est une simple constatation…
Il me faudrait pour que ce tribunal le comprenne, le cher disparu, donner un cours sur la bourgeoisie de la Troisième République, celle d’avant la Belle Époque qui allait entendre Molière et Racine à la Comédie-Française uniquement parce qu’ils y étaient joués de façon continue, ce qui rassure… Je leur dirais que pour l’accusé il n’y avait aucun doute dans son esprit : ces ours-là n’entendaient rien à ce qu’on leur jouait même si on jouait très appuyé, il était persuadé que la substance, l’«âme du supérieur » comme il disait, leur échappait…