Il est certain que le théâtre est une méprise – un solécisme perpétuel au milieu de notre art d’aujourd’hui.
Maurice Maeterlinck (agenda du 7 février 1890).
À QUOI SERT MAETERLINCK ? La question n’aurait sans doute rien eu d’incongru il y a moins de cinquante ans. Lorsqu’il meurt à Nice en mai 1949, l’écrivain est déjà à peu près oublié, malgré son prix Nobel (en 1911) et malgré la renommée incroyable qu’il a connue jusqu’aux années 30. Il n’est plus considéré, ainsi qu’un quotidien le clame sans gêne, que comme le « librettiste » du PELLÉAS de Debussy – l’opéra de 1902 qui, loin de connaître semblable traversée du désert, éclipse donc presque insolemment la pièce de 1893 que le compositeur n’a fait que mettre en musique. De tels purgatoires, ou oublis purs et simples, ne sont rares ni dans l’histoire des lettres, ni dans celle du théâtre. Qui plus est, Maeterlinck lui même paraît avoir tout fait pour faciliter la tâche de ses fossoyeurs : posture augurale et multiplication des œuvres pseudo-philosophiques et pseudo scientifiques, palinodie radicale et reniement d’une bonne partie des textes antérieurs à 1900 – ceux-là mêmes qui avaient attirés l’attention sur lui. L’étonnant dans ce destin littéraire, c’est la façon dont à partir des années 1980, on s’aperçoit que l’ensemble de ses pièces dites « symbolistes »1 n’a cessé de travailler souterrainement le théâtre qui les a suivies. Tout se passe comme si le Maeterlinck du XIXe siècle s’imposait au XXe voire au XXIe siècles avec la même force que le Maeterlinck du XXe siècle semble parfois relever de l’esthétique passéiste du XIXe bourgeois. Paradoxal en plus d’un point, le parcours scénique des œuvres de Maeterlinck l’est, plus précisément, par le refus catégorique du théâtre que l’écrivain revendique à ses débuts, partageant la méfiance mallarméenne pour tout ce qui risque d’avilir le Poème ou le Livre : Hamlet est mort pour nous, le jour où nous l’avons vu mourir sur la scène ; le spectre d’un acteur l’a détrôné et nous ne pouvons plus écarter du palais l’usurpateur de nos rêves ; ouvrez les portes, ouvrez le livre, le prince antérieur ne revient plus ; parfois son ombre passe encore un moment sur le seuil, mais désormais il n’ose plus, il ne peut plus entrer, et toutes les voix sont mortes qui l’acclamaient en nous. 2