Heureux qui comme Ariane a fait un beau voyage…
LA NOUVELLE CRÉATION du Soleil1 est assurément le « Fol Espoir » d’un théâtre qui s’accroche à l’aventure, d’un théâtre embarqué comme un navire des mois durant dans un fabuleux voyage. Celui d’une équipée militante qui retranche le re- des répétitions et des représentations, préférant la présentation d’un travail et les pétitions vivantes. Un théâtre qui s’autorise à retarder la date de la première, autant de fois que le nécessiteront les mouvements de la mer aux roulis incertains.
Ariane Mnouchkine accueillait les spectateurs aux ultimes répétitions et premiers filages en s’excusant des malentendus possibles… Le « pas fini » peut se confondre avec le « pas bien»… « l’essai » avec « l’erreur»… Quel malentendu ?
Un vrai bonheur que ce malentendu-là !
Ariane Mnouchkine, en demandant lors d’un filage, à la poignée de spectateurs présents, de bien vouloir continuer à parler, alors qu’assise à sa table de régie au milieu des gradins, elle règle les derniers instants avant l’embarquement, cette requête marque combien le brouillage sonore procuré par le public présent est rassurant et inquiétant à la fois. C’est le signe de la rencontre sur le quai d’embarquement, celui des retrouvailles, mais aussi celui où l’on peut encore se décider à partir ou non. « Certains diront que c’est un privilège, d’autres le vivront comme une épreuve. Une chose est sûre. Celles et ceux qui n’ont jamais supporté l’idée d’assister à un accouchement doivent rentrer chez eux et revenir une fois l’enfant lavé » prévient Ariane Mnouchkine.
Le spectateur ne sait pas qu’il va s’embarquer dans une folle aventure qui s’éloigne certes de la ligne d’horizon attendue dans un certain théâtre contemporain, mais qui résonne d’une histoire du théâtre. Est-ce un hasard si la première entrée dans la fiction passe par celle d’une thésarde à la recherche des traces du travail de son ancêtre sur « l’Art, le Cinéma et l’Éducation Populaire » ? Est-ce là le programme d’un temps révolu ?
Et pourtant ce passé d’artistes, militants défenseurs des valeurs humanistes d’un autre âge, va s’animer devant nous et nous embarquer à bord du « Fol Espoir ».
La foi dans le bonheur, le progrès et la générosité envers son prochain, sera le credo de l’équipage comme il est celui des partisans du Théâtre du Soleil, leur Espoir insensé. Un brin désuets comme les souvenirs d’enfance réactivés entre frères, les naufragés du Fol Espoir n’en sont pas moins touchants. La sincérité de ces pionniers émeut, leur naïveté touche, leur enthousiasme convainc et leur élan emporte.
Le cadre est placé, le ton est donné, on les suit et l’on s’embarque dans une vertigineuse mise en abyme du théâtre. Ariane Mnouchkine aux commandes, le navire nous plonge quatre heures durant dans des aventures qui semblent sortir les unes des autres. Avec l’équipage, nous remontons dans le temps et nous nous perdons aux confins du monde. Mais c’est pour mieux entendre parler de notre époque et de notre futur, de notre responsabilité et de celle de l’art dans cette re-conquête de l’Humanité perdue.
Magie du grenier
Et quoi de mieux qu’un grenier pour croire encore au pouvoir de l’art et du théâtre ?
Le grenier de l’enfance, celui des malles pleines de costumes et de décors pour spectacles « bouts de ficelle » dont l’artifice est si fort qu’il fait illusion. C’est là que la troupe nous emmène, dans le grenier d’une guinguette, « Le Fol Espoir », tandis qu’en bas, le peuple se détend et que la fête bat son plein au son du limonaire.
Un refuge et un filtre aux bruits du monde qui grondent et finissent par rattraper la fiction. Nous sommes le 29 juin 1914, époque de Fol Espoir dans les promesses du progrès, mais que la bêtise et le nationalisme fauchent sur leur passage. L’assassinat de François-Ferdinand sonne le glas : le feu monte jusqu’au grenier tandis que l’art du cinématographe et la caméra s’érigent en arme contre la guerre, la convoitise, le pouvoir de l’argent et l’ambition.
« Gabrielle, tourne la manivelle ! »