Montée du noir vers le blanc, puis au zénith de midi

Entretien
Théâtre

Montée du noir vers le blanc, puis au zénith de midi

Entretien avec Stéphanie Daniel réalisé par Isabelle Dumont

Le 26 Nov 2012
Véronique Dumont dans LE TERRITOIRE, écriture et mise en scène Martine Wijckaert. Photo Danièle Pierre.
Véronique Dumont dans LE TERRITOIRE, écriture et mise en scène Martine Wijckaert. Photo Danièle Pierre.

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Véronique Dumont dans LE TERRITOIRE, écriture et mise en scène Martine Wijckaert. Photo Danièle Pierre.
Véronique Dumont dans LE TERRITOIRE, écriture et mise en scène Martine Wijckaert. Photo Danièle Pierre.
Article publié pour le numéro
Couverture du numéro 115 - Martine Wijckaert - La Balse
115

ISABELLE DUMONT : Com­ment a démar­ré votre col­lab­o­ra­tion avec Mar­tine Wijck­aert ?

Stéphanie Daniel : En 1989, Mar­tine avait tra­vail­lé sur LE PLUS HEUREUX DES TROIS de Labiche avec un éclairag­iste qui s’appelait Hervé Audib­ert. Elle lui avait égale­ment pro­posé de créer les lumières de son spec­ta­cle suiv­ant, LES CHUTES DU NIAGARA, en 1992, mais au dernier moment, Hervé a eu un empêche­ment et a pen­sé à moi (je venais juste de ter­min­er un spec­ta­cle sur lequel j’avais été son assis­tante, spec­ta­cle dans lequel jouait égale­ment le frère de Valérie Jung, la scéno­graphe de Mar­tine). Hervé a par­lé de moi à Mar­tine, relayé par les pro­pos bien­veil­lants de Math­ias, le frère de Valérie. À quinze jours de la pre­mière, Mar­tine me con­tac­tait et me pro­po­sait la con­cep­tion lumière de son spec­ta­cle !

C’était la pre­mière fois que quelqu’un m’appelait en tant qu’éclairagiste sans même me con­naître, j’étais donc flat­tée et… quelque peu stressée. Mar­tine est venue me chercher à la gare et, pen­dant une heure trente env­i­ron, elle m’a racon­té le spec­ta­cle, son con­cept, ses envies. Ceux qui la con­nais­sent savent qu’elle a une façon bien par­ti­c­ulière de s’exprimer et com­pren­dront mon désar­roi : je restais stoïque et j’acquiesçais, mais j’étais ter­ror­isée car je ne com­pre­nais rien à ce qu’elle me racon­tait !

J’ai, par la suite, assisté à un filage et j’ai rac­cordé les fils. Le tra­vail a pu com­mencer : dix jours et dix nuits non-stop ! On en rigole encore main­tenant…

I. D.: Écrivant sur les débuts de son par­cours (entre 1974 et 1980), Mar­tine livre ceci sur son site inter­net : « La matière, la con­sis­tance de la matière ont fondé ma façon de faire, à mon corps défen­dant, de même que l’incidence directe de la lumière naturelle sur le cours de la représen­ta­tion. Cette préoc­cu­pa­tion ne me quit­tera plus jamais. » Je me sou­viens ain­si d’avoir vu en 1986 sa ver­sion de ROMÉO ET JULIETTE de nuit, le spec­ta­cle finis­sant au moment où la lumière du jour envahis­sait le plateau…

S. D.: Les spec­ta­cles sur lesquels j’ai tra­vail­lé avec Mar­tine ont tou­jours été créés dans une « boîte noire », sans aucun lien avec la tem­po­ral­ité naturelle. Dans NATURE MORTE, toute­fois tout le tra­vail a été de chercher à repro­duire une lumière naturelle qui évolue avec le jour. Je pense que c’est la seule créa­tion où la con­science à repro­duire quelque chose de réel était forte. C’est la pre­mière fois où j’ai cher­ché vrai­ment à restituer une « vérité » lumineuse. Dans les autres spec­ta­cles, ce sont plutôt des sen­sa­tions, des impres­sions que je cherche à repro­duire même si elles font tou­jours référence à une cer­taine tem­po­ral­ité.

Le seul spec­ta­cle avec un lien extérieur a été MADEMOISELLE JULIE : les fenêtres étaient ouvertes, en rela­tion directe avec la vraie nuit extérieure ; mais une fausse lune appa­rais­sait et tout était imagé, sans repro­duc­tion réelle… Le vrai avait été volon­taire­ment trans­for­mé en faux alors que dans NATURE MORTE, tout le tra­vail a été de chercher à repro­duire une lumière, on essayait de trans­former le faux en vrai.

I. D.: Mar­tine a donc des souhaits très con­crets au niveau de la lumière ?

S. D.: Oui, avant de com­mencer elle a déjà des images et des envies pré­cis­es, autant sur la scéno­gra­phie que sur la lumière. La con­struc­tion de ses spec­ta­cles est vrai­ment liée aux mou­ve­ments de la lumière naturelle, celle du soleil, de la lune, sans compter les éclipses, les éclairs et autres phénomènes météorologiques lumineux… C’est un cadeau pour un con­cep­teur lumière. Tout mon tra­vail con­siste à com­pren­dre et à inter­préter ses désirs et à les pren­dre à ma charge, en y appor­tant quelque chose de plus ou de dif­férent selon les prob­lèmes tech­niques, ma pro­pre sen­sa­tion ou selon l’avancée du pro­jet. Cela peut paraître frus­trant à la pre­mière lec­ture du scé­nario de con­stater : « Tout est déjà écrit, je n’ai plus rien à faire ». Un tech­ni­cien pour­rait peut-être repro­duire ce qu’elle a mis sur papi­er mais j’ai com­pris qu’elle attendait de moi une autre vision des choses, qui aille dans son sens et à laque­lle elle n’aurait pas pen­sé.

I. D.: Pou­vez-vous me don­ner un exem­ple ?

S. D.: L’aurore boréale, par exem­ple. Mar­tine avait vu des aurores boréales en Islande et en voulait une sur scène dans LE TERRITOIRE. Je pense qu’il y a dix façons de faire une aurore boréale, comme il y a dix façons de faire une éclipse. Com­ment, avec les don­nées tech­niques, les con­traintes, les atouts des lieux, le bud­get et la scéno­gra­phie, arriv­er à obtenir le résul­tat souhaité ? Ce qui est vrai­ment bien avec Mar­tine c’est que, même si elle a des idées très claires sur ce qu’elle veut, elle est à l’écoute et elle est tout à fait dis­posée à ce que son pro­jet soit un peu mod­i­fié, tant que ça va dans son sens. Elle n’est pas figée sur ses visions.

I. D.: Vous avez aus­si conçu les lumières de ET DE TOUTES MES TERRES, à par­tir des rois de Shake­speare, ensuite la trilo­gie CE QUI EST EN TRAIN DE SE DIRE, TABLE DES MATIÈRES, LE TERRITOIRE, ain­si que WIJCKAERT, UN INTERLUDE. Avez-vous perçu une évo­lu­tion dans la rela­tion de Mar­tine à la lumière ? Ou des vari­a­tions ? Ou des con­stantes ?

S. D.: C’est très vari­able d’un pro­jet à l’autre, mais avec des lignes de force con­stantes. Je crois que dans tous les spec­ta­cles, il y a un zénith ! La rela­tion à la lumière est tou­jours très impor­tante et légitimée par les inter­prètes, les sit­u­a­tions, le texte ; la lumière n’est jamais un effet gra­tu­it, elle est un parte­naire à part entière.

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Stéphanie Daniel
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Isabelle Dumont
Actrice, créatrice de spectacles et de conférences scéniques, chercheuse curieuse, Isabelle Dumont a été interprète...Plus d'info
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