Le prix de la première œuvre

Compte rendu
Théâtre

Le prix de la première œuvre

Le 22 Nov 2012
Héloïse Jadoul dans LE TERRITOIRE, écriture et mise en scène Martine Wijckaert. Photo Danièle Pierre.
Héloïse Jadoul dans LE TERRITOIRE, écriture et mise en scène Martine Wijckaert. Photo Danièle Pierre.

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Héloïse Jadoul dans LE TERRITOIRE, écriture et mise en scène Martine Wijckaert. Photo Danièle Pierre.
Héloïse Jadoul dans LE TERRITOIRE, écriture et mise en scène Martine Wijckaert. Photo Danièle Pierre.
Article publié pour le numéro
Couverture du numéro 115 - Martine Wijckaert - La Balse
115

L’ATTRIBUTION du Prix de la Pre­mière œuvre 2009 au livre de Mar­tine Wijck­aert TABLE DES MATIÈRES pub­lié chez L’Une et l’Autre peut sur­pren­dre. Ce prix a jusqu’à présent tou­jours récom­pen­sé un pre­mier roman ; c’est la pre­mière fois qu’il salue un texte dont le statut générique n’est pas aus­si franche­ment fixé, puisqu’il s’agit d’un réc­it en trois par­ties, qui ont toutes les trois été mon­tées au théâtre.

Ce prix a par ailleurs tou­jours été attribué à de jeunes auteurs, pour les encour­ager à pour­suiv­re dans la car­rière lit­téraire. C’est encore le cas aujourd’hui, puisque Mar­tine entre pro­gres­sive­ment dans cette voie, avec quelque méfi­ance sans doute, mais avec une force de con­vic­tion et d’expression que les mem­bres de la com­mis­sion ont voulu soulign­er.

Tous ceux qui par­mi vous fréquentent nos scènes con­nais­sent sans doute Mar­tine Wijck­aert. Aux autres, qui ont tort, bien enten­du, je me bornerai à rap­pel­er que celle qui a fondé le théâtre de la Bal­samine en 1974 a partagé sa car­rière depuis entre mise en scène, inter­pré­ta­tion, et enseigne­ment. On lui doit des spec­ta­cles mémorables et des mis­es en scènes qui ont fait date à ses débuts, comme HOP SIGNOR de Ghelderode, LA PILULE VERTE d’après Witkiewicz ou LÉOPOLD II de Hugo Claus. Elle a ensuite réal­isé des spec­ta­cles plus per­son­nels, comme LA THÉORIE DU MOUCHOIR (1987) ou NATURE MORTE (1995), en alter­nance avec des choix d’auteurs aus­si dif­férents qu’Eugène Labiche, avec LE PLUS HEUREUX DES TROIS (1989), et Strind­berg avec une très belle adap­ta­tion de MADEMOISELLE JULIE (1993). En 1998, elle présente, au Fes­ti­val d’Avignon et au Kun­sten Fes­ti­val des Arts de Brux­elles, sa créa­tion ET DE TOUTES MES TERRES, RIEN NE ME RESTE QUE LA LONGUEUR DE MON CORPS, écrite à par­tir de la tétralo­gie des Rois de Shake­speare et trai­tant du thème de la mémoire et de la trans­mis­sion à l’intérieur des jeux de pou­voir et du déclin d’une famille.

La thé­ma­tique des rela­tions famil­iales, de leurs enjeux et des effets de leur ver­bal­i­sa­tion est au cœur des spec­ta­cles récents de Mar­tine Wijck­aert. TABLE DES MATIÈRES (2005) est le deux­ième volet d’un trip­tyque dont le pre­mier était CE QUI EST EN TRAIN DE SE DIRE (2002) et le dernier LE TERRITOIRE (2008). Au cen­tre de cette prise de parole s’impose le per­son­nage de « La fille », qui se dédou­ble, s’efface ou se pro­jette dans d’autres corps par le truche­ment des comé­di­ennes qui l’incarnent et par la grâce des musiques qui le scan­dent. C’est ce per­son­nage qui donne l’unité de ce triple dis­cours, et c’est lui qui est au cen­tre de la trans­for­ma­tion de ce texte théâ­tral en réc­it autonome, celui que nous récom­pen­sons aujourd’hui.

Il faut en effet y insis­ter : TABLE DES MATIÈRES peut se lire indépen­dam­ment des spec­ta­cles qui l’ont fait éclore, parce que ce texte a trou­vé sa pleine matu­rité lit­téraire.

Table des matières, trois mots pour trois réc­its, trois tiers pour accéder à la pre­mière per­son­ne, et pour dire le « ma » fon­da­teur, celui qui s’énonce enfin à l’incipit du troisième temps : « Man, Ma, Moun, pas de syn­onymes mais des monosons en me, mou, ma, mouti, moed­er, mater, mère, oh mère, lumière » (65). Ce tra­vail de mémoire et d’expression ne se livre pas d’emblée, il y faut fouiller au plus pro­fond de soi, analyser méthodique­ment ce que l’on est et d’où l’on vient, faire le deuil, sur une table d’opération ou de dis­sec­tion. Il faut pren­dre le temps, le temps de dire, de racon­ter, de trou­ver les mots, le temps de se met­tre à table, de cracher ce dont on est fait, d’en faire une matière, la matière d’un texte, et la manière de le profér­er. Sym­bol­ique­ment, à la fin du TERRITOIRE (le troisième texte) cette table, toute dressée, tombe en chute libre, surgie des cin­tres du théâtre, ou des limbes de la mémoire. La vais­selle est pul­vérisée, éclatée. Pass­er à table, c’est se servir de cet éclate­ment que l’éditeur L’une et l’autre a par­faite­ment su ren­dre dans le graphisme inspiré de la cou­ver­ture du livre.

Voici donc un prix de la pre­mière œuvre qui annonce un chemin nou­veau dans un par­cours déjà bien rem­pli, comme si, au fond, c’était par l’écriture assumée qu’il fal­lait en pass­er pour fix­er ce dont le théâtre four­nit le matéri­au plus humain, plus sen­si­ble, mais aus­si plus éphémère. C’est dire que nous atten­dons, chère Mar­tine, bien d’autres textes por­tant ta voix sin­gulière et courageuse.

Véronique Dumont dans TABLE DES MATIÈRES, écriture et mise en scène Martine Wijckaert. Photo Marie-Françoise Plissart.
Véronique Dumont dans TABLE DES MATIÈRES, écri­t­ure et mise en scène Mar­tine Wijck­aert. Pho­to Marie-Françoise Plis­sart.
Héloïse Jadoul et Véronique Dumont dans LE TERRITOIRE, écriture et mise en scène Martine Wijckaert. Photos Danièle Pierre.
Héloïse Jadoul et Véronique Dumont dans LE TERRITOIRE, écri­t­ure et mise en scène Mar­tine Wijck­aert. Pho­tos Danièle Pierre.
Héloïse Jadoul et Véronique Dumont dans LE TERRITOIRE, écriture et mise en scène Martine Wijckaert. Photos Danièle Pierre.
Héloïse Jadoul et Véronique Dumont dans LE TERRITOIRE, écri­t­ure et mise en scène Mar­tine Wijck­aert. Pho­tos Danièle Pierre.
Héloïse Jadoul et Véronique Dumont dans LE TERRITOIRE, écriture et mise en scène Martine Wijckaert. Photos Danièle Pierre.
Héloïse Jadoul et Véronique Dumont dans LE TERRITOIRE, écri­t­ure et mise en scène Mar­tine Wijck­aert. Pho­tos Danièle Pierre.
Véronique Dumont, Héloïse Jadoul et Mathieu Bastyns dans WIJCKAERT, UN INTERLUDE, écriture et mise en scène Martine Wijckaert. Photos Mathias Nouel.
Véronique Dumont, Héloïse Jadoul et Math­ieu Bastyns dans WIJCKAERT, UN INTERLUDE, écri­t­ure et mise en scène Mar­tine Wijck­aert. Pho­tos Math­ias Nouel.
Véronique Dumont, Héloïse Jadoul et Mathieu Bastyns dans WIJCKAERT, UN INTERLUDE, écriture et mise en scène Martine Wijckaert. Photos Mathias Nouel.
Véronique Dumont, Héloïse Jadoul et Math­ieu Bastyns dans WIJCKAERT, UN INTERLUDE, écri­t­ure et mise en scène Mar­tine Wijck­aert. Pho­tos Math­ias Nouel.
Véronique Dumont, Héloïse Jadoul et Mathieu Bastyns dans WIJCKAERT, UN INTERLUDE, écriture et mise en scène Martine Wijckaert. Photos Mathias Nouel.
Véronique Dumont, Héloïse Jadoul et Math­ieu Bastyns dans WIJCKAERT, UN INTERLUDE, écri­t­ure et mise en scène Mar­tine Wijck­aert. Pho­tos Math­ias Nouel.

Texte pronon­cé par Paul Aron à l’occasion de l’attribution en 2009 à Mar­tine Wijck­aert, du prix de la pre­mière œuvre (prix lit­téraire de la Com­mu­nauté française de Bel­gique), pour sa trilo­gie TABLE DES MATIÈRES, édi­tions L’une & l’autre, Paris, 2008.

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Paul Aron est enseignant-chercheur de littérature belge et française. Docteur en philosophie et lettres de...Plus d'info
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