Patrice Chéreau. L’école de Nanterre Amandiers

Théâtre
Portrait

Patrice Chéreau. L’école de Nanterre Amandiers

Le 28 Jan 2012
Patrice Chéreau dirige deux comédiens de l’école de Nanterre Amandier pendant le tournage du film HÔTEL DE FRANCE.
Patrice Chéreau dirige deux comédiens de l’école de Nanterre Amandier pendant le tournage du film HÔTEL DE FRANCE.

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Patrice Chéreau dirige deux comédiens de l’école de Nanterre Amandier pendant le tournage du film HÔTEL DE FRANCE.
Patrice Chéreau dirige deux comédiens de l’école de Nanterre Amandier pendant le tournage du film HÔTEL DE FRANCE.

LE PRINCIPE d’une école de comé­di­ens au sein du Théâtre des Amandiers a fait par­tie inté­grante du pro­jet de Patrice Chéreau et Cather­ine Tas­ca, où je fus admin­is­tra­teur, puis directeur adjoint. Ceci fut inscrit dans le doc­u­ment lim­i­naire « Pro­jet pour une nou­velle entre­prise à Nan­terre » qui fut remis au Min­istère de la Cul­ture début 82. Plutôt qu’une école, y est-il pré­cisé, c’est à un ate­lier qu’il faut penser et dont l’activité serait l’approche et la réal­i­sa­tion de spec­ta­cles.
À la demande de Patrice Chéreau, Pierre Romans con­ce­vait et ensuite, tout naturelle­ment, il dirigea cette école.
Nous voulions une école ouverte qui, à la dif­férence des con­ser­va­toires, n’exclurait aucun pro­fil, aucune per­son­nal­ité. Aucun diplôme – même le bac­calau­réat – n’était exigé ni même aucune for­ma­tion par­ti­c­ulière et surtout pas des indi­vidus for­matés par des for­ma­tions précé­dentes. La gra­tu­ité s’imposait ain­si que la prise en charge des trans­ports et des repas. Grâce au sou­tien de l’Université Paris X de Nan­terre, une déro­ga­tion fut assurée afin de don­ner le statut d’étudiant aux élèves.
Le recrute­ment de la pre­mière pro­mo­tion se fit avant que la pre­mière pro­gram­ma­tion du théâtre ne débute. Après une annonce parue dans dif­férentes pub­li­ca­tions, nous fûmes sur­pris par le nom­bre de pos­tu­lants supérieur à nos prévi­sions et comme nous nous étions engagés à procéder à un recrute­ment atten­tif (entre­tien indi­vidu­el, audi­tion puis stage pour cinquante final­istes) cela dura plus longtemps que prévu et je revois avec humour Pierre harassé par ces entre­tiens et audi­tions marathon qui se demandait s’il pour­rait en venir à bout. Il fal­lait non seule­ment décou­vrir des per­son­nal­ités mais aus­si imag­in­er un groupe qui allait devoir tra­vailler longtemps ensem­ble. Il s’agissait de con­stituer une véri­ta­ble troupe ! Je me sou­viens qu’une fois, le jury ne retint pas une can­di­date excel­lente qui se présen­tait égale­ment au con­ser­va­toire Nation­al de Paris. Ses qual­ités évi­dentes firent qu’elle ne fut pas retenue. Elle est aujourd’hui une actrice con­nue. Je retiens égale­ment des scènes de dés­espoir pour cer­tains et d’enthousiasme pour d’autres, lors de l’annonce, dans le hall du théâtre, de la sélec­tion défini­tive.
L’école était, comme je l’ai dit plus haut, une troupe à l’intérieur du théâtre, qui avait son pro­pre fonc­tion­nement et qui, en même temps, fai­sait par­tie inté­grante du théâtre. Elle était une part impor­tante de notre « Ruche ». Elle n’avait pas d’administration pro­pre, juste un directeur, son adjointe Cécile Prost et une assis­tante Véronique Saave­dra, instal­lés dans deux bureaux. Les enseignants étaient des proches ou par­tic­i­paient par ailleurs aux activ­ités du théâtre. Il n’y avait pas de moule par­ti­c­uli­er, l’école gar­dait un côté lab­o­ra­toire à tel point que les deux pro­mo­tions ont eu des cur­sus très dif­férents, même si les final­ités ont été iden­tiques. C’était aus­si une école à plein temps, huit heures par jour, six jours par semaine, le temps de deux saisons. Les pièces étaient tra­vail­lées dans leur total­ité, les per­son­nages habités de bout en bout, mais il n’y avait pas d’obligation de résul­tat et beau­coup de travaux achevés ne furent jamais mon­trés.
La for­ma­tion se voulait éclec­tique. Le principe était de ne pas dis­soci­er la for­ma­tion théorique de la for­ma­tion pra­tique. Abor­der les ques­tions théoriques directe­ment à tra­vers la pra­tique, telle était la méth­ode. Out­re la réal­i­sa­tion de spec­ta­cles les élèves avaient comme partout des cours réguliers de danse, musique et chant ain­si que des stages théoriques.
La durée de l’école fut courte, de 82 à 87, le temps de deux pro­mo­tions. Les deux groupes ont eu la chance de par­ticiper à un échange avec des écoles améri­caines et s’essayer à la comédie musi­cale. Pour Pierre Romans, il s’agissait plus de jouer en anglais car il pen­sait que les acteurs pou­vaient faire une car­rière inter­na­tionale. L’idée aus­si était de con­fron­ter la fan­taisie française à la rigueur améri­caine, à se trou­ver face à d’autres men­tal­ités et de manières de tra­vailler.
Si le théâtre fut prépondérant tout au long du cur­sus, les élèves apprirent à se trou­ver face à la caméra. Pas moins de trois films furent réal­isés et eurent un des­tin com­mer­cial.
La pre­mière pro­mo­tion, for­mée de vingt-qua­tre élèves qui eurent la chance d’avoir comme enseignants Daniel Emil­fork, Roland Bertin, Didi­er San­dre, Jean-Hugues Anglade et beau­coup d’autres, aujourd’hui recon­nus. Ils tournèrent un film avec André Téch­iné et, comme men­tion­né plus haut, ils firent un séjour aux États-Unis. Ils eurent la chance de répéter qua­tre pièces de Shake­speare avec Patrice Chéreau et, bien sûr, tra­vail­lèrent beau­coup avec Pierre Romans. Pen­dant plus de deux semaines, à la fin du cur­sus se déroula la présen­ta­tion de ce qu’ils avaient pu faire pen­dant deux ans.
Le recrute­ment de la sec­onde pro­mo­tion a été dif­férent de la pre­mière dans la mesure où, tirant la leçon de la pre­mière, nous avons pris moins de débu­tants. La con­fronta­tion entre débu­tants et des gens déjà for­més a créé un déséquili­bre enrichissant, aidant à pro­gress­er. Le groupe fut réduit à dix-neuf mem­bres car nous savions déjà que des pro­jets de film allaient avoir lieu. Patrice Chéreau tour­na HÔTEL DE FRANCE inspiré de PLATONOV et Jacques Doil­lon dirigea L’AMOUREUSE dont le scé­nario était inspiré d’histoires que cer­taines élèves comé­di­ennes avaient écrites.
Bien sûr il y eut encore, comme pour la pro­mo­tion précé­dente, de la danse avec Peter Goss, du chant avec Bernadette Val et de la musique avec Anne Marie Fijal. Madeleine Mar­i­on fit un tra­vail autour de Racine. Claude Stratz ani­ma un ate­lier, tout en par­tic­i­pant à la réflex­ion glob­ale sur l’école. Et tou­jours, Pierre au cœur du cur­sus avec deux pièces de Kleist qui furent pro­gram­mées à la Char­treuse de Vil­leneuve-Lès-Avi­gnon, lors du Fes­ti­val en 87 ! Ajou­tons PLATONOV mis en scène par Patrice, qui tint lieu de spec­ta­cle de fin d’école, qui fut égale­ment présen­té au Fes­ti­val d’Avignon la même année, avant Nan­terre et une tournée.
Tout était prêt pour le recrute­ment d’une troisième pro­mo­tion. De nou­veaux can­di­dats, mais aus­si des malchanceux voulaient reten­ter cette aven­ture mais le des­tin en a décidé autrement. Patrice Chéreau choi­sis­sait de ne pas renou­vel­er son con­trat à Nan­terre pour des raisons qui lui étaient pro­pres. J’ai ren­con­tré cer­tains d’entre eux qui regret­tent encore cette aven­ture qu’ils n’ont pas pu ten­ter.
Aujourd’hui, avec du recul – près de vingt-cinq ans – je réalise que cette école fut très éphémère. En cinq ans, elle aura for­mé une quar­an­taine d’acteurs dont les itinéraires pro­fes­sion­nels et indi­vidu­els, dans un marché du tra­vail des acteurs très irra­tionnel, ont fait la répu­ta­tion de cette aven­ture, dev­enue presque mythique. Quelle meilleure inté­gra­tion au monde pro­fes­sion­nel que de par­ticiper à des spec­ta­cles présen­tés inté­grale­ment et aus­si d’être dis­tribués dans des films dif­fusés dans les réseaux com­mer­ci­aux ! Je revois fréquem­ment nom­bre d’élèves, au théâtre, au ciné­ma et même dans des télé­films et je me rends compte alors com­bi­en Nan­terre Amandiers aura été une pépinière de tal­ents.
Aujourd’hui, beau­coup d’écoles de comé­di­ens se sont créées au sein de théâtres, comme si cela était devenu une évi­dence. Je pense ici aux écoles qui sont au sein du Théâtre Nation­al de Bre­tagne à Rennes, du Cen­tre Dra­ma­tique de Limo­ges, du Théâtre du Nord de Lille ou encore du Théâtre Nation­al de Chail­lot. C’est vrai que la présence de jeunes comé­di­ens bous­cule agréable­ment les équipes de théâtres, les poussent à se remet­tre en per­ma­nence en ques­tion et à ne pas tomber dans des habi­tudes mécaniques. J’ai le sen­ti­ment que Nan­terre Amandiers a été précurseur. Mer­ci à Patrice Chéreau et à Pierre Romans qui lui, hélas, aujourd’hui n’est plus.

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Patrice Chéreau
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Philippe Coutant
Philippe Coutant a alterné sa carrière entre théâtre, cinéma et enseignement. II a été principalement...Plus d'info
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