Une pédagogie des fondamentaux

Entretien
Théâtre

Une pédagogie des fondamentaux

Entretien avec Dominique Pitoiset

Le 25 Jan 2012
Merlin ou la terre dévastée de Tankred Dorst, mise en scène Dominique Pitoiset et Nadia Fabrizio, ÉSTBA, 2010. Photo Frédéric Desmesure.
Merlin ou la terre dévastée de Tankred Dorst, mise en scène Dominique Pitoiset et Nadia Fabrizio, ÉSTBA, 2010. Photo Frédéric Desmesure.

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Merlin ou la terre dévastée de Tankred Dorst, mise en scène Dominique Pitoiset et Nadia Fabrizio, ÉSTBA, 2010. Photo Frédéric Desmesure.
Merlin ou la terre dévastée de Tankred Dorst, mise en scène Dominique Pitoiset et Nadia Fabrizio, ÉSTBA, 2010. Photo Frédéric Desmesure.

Daniel Loayza : Com­ment est née l’école du théâtre nation­al de Bor­deaux ? 

Dominique Pitoiset : J’ai été nom­mé à la direc­tion du Théâtre nation­al de Bor­deaux en Aquitaine en 2004, nous y avons créé l’École Supérieure de Théâtre de Bor­deaux en Aquitaine en 2007. La pre­mière pro­mo­tion est sor­tie en juin 2010. La deux­ième est actuelle­ment en cours de sec­onde année. Cette école est financée par l’État, la région Aquitaine et la ville de Bor­deaux. Un dis­posi­tif d’aide à l’insertion pro­fes­sion­nelle financé par la Région Aquitaine a été mis en place et accom­pa­gne actuelle­ment l’emploi de la pro­mo­tion sor­tante. L’école est située au cœur du TnBA. J’en ai la respon­s­abil­ité et cette charge fait par­tie inté­grante de mon con­trat de directeur de ce théâtre.

D. L.: Que lles sont pour toi les raisons qu’il y a de créer une école au cœur d’un théâtre ? 

D. P.: Je suis moi-même issu de l’école du Théâtre Nation­al de Stras­bourg. J’ai suivi ma for­ma­tion à l’époque où Jean-Pierre Vin­cent dirigeait la mai­son. Le directeur péd­a­gogique était Claude Petit­pierre. Nous sommes nom­breux à lui devoir beau­coup. C’était un très grand péd­a­gogue. La péri­ode était faste pour le TNS. Le col­lec­tif artis­tique était com­posé de bons acteurs, il y avait plusieurs met­teurs en scène fix­es, des auteurs et dra­maturges asso­ciés. Une école au cœur d’un théâtre, c’est d’abord la pos­si­bil­ité pour des jeunes en for­ma­tion de côtoy­er tous les jours des pro­fes­sion­nels en activ­ité, de grandir à leur con­tact, en les écoutant dis­cuter et en suiv­ant quelque­fois leurs répéti­tions. C’est aus­si l’opportunité de pou­voir assis­ter à toutes les représen­ta­tions des spec­ta­cles de la pro­gram­ma­tion. Quand cette pro­gram­ma­tion est exigeante, la moti­va­tion s’en trou­ve ren­for­cée et les objec­tifs péd­a­gogiques en devi­en­nent plus clairs. Et puis Stras­bourg, c’était, pour notre généra­tion, le con­traire de Paris. Pour nous, les provin­ci­aux, cette école répondait encore aux vœux de ses créa­teurs : for­mer des artistes qui retourn­eraient irriguer leur région d’origine, ou qui trou­veraient place dans des aven­tures partagées de la décen­tral­i­sa­tion théâ­trale. Je ne suis pas un dinosaure, c’était les années qua­tre-vingt… Depuis, les choses ont changé, le ter­rain de jeu s’est ouvert plus franche­ment à l’Europe. L’école au cen­tre d’un théâtre est donc naturelle­ment un lieu de con­fronta­tions, de débats per­ma­nents et de ren­con­tres. Ces ren­con­tres favorisent les com­plic­ités et les effets de recon­nais­sance et fondent les bases d’une bonne inser­tion dans le méti­er.

D. L.: Tu par­les sou­vent d’une péd­a­gogie des fon­da­men­taux. Que cela sig­ni­fie-t-il pour toi ? 

D. P.: C es fon­da­men­taux se sont for­mulés au fil des évo­lu­tions et de l’histoire de notre art. De grands met­teurs en scène, de grands péd­a­gogues et de grands théoriciens du jeu ont apporté leurs réflex­ions et leurs expéri­ences. Je n’ai jamais été favor­able à l’école d’un maître. Il est préférable que les appren­tis comé­di­ens voy­a­gent d’une tech­nique à une autre. L’exercice des dif­férences leur per­me­t­tra d’assouplir leur instru­ment, et quelque­fois aus­si de se déter­min­er par la néga­tive. « J’apprends aus­si en réal­isant ce que je ne ferai pas », m’a dit un jour un élève. Je ne par­le pas ici de style, bien évidem­ment, mais de l’approche méthodologique de l’acquisition d’un méti­er. D’un autre côté, il faudrait pren­dre le temps de faire le tri.

D. L.: B eau­coup pensent que le tal­ent ne s’apprend pas…

D. P.: On le dit sou­vent. Mais que recou­vre la notion de tal­ent ? On ne demande pas à un appren­ti boulanger d’être d’abord un génie du goût, mais d’être un bon arti­san qui maîtrise sa tech­nique. De même pour le comé­di­en. Appren­dre à jouer, c’est devenir pro­gres- sive­ment un menteur crédi­ble, réac­t­if et vig­i­lant. C’est aus­si savoir repro­duire le même objet à volon­té. Cer­tains ont plus de facil­ité que d’autres, c’est sûr, mais le proces­sus de révéla­tion des capac­ités de cha­cun est le même pour tous. À force de tra­vail, quelques-uns sor­tiront du lot. Et l’école est aus­si un lieu de ques­tion- nements. Un acteur qu’on aide à prob­lé­ma­tis­er sa pra­tique théâ­trale, à réfléchir aux signes qu’il pro­duit, devient respon­s­able du sens qu’il incar­ne. Nous cir­cu­lons tou­jours entre l’artisanat et la recherche fon­da­men­tale.

D. L.: S elon toi, l’école existe-t-elle pour fab­ri­quer les out­ils de l’art du met­teur en scène ? 

D. P.: Un met­teur en scène est en per­ma­nence en recherche et ne manque aucune occa­sion d’y voir un peu plus clair sur ses pro­pres inten­tions. Et puis on apprend tou­jours de tout et de tout le monde. Mais nous ne pro­posons pas de carte blanche pré­para­toire à une mise en scène future. À Bor­deaux, nous choi­sis­sons, Gérard Lau­rent, qui est respon­s­able péd­a­gogique, et moi, des artistes en activ­ité qui excel­lent dans un domaine pré­cis. Chaque « ate­lier pra­tique » asso­cie une écri­t­ure et un type de jeu : Shake­speare et le théâtre épique, Tchekhov et Stanislavs­ki, Brecht et le théâtre con­cret, le théâtre nord- améri­cain et l’Actors’ Stu­dio, les clas­siques français et l’alexandrin… Cha­cun de ces ate­liers est précédé d’un sémi­naire dra­maturgique d’une semaine qui a pour but de définir le con­texte artis­tique, his­torique et économique de l’œuvre. Cette approche non linéaire de l’histoire de notre art insiste sur le car­ac­tère tou­jours poli­tique, ancré dans une réal­ité don­née, de l’acte théâ­tral. Mais peut-être ai-je mal com­pris ta ques­tion ? Si elle con­cerne la pos­si­bil­ité qu’un met­teur en scène se révèle par­mi les élèves grâce au tra­vail d’interprétation, alors oui : le tra­vail de l’acteur reste une très bonne école pré­para­toire à la mise en scène.

D. L.: Q uand on dirige une école, a‑t-on une mis­sion pré­cise ? 

D. P.: O ui. Celle de la trans­mis­sion d’une mémoire et d’une pra­tique en per­pétuelle muta­tion. Accom­pa­g­n­er des jeunes afin qu’ils acquièrent toute leur autonomie de créa­tion reste notre mis­sion pre­mière. Cela implique un cer­tain nom­bre de pas­sages oblig­és. Le par­cours dans l’école com­mence comme un sémi­naire, se pro­longe comme une Académie et se ter­mine comme une com­pag­nie de créa­tion ouverte sur la réal­ité des enjeux publics. En troisième année, à Bor­deaux, les cours tech­niques et théoriques changent de nature, ils sont au ser­vice des pro­jets de réal­i­sa­tion.

D. L.: C e serait quoi, pour toi, une école de for­ma­tion de comé­di­ens aujourd’hui ? 

D. P.: Notre respon­s­abil­ité est de pré­par­er les futurs acteurs à affron­ter les défis qui leur seront pro­posés. Nous devons à la fois entretenir la mémoire des exer­ci­ces du passé et rester atten­tifs aux mou­ve­ments de la recherche théâ­trale d’aujourd’hui. L’époque est à l’éclatement, à l’explosion des formes et des esthé­tiques. Les référents sont mul­ti­ples et divers. Nous deman­dons de plus en plus à nos acteurs d’être rapi­des, disponibles et per­for­mants, voire pul­sion­nels. Ce qui exige une pré­pa­ra­tion rigoureuse, y com­pris ath­lé­tique. C’est pourquoi les cours tech­niques sont nom­breux et oblig­a­toires. Il faut pou­voir être effi­cace et crédi­ble dans l’instant, savoir jeter une propo­si­tion entière et chang­er soudain de direc­tion. Mais la vitesse, la vir­tu­osité ont besoin de fonde­ments. Il faut donc abor­der les prob­lèmes dans l’ordre, com­mencer par le début. Qu’est-ce que lire active­ment un texte, com­ment enquêter sur sa par­ti­tion, com­ment nom­mer les cibles, quels proces­sus met­tre en œuvre pour engager une physique du sens… Tout cela demande du temps, des moyens et des com­pé­tences, car nos métiers n’ont pas grand-chose à voir avec les for­ma­tions général­istes. Il s’agit plutôt d’une for­ma­tion d’artisanat d’art. Or nos écoles sont frag­iles, voire en dan­ger. Sans un sou­tien de nos respon­s­ables poli­tiques, sans une réelle con­vic­tion de leur néces­sité, leurs spé­ci­ficités et leurs qual­ités recon­nues depuis longtemps vont dis­paraître. Il en va donc de l’avenir du théâtre français, rien de moins. Il est urgent que la pro­fes­sion tout entière se mobilise sur cette ques­tion.

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