La marionnette, l’acteur le plus généreux

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La marionnette, l’acteur le plus généreux

Entretien avec Francis Houtteman

Le 23 Nov 2000
Article publié pour le numéro
Le théâtre dédoublé-Couverture du Numéro 65-66 d'Alternatives ThéâtralesLe théâtre dédoublé-Couverture du Numéro 65-66 d'Alternatives Théâtrales
65 – 66
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Alter­na­tives Théâ­trale : Dès les pre­miers spec­ta­cles du Créa théâtre, vous vous inscrivez dans une démarche qui accorde une grande impor­tance aux objets et à la matière (voir Alter­na­tives théâ­trales no 5, octo­bre 80). Vous avez ensuite expéri­men­té dans vos spec­ta­cles, tant pour
les « adultes » que pour les enfants de nom­breux types de mar­i­on­nettes, mais le rap­port avec l’acteur sem­ble tou­jours fon­da­men­tal dans votre tra­vail. Qu’apporte la mar­i­on­nette à votre lan­gage scénique ?

PREMIERS CHANTS, de et avec Francis Houtteman, 1988. Photo Brigitte de Mees
PREMIERS CHANTS, de et avec Fran­cis Hout­te­man, 1988. Pho­to Brigitte de Mees

Fran­cis Hout­te­man : Le lan­gage scénique s’enrichit de la den­sité d’images que l’on peut réalis­er dépas­sant les capac­ités cor­porelles de l’acteur, même si, en même temps il y a un risque d’appauvrissement de la dimen­sion psy­chologique qu’apporte l’acteur. La présence de la mar­i­on­nette laisse surtout une vir­ginité plus grande au texte pour le spec­ta­teur qui peut en faire une lec­ture plus ouverte et plus per­son­nelle.

AT. : Le tra­vail avec des mar­i­on­nettes mod­i­fie-t-il le mode de répéti­tion ?

FH. : Tra­vailler avec des mar­i­on­nettes mod­i­fie com­plète­ment le tra­vail des répéti­tions, car tous les actants du spec­ta­cle, acteurs, met­teurs en scène, éclairag­istes, scéno­graphes, musi­ciens, régis­seurs, sont au ser­vice de la mar­i­on­nette. Ce n’est que quand ce tra­vail est prêt tech­nique­ment que le tra­vail de jeu de l’acteur pro­pre­ment dit com­mence. Il y a donc comme un ren­verse­ment par rap­port à l’utilisation de l’objet / acces­soire sou­vent util­isé par l’acteur comme un signe sup­plé­men­taire pour le spec­ta­teur. Dans le théâtre de mar­i­on­nette, c’est l’objet ou la mar­i­on­nette qui sont le signe, l’acteur n’en n’étant que le manip­u­la­teur habile.

AT. : La mar­i­on­nette a‑t-elle influ­encé voire mod­i­fié votre con­cep­tion du théâtre ?

FH. : Je crois que cela nous rap­proche de la danse et des choré­graphes ; les images que nous créons avec des mar­i­on­nettes nous con­duisent à pra­ti­quer une écri­t­ure didas­calique impor­tante sur laque­lle va se gref­fer le texte s’il y en a.

Par­fois, et c’est une volon­té affir­mée de notre part, le texte dit est volon­taire­ment impor­tant pour con­train­dre en quelque sorte la mar­i­on­nette à dire et c’est donc à l’acteur, dans son inter­pré­ta­tion de livr­er toute l’intériorité du per­son­nage et au spec­ta­teur de combler ce « vide psy­chologique ».

Dans les manip­u­la­tions à vue, les émo­tions de la mar­i­on­nette transparaîtront sur le vis­age de l’acteur, comme une sorte de psy­cholo­gie vis­i­ble de la con­cen­tra­tion de l’acteur et son pro­longe­ment dans la mar­i­on­nette.

C’est un phénomène étrange car il faut se pro­longer dans la mar­i­on­nette pour que celle-ci soit vivante et de ce pro­longe­ment peut naître la dis­tance. Se pro­longer c’est ce que doit faire l’acteur par rap­port à son per­son­nage pour pou­voir le maîtris­er, en jouer et ne pas se laiss­er débor­der par lui. C’est pou­voir don­ner tout en dehors de soi, tout en le regar­dant.

AT. : Vous con­sid­érez-vous comme un mar­i­on­net­tiste ?

FH. : Non, je ne fab­rique pas de mar­i­on­nettes, je les utilise pour mes spec­ta­cles en les com­man­dant à des arti­sans en fonc­tion des images que je souhaite réalis­er. Il me sem­ble que le « mar­i­on­net­tiste » est cet artiste pluridi­men­tion­nel à la démarche très per­son­nelle voire indi­vid­u­al­iste, à la fois acteur, manip­u­la­teur, arti­san, met­teur en scène, scéno­graphe.

AT. : Com­ment expliquez-vous le fait que de plus en plus de spec­ta­cles théâ­traux utilisent la mar­i­on­nette ?

FH. : L’utilisation de la mar­i­on­nette s’inscrit dans le développe­ment au théâtre de l’univers des images qui laisse une lib­erté plus grande au spec­ta­teur, une place plus mar­quée à son imag­i­naire. Le théâtre n’a jamais été aus­si mul­ti­dis­ci­plinaire qu’aujourd’hui et donc toutes les formes d’expression sont au ser­vice de la représen­ta­tion. Mais la mar­i­on­nette a ceci de par­ti­c­uli­er qu’elle est l’acteur le plus généreux qui existe car au lieu de con­train­dre le spec­ta­teur à s’identifier à elle comme le deman­dent sou­vent les acteurs, elle demande au spec­ta­teur d’accepter ses lim­ites et de pal­li­er intel­lectuelle­ment, sen­si­ble­ment et émo­tion­nelle­ment aux insuff­i­sances liées à sa réal­ité d’objet. La mar­i­on­nette voy­age du théâtre pour l’enfance au théâtre pour les grands avec une facil­ité décon­cer­tante comme seul
un art majeur proche du pub­lic (pop­u­laire!) peut le faire. Et c’est tant mieux..

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Francis Houtteman
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