UN AUTRE TEMPS, un autre rapport à l’altérité, voilà ce que nous proposions dans notre projet de candidature à la direction avec toute la difficulté de pouvoir parler d’une utopie réaliste. En revenir aux fondamentaux et demander au théâtre l’impossible.
La Balsamine se veut un tiers-lieu ouvert à tous, un lieu d’enjeu politique, expérimental, environnemental. Place créative, par excellence, où l’alchimie de la proximité et de l’échange prend tout son sens. C’est un lieu hybride et fluide où convergent des dynamiques de développement social et culturel. À ce titre, la Balsa peut apparaître comme la particule élémentaire de la zone artistique. En somme, nous n’aurions pas pu projeter ce désir ailleurs que dans ce cocon d’une beauté insaisissable. Ce site est particulier car il est imbibé de la fougue de sa protectrice dont nous sommes aujourd’hui les heureux complices.
Artiste associée d’évidence mais artiste sacrée avant tout, on ne peut citer qu’un exemple, qu’une seule source, qu’une seule référence : Martine Wijckaert qui, à elle seule, est l’origine et la continuité. Énergie à l’état pur, sans concession, dédiée entièrement à l’Art. Son ADN artistique est sans commune mesure, elle ne cesse de le construire, de le développer, d’en explorer toutes les ressources, de défier ses pulsions créatrices. Pourrait-elle avoir plusieurs bras qu’elle devrait avoir deux claviers par mains et deux plateaux par bras pour extirper ses émotions. Parler avec elle, c’est à la fois s’extraire et s’inscrire dans le moment présent. C’est avoir une vision au-delà du cadre de n’importe quelle œuvre. Son ambition est totalement artistique. Elle est l’expression d’un Art en temps continu.
Voilà pourquoi, il est important de dire que nous ne commençons pas une nouvelle histoire, nous poursuivons une quête sans fin. Nous avons choisi de gérer un lieu où le développement ne se réduit pas à la croissance, nous sommes dans cet héritage-là. Il s’agit de mettre en avant la sobriété, la lenteur, le temps qui passe, la coopération, la convivialité. Métier d’art, artisanat d’art, telle est la pratique de Martine Wijckaert, elle n’en revendique pas d’autre, elle se situe précisément sous ce soleil-là. Et cette manière de vouloir bien faire lui donne une vérité incomparable.
Comme elle, nous tenons à diriger notre attention, et tendre notre esprit vers toute manifestation de vie, fu t‑elle la plus silencieuse, comme elle, nous cultivons notre curiosité. Et pour encore parler de Martine, puisqu’on y revient comme dans le centre d’une tornade, sa rencontre a été pour nous comme un incendie, comme une contagion du devenir. Et c’est cela que Martine nous propose dans sa quotidienne vie de bureau, elle se remet en question perpétuellement, elle entretient avec le réel un rapport de défiance, allant jusqu’à postuler une souveraineté absolue de l’art. Et nous sommes comblés de pouvoir assister à la naissance de la pure plasticienne(installations à venir LONELY VILLAGE et SEPT MAISONS) et de poursuivre son processus d’écriture (TRILOGIEDE L’ENFER, LES FORTUNES DE LA VIANDE). Nous sommes portés par cet enthousiasme, par ce goût de la vie en voie d’extinction.
En soi, la Balsa et Martine tentent d’évoluer ou d’involuer ensemble… Ensemble, ils s’annoncent, et s’énoncent, dans le scénario d’une écriture à la ligne sinueuse et infinie – celle d’un sujet divers et ondoyant qui (s’)écrit texte et sujet, se sculptant l‘un l’autre en miroir. Et donc, comme un long livre de l’intranquillité, il se met en place, il se chapitre peu à peu, à travers la personne de Wijckaert qui se décline en d’innombrables oscillations vocales et, conjointement, en une infinité de modes d’être. Nous ne sommes que les passeurs, que les dépositaires de cet héritage-là. Sans ego mais avec haltères, nous musclons notre volonté à porter cette responsabilité et si nous sommes là, en ce jour, c’est que le choix s’est fait en faveur de toute une manière de voir, de penser et d’être dans ce monde.
L’art de la renaissance
Suite à notre nomination en janvier 2011, nous devenons responsables de ce territoire et pour certains, nous sommes une déception, pour d’autres une énigme et pour la plupart une inconnue. Plongés dans cet immense labeur et dans cette forte attente de changement, nous tentons de prendre à contre-pied l’effet révolutionnaire qu’implique une nouvelle direction. En soi, c’est plus en profondeur que nous désirons une remise en question. Alors nous creusons, nous créons quelques remous, nous agaçons, nous nous trompons parfois, nous passons par toutes ces étapes nécessaires à l’acceptation, nous réjouissons aussi. L’art de la renaissance que nous proposions transformait le théâtre en maison d’art et chaque artiste devenait le défenseur de cette notion essentielle. Amorcé avec force, le début de saison s’ouvrait avec le festival « Genèse » : sept jours, sept créateurs, sept créations. Ce festival annonçait la couleur en décloisonnant les pratiques tout en exposant les ruptures importantes qui interrogent nos propres fondements humains : l’artiste, comme tout homme, est un être transversal et complexe.
Nouvelle façon de pratiquer en réorganisant l’institution, d’où l’idée de l’artiste en habitation (résidence d’un an où l’artiste cherche pour lui avec un pied-à-terre offert, sans obligation réelle de créer). Ouverture sur les autres pratiques artistiques, Hichem Dahes devient notre photographe associé et portraiture chaque porteur de projet. Des rendez-vous décalés sous forme de slowdatings, (rendez-vous où un des artistes de la création revient sur une partie de son travail)… Quelques initiatives parmi d’autres qui renforceront cette action si nécessaire de remettre l’artiste au centre du débat.
Onze créations comme un pèlerinage et le désir de laisser le temps au temps.
Le « Salon des Refusés » prend place au milieu du foyer, hors scène très symbolique de notre positionnement. Un retour aux sources qui place l’artiste dans une certaine précarité et le contraint, dans ce salon non-officiel, à faire émerger les rebuts d’une pratique non assumée. Une scène où l’art perd ses frontières, ou du moins les rend plus floues et de même, quand un lieu décide de réinvestir sa géographie, de bousculer ses espaces, de proposer d’autres issues, il subit une transformation significative et il devient symboliquement moins connoté. Et dans cette même logique d’ouverture, bien d’autres choses encore, des débats, des performances dans la ville, des stages, des auditions ouvertes, quelques accueils étrangers, bref une année dense avec en plus un changement d’identité graphique radical et un changement d’équipe inattendu.
Soit, après une première année de confrontation sans recul, comme une passion lancée en avant, sans possibilité de jeter un œil sur le chemin, nous réalisons à quel point il était inévitable d’invectiver « Je suis cela » et qu’à l’aube de cette seconde saison de marteler : « Pourquoi je fais cela » devient essentiel, non pas pour se justifier mais bien pour dire ses sensations car c’est de ce dire que l’histoire peut émerger et qu’un monde de vie se dessine.
« Direction artistique » quand tu nous tiens !
Se ramasser, compter, écrire, lire et classer des dossiers, détacher une à une les pétales d’une marguerite, on aime un peu beaucoup, on se voit confier des objets pour les transporter chez soi et ailleurs, on voyage peu, on dialogue toujours, on passe trop de temps à dire non, on s’interroge sur nos vies privées, on interroge le ciel. Et la question est toujours la même, quelle attitude doit être la nôtre, quelle est la noblesse de la fonction de directeurs de théâtre ? Ici une double direction, une tension, on peut même parler parfois d’une insoumission, être dans l’urgence d’agir, de poser des gestes pour participer à la circulation des idées, en même temps que de freiner soi-même cette urgence en préférant travailler dans la lenteur de la réflexion et celle aussi de l’analyse.