“Ne pas jouer la question de la diversité contre celle de l’égalité” (entretien avec Maxime Tshibangu)

Entretien
Théâtre

“Ne pas jouer la question de la diversité contre celle de l’égalité” (entretien avec Maxime Tshibangu)

Le 6 Juin 2017
"Ça Ira /1 Fin de Louis", de Joël Pommerat. Photo Elizabeth Carecchio.
"Ça Ira /1 Fin de Louis", de Joël Pommerat. Photo Elizabeth Carecchio.
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Com­ment définiriez-vous votre tra­vail de créa­tion artis­tique, envis­agé à l’aune de la « diver­sité cul­turelle » ? Et que revêt selon vous ce terme devenu d’usage courant au sein des insti­tu­tions cul­turelles ? 

Maxime Tshiban­gu : Qu’est-ce qu’on appelle « la diver­sité cul­turelle » ? Si je prends mon cas per­son­nel, je suis né au Con­go, mais j’ai passé toute mon enfance en France et je suis allé à l’école de la République. J’ai ten­dance à penser que, même si j’ai été élevé par un père africain, il n’y a pas de dif­férence entre vous et moi en ce qui con­cerne les out­ils intel­lectuels acquis pour penser et analyser la société. Si ma présence sur un plateau de théâtre doit être perçue comme l’apparition sur la scène européenne d’un être « cul­turelle­ment dif­férent », cela veut dire que ce qu’on appelle « la diver­sité cul­turelle » est en fait une façon de par­ler de mon apparence d’homme noir. Est-ce que lorsqu’on emploie l’expression « la diver­sité cul­turelle » cela veut dire que, dans ce pays, on n’assume pas de nom­mer les choses claire­ment, de par­ler de couleur de peau ? Je ne crois pas en l’existence de race. Or, si les races n’existent pas, pourquoi ma présence devrait-elle compter dif­férem­ment sur une scène ? 

Au théâtre, ces gens que l’on définit comme « minorité cul­turelle » sont en effet sous-représen­tés. Mais, à part le regard que l’on peut pro­jeter sur nous, ce que l’on y fait n’est pas dif­férent. Lorsque je joue, je ne me dis jamais « n’oublie pas que t’es un noir sur un plateau ». Je n’y pense pas, je n’ai pas envie de me laiss­er coin­cer dans ces idées-là. Ce n’est pas pour autant que je n’observe pas que le regard des autres me sig­ni­fie ma sin­gu­lar­ité. Moi, mon seul engage­ment, c’est d’essayer de faire mon tra­vail de comé­di­en avec le plus de sérieux pos­si­ble. C’est ma façon de don­ner du crédit au fait que tout le monde a sa place sur un plateau.

Avez-vous le sen­ti­ment de subir, à titre per­son­nel, une iné­gal­ité de traite­ment en tant qu’artiste issu de l’immigration ; ou d’être vic­time d’une forme de stig­ma­ti­sa­tion, voire de ségré­ga­tion cul­turelle qui ne s’avoue pas en tant que telle ? 

Vic­time ? Non, je suis vic­time de rien. Je con­state juste que dans mon expéri­ence, quand j’ai tra­vail­lé pour la télévi­sion ou pour le ciné­ma il m’a sou­vent été attribué des rôles qui étaient des stéréo­types. Les rôles qu’on attribue à des acteurs noirs, arabes ou asi­a­tiques sont sou­vent stig­ma­ti­sants dans la mesure où il s’agit rarement d’interpréter un médecin, un notable, un homme poli­tique, mais le plus sou­vent un per­son­nage de ban­lieusard, même si j’observe qu’aujourd’hui on voit appa­raître des acteurs noirs dans les rôles de flics, et que les choses sont peut-être en train de bouger. Les choses changent mais lente­ment. Seul le temps le dira.

Au théâtre, j’ai la chance de tra­vailler avec la com­pag­nie Louis Brouil­lard qui m’a tou­jours dis­tribué de la même manière que les autres comé­di­ens. Quand Joël m’a engagé, il m’a dit que c’était parce que quand il m’avait vu sur un plateau il avait pen­sé que j’étais un comé­di­en avec lequel il avait envie de tra­vailler, et non pas « un comé­di­en noir » avec lequel il avait envie de tra­vailler. Chez Joël Pom­mer­at, chaque comé­di­en com­pose avec son expéri­ence de vie.

Dans les autres expéri­ences que j’ai eu au théâtre, la ques­tion ne s’est pas posée non plus car je tra­vail­lais pour des met­teurs en scène avec lesquels j’étais ami et qui ne m’employaient pas spé­ci­fique­ment parce que j’étais « un comé­di­en noir » mais parce qu’ils aimaient le comé­di­en que j’étais. Enfin, récem­ment, j’ai été sol­lic­ité pour une mise en scène des Trois Sœurs de Tchekhov. Donc, je dirais que dans le monde du théâtre cette stig­ma­ti­sa­tion ou ségré­ga­tion cul­turelle, je n’ai pas eu l’occasion d’en faire vrai­ment l’expérience per­son­nelle­ment.

Plus générale­ment, les artistes issus de l’immigration souf­frent-ils d’un déficit de vis­i­bil­ité sur les scènes européennes ? 

La ques­tion est com­pliquée, pour y répon­dre avec justesse, il faudrait que j’aie la pré­ten­tion de con­naître tout le théâtre européen, or ce n’est pas le cas. Si déficit il y a, il ne con­cerne pas seule­ment les artistes issus de l’immigration, il con­cerne les class­es sociales les plus pau­vres. J’ai l’impression que lorsqu’on par­le de la représen­ta­tiv­ité de per­son­nes  « issues de la diver­sité » dans l’espace pub­lic, c’est tou­jours au dépend de la ques­tion de l’égalité sociale au sens large et, j’ai le sen­ti­ment, peut être à tort, qu’il ne faut pas jouer la ques­tion de la diver­sité con­tre celle de l’égalité. Il faut don­ner aux pop­u­la­tions les plus pau­vres les moyens dont elles ont besoin, pour lut­ter à arme égale avec les nan­tis, et pas seule­ment dans domaine cul­turel.
Dans la cité dans laque­lle j’ai gran­di, on était blancs, noirs, arabes, asi­a­tiques et c’était tout ce groupe social qui avait du mal à accéder aux espaces cul­turels et en par­ti­c­uli­er au théâtre.

La suite de cet entre­tien sera bien­tôt disponible sur notre site.

Le #130 Ancrage dans le réel contient un dossier consacré à Joël Pommerat.

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La compagnie Louis Brouillard est en tournée en ce moment avec Ça ira / Fin de Louis (avec Maxime Tshibangu, entre autres) au Théâtre Olympia (Centre dramatique régional de Tours) et avec Cendrillon à Paris au Théâtre de la Porte saint Martin.
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