ALTERNATIVES THÉÂTRALES : À qui doit s’adresser le Théâtre São Luiz de Lisbonne ? À quel territoire (rapports centre/périphérie) ?
Antonio Costa : Le Théâtre São Luiz a repris son activité en 2002, après un profond travail de rénovation du bâtiment et depuis ses rapports avec le territoire se sont progressivement développés et approfondis. Il y a toutefois encore un chemin significatif à parcourir pour inscrire le Théâtre São Luiz dans des lieux plus difficiles d’accès – notamment les banlieues et les quartiers périphériques. Nous souhaitons également renforcer sa notoriété au niveau régional et international. Il s’agit donc de rendre la mission du São Luiz plus cohérente, en le repositionnant stratégiquement dans la ville, qui cherche par ailleurs à s’affirmer comme ville culturelle, dans son double rôle de capitale et chef lieu de la première région portugaise.
A. T. : Y a‑t-il de nouveaux publics à atteindre ?
A. C. : Les publics sont toujours, à notre sens, « à atteindre », dans la mesure où il n’est jamais possible de considérer un public définitivement acquis ; autant dire que le rapport avec le public devra être perpétuellement entretenu. Néanmoins, nous souhaitons développer à très court terme des actions plus orientées, vers des couches spécifiques de public, tels que les jeunes et les personnes âgées. D’autre part, il faudra donner suite au travail vers les publics handicapés qui a été développé ces dernières années, notamment vers les malentendants.
A. T. : Quelle programmation doit dominer, selon vous, au Théâtre São Luiz ?
A. C. : Depuis son ouverture, le Théâtre s’est établi, dans son rôle de diffusion, comme un lieu de croisement et de rencontre parmi un vaste éventail d’expressions et de générations d’artistes portugais. Cette diversité devra suivre son cours tout en allant vers des nouveaux rapports avec la province et des liens nouveaux avec l’international.
A. T. : Le théâtre de votre ville s’adresse-t-il à un public suffisamment large ?
A. C. : C’est avec Jorge Salavisa, le précédent directeur, que le Théâtre São Luiz a développé et constitué un public fidèle. Néanmoins ce développement, comme dans n’importe quel autre théâtre, doit être entretenu et élargi en accompagnant et en intégrant les changements socioculturels incessants de la ville. Lisbonne a énormément changé socialement dans la dernière décennie, en devenant pour la première fois dans son histoire récente, une ville d’immigrants d’origines très diversifiées. C’est ce qui représente un nouveau défi, au niveau de l’identité de Lisbonne, comme ville multiculturelle. En outre, cette nouvelle identité la rattache à son passé historique de « Ville Mondiale » aux XVe et XVIe siècles.
A. T. : En quoi le Théâtre São Luiz est-il différent du Théâtre National ? Quelles sont ses responsabilités particulières ?
A. C. : Le Théâtre São Luiz, la salle la plus importante de la ville, devra veiller à un engagement tout particulier avec son territoire et à la composition sociale, culturelle et humaine de la ville. C’est dans cet engagement que le théâtre pourra développer une identité sur le long terme, puis développer cela au niveau national et international.
A. T. : Encouragez-vous le Théâtre São Luiz dans le dialogue avec d’autres « théâtres de ville » dans le monde ?
A. C. : C’est justement ce travail qui reste encore à approfondir et sur lequel nous concentrerons nos efforts dans un avenir proche. Le projet sur le Fado que nous menons cette année en partenariat avec le Théâtre de la Ville de Paris, intégrant le cycle « Chantiers d’Europe, Chantiers du Monde » en constitue un seuil très important, que nous considérons comme première étape d’un rapport plus soutenu dans l’avenir.
A. T. : Quelle place occupe le Théâtre São Luiz aujourd’hui, dans la politique de la ville ?
A. C. : Il occupe une place centrale dans la programmation culturelle municipale ; son rôle devra être articulé avec la mission du théâtre Maria Matos, l’autre salle municipale consacrée à une programmation contemporaine plus risquée. À l’instar du Maria Matos, São Luiz devra consolider un positionnement basé sur une programmation plus éclectique et diversifiée, orientée vers des publics plus étendus.
A. T. : Dans la politique culturelle de la ville, sur le plan financier, le théâtre est-il une priorité ?
A. C. : Bien sûr, et en dépit de la conjoncture assez contraignante que traverse la municipalité en raison de la crise financière, São Luiz est le Théâtre Municipal qui dispose du budget le plus élevé, parmi les salles de spectacles de la ville de Lisbonne.