Le KVS de Bruxelles, un théâtre d’émancipation pour les nouvelles minorités urbaines

Entretien
Théâtre

Le KVS de Bruxelles, un théâtre d’émancipation pour les nouvelles minorités urbaines

Entretien avec Jan Goossens

Le 16 Juil 2011
Le KVS. Photo Gert Jochems

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Le KVS. Photo Gert Jochems
Article publié pour le numéro
Couverture du 109 - Le théâtre en sa ville
109

BERNARD DEBROUX : Par­lons des orig­ines du Konin­klijke Vlaamse Schouw­burg (KVS). Ce rap­port à la ville exis­tait-il déjà dans ses mis­sions au début ?

Jan Goossens : Le KVS est un théâtre qui était très lié à l’émancipation cul­turelle des Fla­mands de Brux­elles. À l’époque, dans les années 1880, les Fla­mands étaient majori­taires mais n’étaient presque pas représen­tés dans la vie poli­tique et cul­turelle. C’est un théâtre qui, tout comme le NTGent à Gand et le KNS à Anvers était un théâtre de ville, une com­pag­nie de réper­toire. Il était lié en même temps à cette volon­té ou ce besoin de la com­mu­nauté fla­mande de Bel­gique de dévelop­per une vie cul­turelle pro­pre et plus ou moins insti­tu­tion­nal­isée. Bien sûr, il y avait à Brux­elles la spé­ci­ficité de se retrou­ver dans une ville où il fal­lait cohab­iter avec les Fran­coph­o­nes. C’est ce rôle-là que le KVS a con­tin­ué de jouer pen­dant plus d’un siè­cle, jusqu’au début des années 1990. Il y a eu plusieurs directeurs qui avaient des ten­dances dif­férentes, de pop­u­laires à pop­ulistes… Dans les années 1950 – 1960 avec Vik De Ruyter, c’est devenu un théâtre intéressé par l’avant-garde dans la cul­ture fla­mande. Il a présen­té, par exem­ple, des pièces de Hugo Claus. Mais c’était un lieu organ­isé de façon plus ou moins tra­di­tion­nelle avec un directeur artis­tique-met­teur en scène à sa tête, une troupe d’acteurs fla­mands (tout était joué en néer­landais). Il le fal­lait, surtout d’un point de vue sym­bol­ique. D’un point de vue artis­tique et cul­turel, c’était rarement intéres­sant. C’était une sorte de Théâtre nation­al de la com­mu­nauté fla­mande, même s’il y a tou­jours eu d’autres théâtres, à Anvers et Gand. Dans la Com­mu­nauté fla­mande, il y a tou­jours eu ce désir ou cet espoir d’en faire un théâtre nation­al fla­mand et une com­pag­nie nationale fla­mande.

Vers la fin des années qua­tre-vingt, début des années nonante, il y a eu une crise dans ces trois théâtres et surtout au KVS. Crise artis­tique, parce qu’à par­tir des années qua­tre-vingt, des développe­ments intéres­sants ont vu le jour dans les arts de la scène fla­mande. Mais tout se pas­sait en dehors de ces trois insti­tu­tions, et très sou­vent directe­ment en réac­tion à ces insti­tu­tions. Ces trois théâtres n’avaient plus de liens avec le paysage artis­tique fla­mand, ni avec les villes où ils étaient implan­tés. Le KVS, surtout, restait un théâtre exclusi- vement fla­mand, avec un réper­toire plutôt tra­di­tion­nel, en langue néer­landaise, et tou­jours les mêmes comé­di­ens, des Néer­lan­do­phones vivant en dehors de Brux­elles. Un pro­jet artis­tique de ce type, dans une ville où les fla­mands étaient devenus une vraie minorité, très bien pro­tégée mais une minorité quand même, n’avait plus vrai­ment de sens. On l’a sen­ti très forte­ment et très directe­ment pen­dant la pre­mière année qu’on a passée à Molen­beek, en 1999 – 2000, au Bote­lar­ij1. Le pro­jet était tou­jours très fla­mand et plutôt tra­di­tion­nel.

B. D. : Il y avait quand même déjà des ouver­tures à ce moment-là ? 

J. G. : Oui mais struc­turelle­ment par­lant, pas telle­ment.

B. D. : Je me sou­viens de la Fura del Baus qu’on avait présen­té dans le cadre de Brux­elles 2000 pour lequel je tra­vail­lais.

J. G. : C’était des accueils ou des fes­ti­vals par­ti­c­uliers, ce n’était pas à l’échelle de la pro­duc­tion pro­pre, de l’ensemble du réper­toire. La qual­ité avait aug­men­té depuis que Frans Mar­i­j­nen était arrivé à la direc­tion, mais la vision et la mis­sion étaient restées plus ou moins les mêmes. Pen­dant cette pre­mière année à Molen­beek, il est devenu très clair que ce KVS était un ovni dans cette com­mune et à Brux­elles. Le pub­lic tra­di­tion­nel fla­mand ne venait plus parce que c’était soi-dis­ant beau­coup trop dan­gereux, et les nou­veaux Brux­el­lois du quarti­er n’avaient aucune rai­son de s’identifier avec ce KVS. Il y avait aus­si d’énormes prob­lèmes financiers, on ne savait pas quand la réno­va­tion du théâtre serait ter­minée, il n’y avait plus de pub­lic, plus de sous, et bien que l’infrastructure soit intéres­sante dans ce lieu, elle exigeait une approche com­plète­ment dif­férente. C’est après cette pre­mière sai­son que Fanz Mar­i­j­nen a démis­sion­né. Il fal­lait donc, soit réin­ven­ter la mis­sion de ce théâtre, soit l’abandonner. Cette ques­tion a vrai­ment été posée dans le secteur cul­turel et même poli­tique.

B. D. : En com­para­i­son, le Kaaithe­ater avait béné­fi­cié, grâce aux investisse­ments, de développe­ments artis­tiques impor­tants…

J. G. : Oui. Et les artistes émer­gents comme Anne-Tere­sa De Keers­maeck­er, Wim Van­dekey­bus, Jan Lauw­ers, DitoDi­to, à Brux­elles, ne voulaient surtout pas tra­vailler au KVS ! Alors que le KVS con­tin­u­ait à « manger » la majorité du bud­get cul­turel fla­mand. C’était pénible.

Papy Mbwiti, Jovial Mben­ga, Roch Bodo Bok­a­bela, Star­lette Math­a­ta, Ste­fanie Claes et Bar­bara Claes dans À L’ATTENTE DU LIVRE D’OR, mise en scène Johan Dehol­lan­der et Geert Opsomer, dra­maturgie Geert Opsomer et Nico Boon, KVS, 2010. Pho­to Phile Deprez.

C’est alors que nous nous sommes posé la ques­tion, en dia­logue avec des Brux­el­lois mais aus­si avec des gens d’en dehors de Brux­elles de com­ment réin­ven­ter avec per­ti­nence la mis­sion de ce théâtre. Il s’agissait bien d’une réin­ven­tion, parce qu’on ne reje­tait pas com­plè- tement ce que le KVS avait essayé d’être dans cette ville et dans cette Com­mu­nauté fla­mande. Dès le début, on s’est dit qu’on allait réin­ven­ter et trans­former ce théâtre, en le faisant évoluer d’une com­pag­nie de réper­toire fla­mand plutôt tra­di­tion­nel, en vrai théâtre urbain qui prendrait comme point de départ la réal­ité de cette ville. La mis­sion orig­inelle dans le sens de l’émancipation restait aus­si au cœur de ce pro­jet. Mais peut-être que le KVS pou­vait à présent jouer ce rôle d’émancipation dans ce com­bat vis-à-vis d’autres minorités et d’autres com­mu­nautés…

Nous avons l’ambition, en toute mod­estie, de con­tribuer à la ville et à la nation de demain. C’est ce qui m’intéresse dans la notion d’un théâtre nation­al, ce n’est cer­taine­ment pas la restau­ra­tion ni la prés­er- vation, mais la con­struc­tion d’un avenir partagé dans des villes où l’on sait que de plus en plus de gens qui y vivent n’en parta­gent pas le passé mais pour­raient un jour en partager l’avenir. C’est ce qu’on essaie de faire depuis dix ans.

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Bernard Debroux
Bernard Debroux
Fondateur et membre du comité de rédaction d'Alternatives théâtrales (directeur de publication de 1979 à...Plus d'info
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