AUX CONFINS du monde, à côté du Rio de la Pla­ta, Buenos Aires. Un vrai bas­tion théâ­tral, le plus aus­tral d’Amérique. Toute la ville est jalon­née de théâtres : on trou­ve, dans tous les quartiers, de petites salles de théâtres indépen­dants où se déroule la plus grande par­tie du théâtre local. Dans le cen­tre, et par­ti­c­ulière­ment sur l’avenue Cor­ri­entes, artère pop­u­laire de la ville, à côté des grandes librairies et cafés, s’étend une série de théâtres qui créent une sorte de « Broad­way créole ». Au cœur de ce scé­nario bouil­lant, d’une grande diver­sité dra­ma­tique, le San Martín occupe une place cen­trale. Prin­ci­pal Col­isée de la ville, il a joué un rôle décisif dans l’expansion et l’affirmation de la cul­ture de la scène de Buenos Aires, pro­je­tant de là son influ­ence sur le reste du pays.

Con­trastant avec la moder­nité élo­quente du San Martín, dont le bâti­ment est une des œuvres les plus puis­santes du style ratio­nal­iste argentin, le grand théâtre lyrique El Colón est une œuvre mag­nifique de renom­mée inter­na­tionale dont le cen­tre expéri­men­tal accueille aus­si des œuvres de théâtre orig­i­nales. Les deux théâtres, soutenus par le gou­verne­ment de la ville, font par­tie inté­grante du paysage urbain de Buenos Aires : impos­si­ble d’imaginer cette ville sans ces présences cap­ti­vantes.

À la dif­férence de ce qui se passe dans les autres cap­i­tales du monde, la struc­ture publique du théâtre de Buenos Aires est soutenue majori­taire­ment par le gou­verne­ment autonome de la ville. La ville a pro­posé au théâtre San Martín, établi dans son bâti­ment depuis 1960, d’amplifier et de diver­si­fi­er son pat­ri­moine : c’est ain­si que le théâtre de la Rib­era, situé dans « la Boca », quarti­er qui porte l’empreinte de l’immigration ital­i­enne, El Pres­i­dente Alvear, local­isé au cen­tre, El Regio, dans le quarti­er de Chacari­ta et El Sarmien­toà Palerme, à côté du zoo de la ville, sont regroupés depuis l’an 2000 au sein du Com­plexe théâ­tral de Buenos Aires sous la houlette du théâtre San Martín. Le directeur du théâtre San Martín est égale­ment le directeur du com­plexe.

Depuis son inau­gu­ra­tion, le théâtre se pro­file comme une entité cos­mopo­lite et idéologique­ment pro­gres­siste, recon­nue et appuyée par la cri­tique et le pub­lic – en majorité issu de la classe moyenne pro­fes­sion­nelle – et por­teur d’une influ­ence déter­mi­nante sur la vie théâ­trale de Buenos Aires et de toute l’Argentine.

Quel est le rôle fon­da­men­tal de ce théâtre, d’importance vitale pour la cul­ture urbaine ? Com­ment affronte-t-il le dia­logue avec l’environnement urbain dans lequel il s’insère : un scé­nario plein de con­tra­dic­tions, de luttes sociales, poli­tiques et raciales mais aus­si de ren­con­tres stim­u­lantes ? Quelles straté­gies développe-t-il pour s’acquitter de ses tâch­es essen­tielles ? Quelles alter­na­tives artis­tiques offre-t-il au pub­lic ? Com­ment répond-il au change­ment des habi­tudes sociales et cul­turelles dans une métro­pole qui offre une écras­ante diver­sité cul­turelle ? En quoi ses approches se dif­féren­cient-elles de celles des autres théâtres, tant publics que privés ? 

Afin d’aborder ces inter­ro­ga­tions, et bien d’autres qui ren­for­cent son rôle stratégique d’entité publique, le théâtre a pro­posé en 2010 une « réflex­ion et un débat col­lec­tif » aux­quels ont été con­vo­qués un groupe de spé­cial­istes et de per­son­nal­ités cul­turelles. Tout au long de onze semaines de tra­vail, directeurs, comé­di­ens, cri­tiques, chercheurs, ex-directeurs généraux de théâtre, pro­duc­teurs, acteurs cul­turels, élèves et poli­tiques ont débat­tu et échangé des expéri­ences sur ce qu’on attendait du San Martín dans les cinquante prochaines années. Toutes ces analy­ses et réflex­ions ont été pub­liées sous le titre « Apports au théâtre de Buenos Aires au XXIe siè­cle »¹. Ce fut l’approche sin­gulière choisie pour la célébra­tion du cinquan­tième anniver­saire du théâtre qui a eu lieu l’année dernière.

Alber­to Lig­alup­pi, nou­veau directeur du théâtre, inter­rogé au sujet de ses attentes quant au fonc­tion­nement du théâtre et de ses rela­tions avec la ville, répond sans hési­ta­tion que « le théâtre rede­vien­dra le théâtre des jeunes » comme il le fut à ses débuts. Cette affir­ma­tion ne va pas à l’encontre des mérites du théâtre actuel, mais affirme plutôt une volon­té d’amélioration et de réno­va­tion, une recherche de stim­u­la­tion à tra­vers un con­tact plus flu­ide avec la frange de spec­ta­teurs plus jeune.

Cela se traduit par la recherche de nou­veaux textes ain­si que des ini­tia­tives nou­velles qui, sous des formes divers­es, inten­si­fient la présence du théâtre dans son envi­ron­nement urbain. L’autre grande ori­en­ta­tion de la nou­velle direc­tion est l’actualisation tech­nologique du théâtre qui influera sur sa capac­ité pro­duc­tive.

Le théâtre San Martín de Buenos Aires est le plus grand théâtre d’Argentine et d’Amérique latine. Il a su affron­ter fière­ment les crises poli­tiques et économiques suc­ces­sives tout au long de son his­toire. Il se trou­ve aujourd’hui aux portes d’une nou­velle étape qui implique des défis con­sid­érables. La ville, aujourd’hui plus que jamais, doit compter avec lui, véri­ta­ble refuge qui incite à la lib­erté et l’imagination de tous ses habi­tants.

Le théâtre San Martín occupe une super­fi­cie cou­verte de 45 000 m² et accueille annuelle­ment plus d’un mil­lion de per­son­nes. Sa struc­ture com­porte trois corps de bâti­ment, trois étages et qua­tre sous-sols et accueille trois salles de pre­mier ordre (Casacu­ber­ta, Martín Coro­n­a­do et Cunill Cabanel­las) et de nom­breux autres lieux qui com­plè­tent son offre cul­turelle par­ti­c­ulière­ment riche : un espace dédi­cacé au ciné­ma, la salle Leopol­do Lugones, où est pro­jeté depuis plus de quar­ante ans le meilleur du ciné­ma mon­di­al. La galerie pho­to, divisée en deux espaces, est con­sacrée à l’art pho­tographique argentin et mon­di­al. Le Hall cen­tral, lieu de ren­con­tre, est une sorte d’amphithéâtre intérieur qui fonc­tionne comme une vraie salle de con­cert gra­tu­ite, ouverte aux expres­sions musi­cales les plus divers­es. Les ate­liers de tech­niques de scène se trou­vent dans le sec­ond corps du théâtre. Le théâtre pos­sède égale­ment un cen­tre de doc­u­men­ta­tion qui dis­pose d’archives impor­tantes sur le théâtre de la ville.

1. Source : teatro San Martín – 50 años, 2010, Edi­ción del com­ple­jo teatral de Bs. As. ↩︎