Le cabaret est un portail entre le monde du réel et le monde du rêve, une fracture d’où se projettent des éclaboussures. C’est là que les êtres rêvé·e·s peuvent muter en matière et s’incarner. Depuis que la Crise est venue s’asseoir sur un peu tous les gâteaux, les êtres réel·le·s et les êtres rêvé·e·s se croisent au cabaret.
Ce portail donne sur une véritable carrière de care, une source de magie caressante pour contrer les carences, en contrebalance avec la propagande des curistes1.
Le cabaret est un portail externe. Le trauma, quant à lui, est un portail interne aux êtres (rêvé·e·s comme réel·le·s). Ce portail, situé sous le poitrail, connecte le monde du réel et celui du cauche- mar. Une telle fracture est due à un choc externe qui peut être d’origine magique (dû à un sort ou une malédic- tion) ou pas magique du tout (genre une blessure physique ou psychique). Si le portail interne n’est pas soigné2 ou mal pris en compte (si l’on en a honte), il entraîne des mutations patho- logiques pour l’être porteureuse (ou plutôt l’être portemalheu- reuse) et son entourage. La fracture du cabaret est une réaction directement pro-portillon-nelle en rééquilibrisme avec les ouvertures de traumas. Quand s’ouvrent un grand nombre de portails internes, doivent s’ouvrir des cabarets. Pour guérir un trauma, il ne suffit pas que s’ouvrent des cabarets. Il faut qu’ait lieu, dans ces lieux ou ailleurs, une transmue du trauma en aura. L’aura, ou tunnel de chèvrefeuille, n’est pas un portail à proprement parler, mais un faux pli de monde. C’est une extériorisation de portail interne, un retournement de fracture comme un gant. L’aura est le futur du verbe avoir, autant que le trauma est le futur du trounoir. La force centripète est transmuée en force centrifuge. L’aura ne donne plus à voir sur le monde du cauchemar, mais diffuse le monde intérieur de l’être. Les contours ne sont pas cautérisés comme le recommandent les curistes3. Il n’est pas donné à tout le monde de transmuer le trauma en aura. Certain·e·s êtres trouvent seul·e·s et deviennent des trouvers ; d’autres auront besoin de l’aide de trouvers4.
Parlons du chaos élémentaire. Il s’agit d’un espace-temps sans espace ni temps où les éléments et les énergies singulières entrent en collision dans un cycle sans fin de création et de déconstruction. Cette grande fluidité des ingrédients dont sont faits les mondes, c’est là que se rejoignent, s’entrechoquent et fusionnent rêve, cauchemar et matière sans distinction sémantique ou formelle de vie ou de mort, ni même morale de bien ou de mal.
Notons au passage que la limitance entre bien et mal fluctue d’une militance à l’autre. Il y a de part et d’autre des tentatives et des stratégies pour survivre, pour faire croire en ses pouvoirs et les faire croître, pour rendre un environnement propice à la prolifération de sa communauté. Dans le monde réel, un·e être rêvé e peut rester figé.e en un temps très relatif5. Et la magie permet de naviguer dans un environnement peu propice, notamment via les mues.
On appelle mue ou mutation une transformation partielle ou totale dans la matière chez un·e être réel·le ou rêvé·e. L’être vient à paraître ou à apparaître différent·e, suite à un sort ou pour survivre à l’influence d’un trauma. Les mue·tation·s sont controversées. Elles contrarient le maintien d’une corpo-identité, mais elles permettent la survie, l’adaptation à un environnement devenu non propice. Sans parler du fait qu’elles entraînent des mutations sur d’autres êtres ou sur l’environnement ! On se souvient du cas des madonnes, des georgeons, ou on les a oublié·e·s.
Voyons maintenant le sort. Il s’agit d’un mot ou groupe de mots prononcés volontairement ou pas méga-volontairement pour faire advenir des événements, un trauma ou des mue·tation·s sur un·e être cible. Lae cible garde un pouvoir d’agence dans le traitement des effets, mais à condition d’accepter son sort. « Sort » peut parfois dire destin6. Cependant, les dérangeaisons allumées par le sort sont parfois si intenses que l’être préfère arracher les parts atteintes plutôt que de caresser ces sources d’orgasme dans la peur de ne jamais pouvoir les éteindre. C’est dans ces cas limites que des êtres se retrouvent entre les mains des curistes7.
Malédiction. Étymologiquement, un mauvais mot dit, ou un mot mal dit. Volontairement ou non, mais proféré activement sur un coup de ras-le-bol ; et pas de bol, un filament de magie est passé par là comme un fil de toile d’araignée. Malédictionner, c’est prononcer des mauvœux, proche d’une source de rêve ou de cauchemar (une fracture, un portail donc source de magie). Si l’on porte un trauma, on a pas mal de pouvoir à malédictionner, vu qu’on transporte la source littéralement sous soi.
C’est pour cela que dans les cabarets, au pied d’une source puissante d’imaginaire et de magie mère, certain·e·s êtres bataillent dur comme fer pour ne pas dire ou faire des trucs malvoulants, même pour rire, parce que ça a tendance à s’incarner direct ! Sans parler des sorts qu’on entend de travers, que l’on n’entend pas ou qui sont proférés dans une langue dont on n’a pas le malédictionnaire sur soi. Il a été des fois où, des années plus tard, alors que la malédiction a encore cours, la victime retrouve saon agresseureuse et lae coupable n’a même pas souvenir d’avoir jeté la malédiction. Si ça se trouve, iel n’a fait que formuler une prédiction8.
Il reste un monde qui n’est pas un monde : le déréel, un semi-monde éthéré. Ce faux pli de monde (un peu comme l’aura) estompe les limites et mélange les couleurs en mode myope. Cette cachette parallèle ne mène nulle part. Elle a à voir du côté du réel, du rêve et du cauchemar. Le déréel pourrait servir de cache, de poche, d’alcôve où se lover, s’il n’était pas si anxiogène. Pour accéder au déréel, il faut que le portail du trauma soit actionné. Un mot, un mouvement, un geste peut réveiller les dérangeaisons du portail interne et en faire jaillir un tiger, carnassier invisible pour les autres êtres pourtant témoins. L’attaque d’un tiger9 entraîne l’être temporairement dans le déréel.
Les mots et les mouvements au cabaret sont des poignées de portail qui ouvrent ces chemins de liaison vers d’autres mondes. Les cabarets sont des carrières de care en éclaboussures, mais parfois en éboulements. Les curistes prétendent plus sécurement curer les carences de cœur en soudant par couture les contours des fractures. C’est sécure, mais ça ne guérit rien10.”
- Nous reviendrons sur le concept de curistes. ↩︎
- Vous l’aurez compris, on peut soigner un trauma. Nous allons y venir. ↩︎
- C’est promis nous en parlerons plus loin. ↩︎
- Là, je me demande si c’est pas plus important de vous parler des trouvers plutôt que des curistes. En attendant que je me décide… ↩︎
- L’espérance de vie, bof bof ! ↩︎
- Destin : récit, bout ou début de récit qui ne peut qu’arriver (selon une prédiction qui l’anticipe ou une malédiction qui le précipite). La magie ne peut rien contre le destin, sinon il n’y aurait aucun ordre et ce serait le bordel – sauf le respect que je dois au travail du sexe. Dans le chaos élémentaire, tout peut arriver et se défaire en tous sens. Dans le monde du réel, tout ralentit et se fige. La matière et les histoires font des grumeaux, donc ça fait du destin. ↩︎
- Oui, oui, bientôt ! ↩︎
- Prédiction : plus neutre que la malédiction, la prédiction (dérivée du mot près ou prêt, je ne sais jamais) est un sort de devination qui annonce l’horizon des événements. On n’a pas de contrôle sur leur source ni sur leur embouchure. Des fois, une prédiction peut avoir un impact similaire à une malédiction et entraîner un trauma précoce. Quand la prophétie est fausse, c’est dommage mais c’est trop tard. ↩︎
- Tiger warning. C’est ce pour quoi certain·e·s êtres du cabaret se battent : annoncer le risque d’une attaque de tiger aux spectateurices qui portent un trauma au poitrail, former des dompteureuses. Et dompter les tigers, c’est un métier qui nécessite salaire. ↩︎
- Ça me permet cependant de finir sur une sorte de définition des curistes. ↩︎