Aux déserteurs

Théâtre
Parole d’artiste

Aux déserteurs

Le 18 Oct 2015

A

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Article publié pour le numéro
126 – 127

C’EST UNE CHAMBRE silen­cieuse, une cham­bre de bois et de lumière, et des images sont peintes sur les murs et au com­mence­ment un enfant se tient là, à l’intérieur de la cham­bre, un enfant esseulé qui regarde le pla­fond ou qui regarde par la fenêtre ou qui regarde à l’intérieur de lui-même. Des amis vont venir. C’est dans la cham­bre que les amis vien­nent, c’est dans la cham­bre que les amis finis­sent tou­jours par venir pour peu qu’on sache les désir­er et les recon­naître, et c’est pourquoi l’enfant se tient là, dans l’impatience d’être rejoint. C’est dans la cham­bre que les amis vien­nent, fument, pleurent ou se taisent, restent les yeux clos ou se vautrent en ricanant, ça dépend, d’ailleurs toutes sortes d’amis vien­nent dans la cham­bre, avec toutes sortes de corps et de lan­gages, tan­tôt c’est une jeune fille nue, tan­tôt un ado­les­cent bavard, tan­tôt c’est tout un batail­lon d’écrivains, d’acteurs, de musi­ciens, et par­fois il se tient dans la cham­bre un ami qui n’a même pas de corps, c’est juste un livre, un disque, un objet per­du puis retrou­vé. Et par­fois la cham­bre ne se trou­ve pas ici mais dans une autre ville, dans un autre pays, c’est une cham­bre d’hôtel ou la mai­son d’un incon­nu, par­fois ça ne ressem­ble même pas vrai­ment à une cham­bre, par­fois c’est une église, une forêt, le com­par­ti­ment d’un train ou un cer­cle imag­i­naire au milieu de la fête. Par­fois la cham­bre est petite comme une chaise ou comme un cerveau, et par­fois la cham­bre est si vaste qu’on peut y faire entr­er les batailles, les con­quêtes et les cent mille bouch­es de la révo­lu­tion. Par­fois la cham­bre c’est une cham­bre, et par­fois la cham­bre c’est un théâtre. Néan­moins où qu’elle se trou­ve, quels qu’en soient la taille et l’agencement, il ne peut se tenir dans la cham­bre que des amis, évi­dente ques­tion de pro­to­cole, nul ne com­prendrait qu’il en soit autrement, ou pour mieux dire le fait qu’il en soit autrement paraî­trait sus­pect à quiconque con­naît la manière dont il con­vient de se tenir dans une cham­bre, surtout si c’est la cham­bre d’un mort ou d’un nour­ris­son, ce qui est le cas de toutes les cham­bres du monde. Il ne peut se tenir dans la cham­bre que des amis, liés par autre chose que de seules rela­tions de charge ou de profit, et ce pour la sim­ple rai­son qu’il s’agit d’une cham­bre et pas d’un vestibule. C’est pourquoi les cour­tisans n’y sont pas les bien­venus, pas plus que les mer­ce­naires, on n’y fait pas de pige de toute façon, on tâche de s’y écrire un des­tin, ça prend plus de temps et ça nour­rit mal, du reste quand par mégarde l’un d’entre eux s’aventure dans la cham­bre il s’y sent vite à l’étroit et n’y reste pas longtemps, pas com­plète­ment stu­pide il retourne au salon où il est plus à son affaire.

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Thierry Jolivet
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Thierry Jolivet
Thierry Jolivet est né en 1987 à Lyon. Après avoir étudié la littérature et le...Plus d'info
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