En 2019, Johanny Bert, metteur en scène et interprète, m’a commandé, ainsi qu’à d’autres, des chansons pour son spectacle-cabaret Hen. La demande était vaste, le personnage marionnettique offrant une liberté de ton et d’action presque sans limites. Je souhaitais participer à ce champ des possibles sans tabous. L’idée m’est venue très vite d’une ode au clitoris. J’ai commencé à fredonner différents airs, et le tango s’est imposé.
L’écriture d’une chanson naît, pour moi, de la mélodie. Une fois le thème choisi, c’est d’abord quelques notes ou un rythme qui me donnent la structure, le texte s’y love. Le sujet guide les mots, mais toujours en musique. Puis un jeu de ping- pong s’engage. Le mot aura toujours le dernier mot, car c’est surtout de cela qu’il s’agit. J’aime cet exercice de style dans lequel je peux comparer le clitoris à une queue, à une fleur, parler de son parfum, inclure la question du genre. Comme me l’a fait remarquer un ami compositeur, j’utilise souvent un vocabulaire qui ne devrait pas apparaître dans une chanson, ici : orifice.
C’est la deuxième fois que j’écris un tango.
Le premier « Tango et saucisson » est apparu dans le spectacle des Sea Girls La Revue (mis en scène de Pierre Nicolle). Le tango se danse à deux, quel que soit le genre de son·sa partenaire, quelquefois seul et, parce qu’il y a quelque chose de langoureux et d’exo- tique dans cette musique, les mots peuvent être crus, voire incongrus. C’est ce contraste que je recherche. Cette distance permet de ne pas se prendre au sérieux, quitte à aller jusqu’au clin d’œil un peu potache : « un doigt reste toujours un doigt ».
La chanson écrite pour le cabaret a cela de particulier qu’elle peut juxtaposer le dramatique avec le loufoque, le ridicule avec le beau, le tendre avec le cruel. Plus le contraste est grand, plus le rire sera grinçant. Elle reste surtout au service de l’artiste qui s’en empare. Dans ce cas précis, Hen. Après un cunnilingus explosif fait par un projecteur posé sur la scène, Hen interprète ce titre en se démembrant, devenant presque une œuvre cubiste.
Clitango appartient, avec humilité, à la longue liste des chansons qui utilise ce genre musical : Le Tango neurasthénique (Georgus/P. Chagnon, interprète Georgus), 1922 ; Y avait un thétango (C. L Pothier/C. Borel-Clerc interprète Alibert), 1927 ; Le Tango stupéfiant (H. Cor et P. Olive/R. Carcel interprète par Marie Dubas), 1936 ; Les Joyeux Bouchers (B. Vian/J. Walter), 1954 ; Le Tango des cocus (B. Big/J. Switten interprète A. Boulmé), 1970 ; Lumière tango (Boby Lapointe), 1971, et tellement d’autres.
Clitango
C’est le tango du clitoris
Au chaud dans le creux de mes cuisses
Il est dans son écrin de chair
Parfois caché, parfois offert
C’est le tango des lits mouillés
Après une nuit endiablée
Je suis fontaine, je suis ruisseau
Vas-y plonge-toi dans mes eaux
C’est le tango du clitoris
De mon ravissant appendice
Qui se gonfle, se gorge de sang
Quand tu le lèches longuement
C’est le tango de l’érection
D’un tout petit bout de mon con
Si tu l’excites un tant soit peu
Il se dressera comme une queue
C’est le tango du clitoris
Au milieu d’un bouquet d’iris
Mes lèvres sont comme des pétales
Dont les effluves te régalent
J’accueille tous les genres en somme
Les trans, les pans, les femmes, les hommes
Et s’ils sont les deux à la fois
Un doigt reste toujours un doigt
C’est le tango du clitoris
Goûte-moi c’est un vrai délice
L’orgasme arrive je le sens
C’est bon, encore, non, non… attends
C’est le tango de la jouissance
Il n’y a pas de coïncidence
Oublie un peu les orifices
Vas-y, dévore mon clitoris
N. B. Vous remarquerez que fréquemment, dans les chansons qui utilisent un genre musical précis, tango, java, valse, rock…, le terme est souvent utilisé dans le titre de la chanson : C’est La Java bleue (G. Koger‑N. Renar/V. Scotto), Invitango (J. M Rivière/G. Bourgeois), La Valse à mille temps (J. Brel), Jailhouse Rock (Jerry Leiber/Mike Stoller), ce qui est plus rare dans le répertoire actuel.