Mon Éden Cinéma

Théâtre
Parole d’artiste

Mon Éden Cinéma

Le 25 Avr 2009
Philippe Bérodot et Judith Magre dans LES DINGUES DE KNOXVILLE, Théâtre National de Belgique, 1999. Photo Lionel Fourneaux.
Philippe Bérodot et Judith Magre dans LES DINGUES DE KNOXVILLE, Théâtre National de Belgique, 1999. Photo Lionel Fourneaux.

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Philippe Bérodot et Judith Magre dans LES DINGUES DE KNOXVILLE, Théâtre National de Belgique, 1999. Photo Lionel Fourneaux.
Philippe Bérodot et Judith Magre dans LES DINGUES DE KNOXVILLE, Théâtre National de Belgique, 1999. Photo Lionel Fourneaux.
Article publié pour le numéro
Couverture du numéro 101 - Extérieur Cinéma - théâtre national de Nice
101

L’anneau de fer rouil­lé est encas­tré dans le mur, la longe du cheval est de trois à cinq mètres, et je suis, moi, attaché au bout de la longe. Pour de sim­ples raisons de sécu­rité, je ne suis vrai­ment pas un enfant mar­tyr mais plutôt un enfant roi. J’ai devant moi la cour de ferme, avec son étable, son tas de fumi­er, son hangar, son écurie, l’abreuvoir, le gre­nier, la grange, l’étable, la porcherie, et plus loin la route. C’est la toute fin des années quar­ante. Je dois avoir entre deux et cinq ans, c’est la fin de mat­inée ou le début de l’après-midi, cela se pro­duit et repro­duit dès que le temps le per­met. J’ai dû, là, je sup­pose, décider que cette cour de ferme était mon Eden-ciné­ma. Je dis­pose d’un stu­dio, la longe me sert de rail pour mes trav­el­lings semi-cir­cu­laires, j’use et j’exerce mon regard caméra. Aujourd’hui encore il me suf­fit de fer­mer les yeux pour  cadr­er et organ­is­er à ma con­ve­nance, entrées, pro­fondeurs, et sor­ties de champs des machines, ani­maux, et com­mis de ferme.

Dans ce même Eden à l’écart du monde où je reste mes presque sept pre­mières années, le fac­teur livre chaque semaine Le Miroir des sports pour mon géni­teur et chaque mois Mon Film pour ma géni­trice, qui cul­tive alors un amour immod­éré pour l’acteur Jean Marais. Ce men­su­el est conçu comme un roman-pho­to, on y trou­ve tous les dia­logues du film choisi à la une dans des bulles qui sor­tent de la bouche des acteurs. Longtemps après je col­lec­tionne L’Avant-scène Ciné­ma dont Mon Film était la pré­fig­u­ra­tion. 

Un peu plus tard, c’est après le naufrage de la ferme, je dois avoir huit ou neuf ans, nous sommes réfugiés dans le bourg d’un vil­lage voisin, père et mère se sont recy­clés aux PTT, les fac­teurs sont invités à voir, gra­tu­ite­ment mais sous réserves de venir en tenue, Jour de fête de Jacques Tati. C’est aujourd’hui, indis­cutable­ment, le film que j’ai vu le plus grand nom­bre de fois, y com­pris dans sa ver­sion « col­orisée ». 

Pour devenir tit­u­laire tout fac­teur, aux­il­i­aire de la fonc­tion publique, se doit d’avoir le cer­ti­fi­cat d’études et de pass­er par Paris. Je vois ain­si mon père courir un soix­ante mètres et grimper à la corde avec des gamins à peine plus âgés que moi, puis nous débar­quons à Nan­terre, plus pré­cisé­ment au pre­mier étage d’un pavil­lon en pier­res meulières dans lequel on s’entasse. Le jeu­di, jour de con­gé sco­laire, ma mère qui usine dans la cap­i­tale me con­fie l’argent néces­saire au repas du midi. Ma sœur et moi pas­sons un pacte secret  : nous sauterons le repas et avec l’argent nous irons au ciné­ma La boule, ciné­ma de quarti­er spé­cial­isé dans les films de série B. Le pacte me per­met de voir la série des Lem­my Cau­tion et de décou­vrir un grand acteur, Eddie Con­stan­tine, dont le phrasé et l’interprétation exempte de toute psy­cholo­gie, aujourd’hui encore, me parais­sent d’une grande moder­nité. 

Le tout début des années soix­ante et les pre­miers ensem­bles HLM nous livrent à Saint-Denis un apparte­ment avec salle de bains et trois cham­bres, C’est Byzance s’exclame mon père. La mère, elle, a vite repéré un théâtre munic­i­pal, Gérard Philippe, où alter­nent pièces, var­iétés, meet­ings poli­tiques, vœux du Maire, mais surtout chaque mer­cre­di soir une séance de ciné-club. Je dois avoir qua­torze ans et me voilà abon­né à l’émerveillement. Il est tel que je vais par la suite diriger le ciné-club, il comptera jusqu’à trois mille mem­bres, je deviens sémi­o­logue, j’organise stages, fes­ti­vals, nuits du ciné­ma, un tra­vail qui trou­vera son aboutisse­ment dans les années qua­tre-vingts avec la créa­tion d’une des toutes pre­mières salles munic­i­pales, L’écran. 

Bref, mer­ci maman.

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Joël Jouanneau
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Joël Jouanneau
Joël Jouanneau est auteur et metteur en scène. À partir de 1990 et jusqu\\\'en 2003,...Plus d'info
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