Le Choeur des prières solitaires

Le Choeur des prières solitaires

Le 9 Avr 2001
Trash (a lonely PRAYER). Photo Lou Hérion.
Trash (a lonely PRAYER). Photo Lou Hérion.

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Trash (a lonely PRAYER). Photo Lou Hérion.
Trash (a lonely PRAYER). Photo Lou Hérion.
Article publié pour le numéro
Rwanda 94-Couverture du Numéro 67-68 d'Alternatives Théâtrales
67 – 68
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« Le chœur des prières solitaires » est surtout consacré à la création centrale du triptyque « Vérité », TRASH (A LONELY PRAYER), prise sous un angle très particulier mais qui mène également à RWANDA 94 : le traitement du chœur. L’article, écrit à la demande de Richard Kalisz pour la revue Rue des usines, no 34-35, printemps 1997,
examine les différents statuts de la voix parlée et de la « scénographie sonore» dans le triptyque « Vérité » et tout particulièrement TRASH. Ces expériences ont directement autorisé ce qui organise la forme de RWANDA 94, à la fois épique et cathartique.
Nous remercions Richard Kalisz pour son aimable autorisation à publier ce texte.

TRASH (A LONELY PRAYER), une créa­tion du Groupov, texte de Marie-France Col­lard et Jacques Del­cu­vel­lerie est le volet cen­tral du trip­tyque dit Vérité. Le spec­ta­cle a été créé en 1992 au Théâtre de l’Atelier Sainte Anne (Brux­elles), et repris à La Rose des Vents (Vil­leneuve d’Ascq) et au Théâtre de la Place (Liège).

His­to­ri­enne 5 :
« Foutre foutredieu foutredieu de foutu bor­del de merde foutredieu de foutu bor­del de merde de sale foutre merde merde foutredieu de sacredieu de foutu bor­del de chierie de merde de sale foutre de sale bite dégouli­nante de foutre pleine de foutre pis­sant son foutre foutredieu sacredieu moi petite fille à la nuit tombée per­due dans les bois ibis aux longues jambes ancrées dans la vase j’ai vu mon père mon père (ô Père) bais­er bais­er sa chi­enne sa chi­enne noire et lus­trée il la foutait mon père assis la bite grise et vio­lette du paysan sor­tie du pan­talon et sous mes yeux éblouis (ô Père) foutre foutre foutredieu de sacredieu de foutu bor­del de merde je t’en prie je t’en prie pisse pisse moi dans la bouche je t’en sup­plie pisse moi dans la gueule dans ma sale petite gueule de salope de chi­enne de putain sa chi­enne au bord de l’étang feux s’éteignant la chi­enne noire sor­cière à ses pieds il la foutait pro­fond sa queue aveu­gle (ô Père) entre les poils à genoux dans l’herbe où pointait la rosée déchi­rant l’orifice de l’animal bête aplatie au sol pris­on­nière elle gémis­sait douce­ment foutredieu sacredieu j’ai vu mon père décharg­er son foutre tout son foutre dans le cul de la chi­enne le cri du hibou cou­vrant celui de la buse ta queue ta queue donne moi ta queue amère ta bite s’il te plaît s’il te plaît je la bran­le je suis ta fille ta fille ta petite fille qui t’aime tu es ma fille ma fille ma petite fille que j’aime j’écrasais en même temps la tête du poussin noyé tor­dant le cou coupant les veines l’eau s’écoulait entre mes jambes (ô Père) j’ai pis­sé debout mon­trant ma fente ta queue ta queue ta bite dans ma bouche ma queue ma queue ma bite dans ta bouche dans le foin plus tard couchée dans tes bras il a for­cé le ven­tre de la gamine petite motte sat­inée fleur de lait cail­lé sen­tant bon goû­tant sucré salé c’est bien con­nu le sang le sang coulait son sang répan­du il le léchait remon­tant sur la chair ten­dre suçant suçant ogre dévo­rant seigneur volant son dû et les larges mains plates et calleuses autour du cou frag­ile (ô Père) s’aventuraient nul cri pour­tant mais un sourire lèvres d’enfant sur­prise de la nuit de la saint-jean oh mon père tu jouis­sais tu jouis­sais foutre dégouli­nant sur la petite fig­ure foutre foutre me faire foutre bran­ler des bites des queues des bites nous allons te bais­er salope putain ordure catin garce sale garce sale petite pute ven­tre velu de mon père odeur du temps brin de bruyère et sou­viens toi mus­cles de pierre mus­cles de fer mus­cles ten­dus de ther­mi­dor cas­ant odeur du temps et sou­viens t’en que je t’attends brin de bruyère sainte bite de mon père ils lui crachent à la gueule juste à côté du cimetière bouche ouverte mains attachées orties blanch­es lui cha­touil­lant la panse humal humant le humus nuit baveuse et liq­uide d’un coup de couteau net et franc coupèrent les liens s’écroule à terre le cou se rompt la tête claque je boirai tes larmes et ton sang je lécherai tes plaies ouvertes et pour­ries je ferai de toi (ô Père) vic­time immolée l’objet de mes orgies il rit d’une gifle fait volet la tête le sang dans tes veines égrène des sec­on­des éter­nelles cos­miques les étoiles les étoiles tu te vois propul­sée au cen­tre d’une galax­ie étrangère mail­lon d’humanité détachée de sa chaîne un ani­mal s’approche tu sens tout à coup un pelage te frôler la cheville caresse légère te rap­pelant la douceur amère de ton enfance le chien de dieu entame son orai­son jac­u­la­toire cul sacré dyon­isos en enfer tru­ie glanant dans la fange tu jouis écumante tu jouis tu te bran­les tu te bran­les tu te frottes salope extasiée vautrée dans un océan de foutre draguant la vase et des déchets tu te pares jusqu’à mourir noyée étouf­fée glabre et blême dans le désor­dre exubérant de tes cris frénésie gaspilleuse culte païen et Dar­win te remer­cie jus­tice jus­tice. »

TRASH affronte les mêmes ques­tions que les deux autres volets du trip­tyque : sens de la vie, place de l’homme et de la femme dans la nature, rôle de la con­nais­sance, ques­tion de la divinité, économie de la souf­france, fonc­tion de la poli­tique, etc. Mais il les situe à ces deux pôles extrêmes où les reli­gions aus­si bien que le matéri­al­isme dialec­tique ont beau­coup de mal à les saisir : la nais­sance de l’humanité, son dégage­ment dif­fus de l’animalité, et d’autre part la jouis­sance et la mort dans leur dimen­sion la plus intime, la plus indi­vidu­elle.
Un mar­tyr chré­tien, un résis­tant com­mu­niste peu­vent don­ner un sens à leur sac­ri­fice, mais ce sens est général, il vaut pour tous ceux qui parta­gent cette vision du monde, ce com­bat. La dimen­sion tout à fait per­son­nelle de cette dis­pari­tion demeure trou­blante1. De même pour la rela­tion sex­uelle. Régie par des lois, une morale dom­i­nante, ou mil­i­tante, ani­mée par un idéal, elle reste dans la sin­gu­lar­ité indi­vidu­elle extrême­ment mys­térieuse et sou­vent fort dif­férente des valeurs que la per­son­ne elle-même voudrait lui con­fér­er. Elle mêle inex­tri­ca­ble­ment ces trois plans sur lesquels tra­vaille TRASH : la chose archaïque, immé­mo­ri­ale et uni­verselle, même pas humaine en soi, dite de l’instinct (rut, coït, pro­créa­tion) mais tou­jours inscrite dans la cul­ture, un état his­torique don­né et, dans, ce monde-là, à ce moment-là, dans le fan­tasme et le désir d’un être sin­guli­er, unique. De sur­croît, non seule­ment la con­nex­ion de ces trois plans, mais cha­cun d’eux en lui-même est con­tra­dic­toire.

Ain­si ce qu’il est con­venu de désign­er comme « per­ver­sions sex­uelles » sem­ble a pri­ori pro­pre­ment humain, ou du moins anthro­poïde. Mais TRASH décrit quelques-uns des phénomènes sex­uels aber­rants de la nature, n’ayant aucune fonc­tion repro­duc­trice, déce­lables. De même, non seule­ment la sex­u­al­ité, mais le sexe même est désor­mais objet du tra­vail. La biogéné­tique per­met aujourd’hui, si la loi n’y met­tait obsta­cle pro­vi­soire­ment, de fécon­der une fille, vierge, de la semence d’un homme mort depuis de longues années… Par exem­ple… Ain­si « l’archaïque uni­versel », sans cess­er de nous tra­vailler, prend-il de plus en plus de rel­a­tiv­ité. Les mir­a­cles des mytholo­gies, les fan­tasmes soci­aux, entrent à leur tour dans le champ de la pro­duc­tion matérielle, pour le meilleur (ce serait pos­si­ble) ou pour le pire (c’est le plus prob­a­ble sans l’abolition du sys­tème du prof­it max­i­mal immé­di­at). Par où le poli­tique rede­vient, sur ce ter­rain même, absol­u­ment cen­tral.

Toute cette thé­ma­tique se déploie dans TRASH à tra­vers 6 locu­teurs, 5 femmes et un homme. Env­i­ron 80 % du texte est dévolu aux femmes, il est l’œuvre de Marie-France Col­lard, j’ai écrit les deux inter­ven­tions de l’homme. Celles-ci sont inspirées du style biblique, en par­ti­c­uli­er d’Isaïe et de Saint-Paul, mais le dis­cours poli­tique qui s’y exprime appar­tient aux ten­ants de la lutte armée. Cet homme, porte-parole du mys­térieux Réas, incar­ne une logique patri­ar­cale et puri­taine, alors même qu’il réclame jus­tice, com­pas­sion, amour du prochain. Un peu partout de par le monde aujourd’hui, les guérilleros islamistes, entre autres, en sont assez étroite­ment cousins.
L’essentiel du texte et de la scène revient cepen­dant aux femmes. Leur lan­gage util­isé nous ren­voie aux fron­tières de l’être par­lant, de l’être social, là où se risquent dans un même temps la jouis­sance et la nausée. Mais au lieu d’en être paralysé – tétanisé – on tente l’exploration de ce chemin. La langue des trans­gres­sions est rarement le fait des femmes, du moins dans la lit­téra­ture, comme si elle fai­sait par­tie d’un refoule­ment très ancien, issu de ces con­fronta­tions « archaïques » d’où émergea la néces­sité des pre­miers inter­dits fon­da­teurs.

Ceux-ci sont réini­tiés par cha­cun, dans la prime enfance, à tra­vers, entre autres, l’apprentissage du lan­gage et la con­fronta­tion à l’Autre, le « sexe opposé », pre­mière approche de l’altérité. Si les lieux de la trans­gres­sion ne sont plus sociale­ment organ­isés, cha­cun pour­tant porte encore en soi cette « part mau­dite », dev­enue main­tenant péché pour les uns, patholo­gie pour les autres… C’est elle qui s’exprime, qui s’explore à tra­vers la révolte de ces cinq femmes, isolées et cepen­dant unies dans cette volon­té de recon­nais­sance de soi.
Au reste, on aura con­staté que, non seule­ment TRASH, mais l’ensemble du pro­jet Vérité se décline au féminin. L’héroïne cen­trale de Claudel est Vio­laine, ou plutôt le duo des sœurs, Vio­laine-Mara. Quant à Pélagie Vlasso­va, chez Brecht, elle occupe une place
sans doute unique dans le réper­toire, puisqu’au milieu d’une trentaine de per­son­nages, elle appa­raît dans toutes les scènes de la pièce.

Vérité et formes chorales

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