Une ville sans théâtre respire moins bien qu’une ville avec un théâtre

Entretien
Théâtre

Une ville sans théâtre respire moins bien qu’une ville avec un théâtre

Entretien avec Hortense Archambault

Le 9 Oct 2015
SHÉDA, texte et mise en scène Dieudonné Niangouna, Carrière de Boulbon, Avignon, 2013. Photo Christophe Raynaud de Lage.
SHÉDA, texte et mise en scène Dieudonné Niangouna, Carrière de Boulbon, Avignon, 2013. Photo Christophe Raynaud de Lage.

A

rticle réservé aux abonné.es
SHÉDA, texte et mise en scène Dieudonné Niangouna, Carrière de Boulbon, Avignon, 2013. Photo Christophe Raynaud de Lage.
SHÉDA, texte et mise en scène Dieudonné Niangouna, Carrière de Boulbon, Avignon, 2013. Photo Christophe Raynaud de Lage.
Article publié pour le numéro
126 – 127

CHANTAL HURAULT : Au moment de pren­dre la direc­tion de la MC93 de Bobigny, après avoir dirigé le Fes­ti­val d’Avignon pen­dant dix ans avec Vin­cent Bau­driller, quel con­stat faites-vous de l’évolution de la répar­ti­tion des bud­gets au sein des insti­tu­tions cul­turelles ? 

Hort­ense Archam­bault : Un bud­get racon­te ce que l’on fait. Ces dernières années le con­texte général est celui d’une stag­na­tion, voire d’une diminu­tion des finance­ments publics pour la cul­ture. Donc, il faut trou­ver de nou­veaux moyens pour éviter que, les frais de fonc­tion­nement des théâtres aug­men­tant, cela n’entraîne une diminu­tion de la part artis­tique. La capac­ité d’investissement artis­tique de chaque insti­tu­tion a sou­vent été réduite. Au Fes­ti­val d’Avignon nous nous sommes attachés à la sta­bilis­er, ce qui a con­duit para­doxale­ment à une mul­ti­pli­ca­tion de l’activité. Il faut le faire dans la lim­ite de la capac­ité humaine de chaque insti­tu­tion. C’est un équili­bre savant à trou­ver entre les com­pé­tences, le temps néces­saire à chaque pro­duc­tion et l’activité générale. Quel est le pro­jet de trop qui met­tra en péril l’équilibre budgé­taire et l’organisation du tra­vail de cha­cun ? La prob­lé­ma­tique de nos métiers réside dans le niveau d’exigence que l’on souhaite obtenir, spé­cifique­ment quand on n’a pas l’argent de nos ambi­tions. Cela vaut pour les théâtres mais aus­si pour chaque pro­duc­tion. Du fait du tasse­ment général des moyens qui leur sont affec­tés, les pro­duc­tions sont sou­vent lancées sans que le bud­get soit bouclé. Il s’agit alors de savoir jusqu’à quel point les moyens – aus­si en terme de temps, d’équipe – peu­vent être dimin­ués sans que cela n’affecte pro­fondé­ment l’artistique. Il est par­fois plus judi­cieux de dif­fér­er. Cela ne sig­nifie pas que l’on se dés­in­vestisse, au con­traire. Ce sont des déci­sions que l’on a pu pren­dre par­fois, par exem­ple à Avi­gnon pour ORDET où Arthur Nauzy­ciel a préféré reporter sa créa­tion à l’année suiv­ante.

C. H.: Face à cette diminu­tion de la part d’investissement des lieux sur les pro­jets, les com­pag­nies doivent trou­ver plus de copro­duc­teurs pour finalis­er leurs bud­gets. N’assiste-t-on pas à une crise de confiance, avec de nou­veaux rap­ports de force entre les artistes et les théâtres, les pre­miers étant plus en demande, les sec­onds sur-sol­lic­ités ? 

H. A.: La sur-sol­lic­i­ta­tion des struc­tures est un fait, mais l’engorgement vient moins d’une surabon­dance de pro­jets que d’un accroisse­ment des démarch­es admin­is­tra­tives pour les mon­ter, que l’on a tous inté­grées comme indis­pens­ables.
La sit­u­a­tion actuelle vient d’une crispa­tion des rela­tions qui a com­mencé à l’époque où il y avait de l’argent. La baisse des bud­gets n’a fait que les amplifier. Cha­cun a sa part de respon­s­abil­ité. Les struc­tures d’accueil veu­lent assur­er leur bil­let­terie et n’achètent plus qu’une seule représen­ta­tion ou des séries cour­tes, ce qui aug­mente le prix de ces­sion. Les négo­ci­a­tions sont dev­enues de plus en plus ten­dues : les spec­ta­cles étant créés avec des bud­gets non final­isés, les com­pag­nies ont besoin de combler ce manque lors de la dif­fu­sion. Les copro­duc­teurs s’engagent désor­mais générale­ment sur une somme fixe alors que, lorsque j’ai com­mencé, nous con­trac­tu­al­i­sions des sociétés en par­tic­i­pa­tion. L’avantage était une prise de risques partagée avec une répar­ti­tion des excé­dents au pro­ra­ta des sommes engagées en cas de suc­cès et, si besoin, on se retrou­vait autour de la table pour abon­der au mieux. Les artistes ont pour leur part réduit l’implication des copro­duc­teurs, vus comme de purs financiers, et ont créé leur pro­pre com­pag­nie pour avoir une pleine maîtrise de leur pro­jet. À ce sujet, j’ai sou­vent dis­cuté avec les artistes sur l’importance de laiss­er leurs inter­locu­teurs assis­ter à des répéti­tions pour que, sans s’immiscer dans l’artistique, ils en sai­sis­sent les enjeux. Ces réflex­es d’auto-protection ont créé un écart. En somme, cha­cun est devenu un enne­mi poten­tiel, les théâtres se voy­ant par­fois même entre eux comme des rivaux.
Cepen­dant, une prise de con­science générale s’amorce. Les claus­es d’exclusivité ont ten­dance à dis­paraître, notam­ment entre Paris et sa région. Les pro­duc­tions déléguées aug­mentent, ce qui décharge les com­pag­nies qui sont le mail­lon le plus frag­ile de la chaîne. De fait, tout ne se résume pas en ter­mes financiers ; ce n’est qu’en redonnant à cha­cun le sen­ti­ment d’être par­tie prenante d’une même aven­ture que l’on redonnera du sens aux enjeux d’une créa­tion tant dans le par­cours de l’artiste que dans l’histoire d’un théâtre.

C. H.: Ces pris­es de con­science sont-elles suffisantes face aux baiss­es dras­tiques des finance­ments actuels ? 

H. A.: Je ne suis pas dés­espérée, mais nous devons réa­gir et revoir nos modes de fonc­tion­nement. on annonce en 2015 sur l’ensemble des col­lec­tiv­ités ter­ri­to­ri­ales une coupe de trois mil­lions de sub­ven­tions sur les 71 scènes nationales, en cumulé, c’est-à-dire, pour cer­taines, sans diminu­tion, pour d’autres, avec d’énormes baiss­es. Même si le Min­istère a garan­ti qu’il ne dimin­uerait pas les siennes, voire qu’il les aug­menterait, nous sommes, en tant que directeurs de struc­tures, dans une sit­u­a­tion d’urgence. Ce n’est qu’en se méfiant de nos réflex­es que l’on pour­ra con­tin­uer, en allant chercher l’argent dif­férem­ment et ailleurs, par exem­ple en sol­lic­i­tant, suiv­ant les pro­jets, des finance­ments hors cul­ture.
J’ai beau­coup enseigné ces deux dernières années, à des futurs pro­duc­teurs et admin­is­tra­teurs, ain­si qu’à de futurs met­teurs en scène. J’expliquais aux pre­miers, de façon sincère, que j’avais absol­u­ment besoin d’eux. Je suis issue de la dynamique des années qua­tre-vingt. J’ai vu cette péri­ode faste pren­dre fin et sen­ti en quoi cer­tains sché­mas de pen­sée deve­naient obsolètes. Le regard de cette nou­velle généra­tion peut nous aider à répon­dre aux change­ments de la société, avec des organ­i­sa­tions peut- être plus sou­ples, tournées vers la mutu­al­i­sa­tion des équipes, des logiques de l’économie sociale et sol­idaire.
Aux futurs met­teurs en scène, j’ai trans­mis l’intérêt d’appréhender leur démarche esthé­tique en l’associant immé­di­ate­ment au cadre dans lequel ils souhait­ent la men­er : avec quelle sorte de finance­ment, selon quel rap­port au pub­lic. Les impli­quer à la base de la réflex­ion sur sa mise en œuvre pour qu’ils ne subis­sent plus des modal­ités extérieures. Le con­texte de la représen­ta­tion, donc du pub­lic, est essen­tiel pour moi. Je pense que cela est dû à ces années passées à Avi­gnon où il se pose inévitable­ment, puisque les lieux de représen­ta­tion doivent être chaque année pen­sés et ré-agencés selon les artistes invités et les pro­jets. C’est avec l’artiste que nous pou­vons con­cevoir la façon d’accueillir au mieux son œuvre. Idéale­ment, l’organisation générale d’un théâtre, ses mis­sions, ce qu’il pro­pose, devrait faire l’objet d’une dis­cus­sion ouverte impli­quant asso­ci­a­tions, mou­ve­ments d’éducation pop­u­laire, enseignants, artistes – ce qui ne sig­nifie pas que l’artiste perde sa lib­erté d’expression ou le directeur celle de la pro­gram­ma­tion. C’est ce que je veux expéri­menter à Bobigny.

Miquel Barceló et Josef Nadj dans PASo DoBLE de Miquel Barceló et Josef Nadj, église des Célestins, Avignon 2006. Photo Christophe Raynaud de Lage.
Miquel Barceló et Josef Nadj dans PASo DoBLE de Miquel Barceló et Josef Nadj, église des Célestins, Avi­gnon 2006.
Pho­to Christophe Ray­naud de Lage.

A

rticle réservé aux abonné.es
Envie de poursuivre la lecture?

Les articles d’Alternatives Théâtrales en intégralité à partir de 5 € par mois. Abonnez-vous pour soutenir notre exigence et notre engagement.

S'abonner
Déjà abonné.e ?
Identifiez-vous pour accéder aux articles en intégralité.
Se connecter
Accès découverte. Accès à tout le site pendant 24 heures
Essayez 24h
Entretien
Théâtre
1
Partager
Chantal Hurault
Docteure en études théâtrales, Chantal Hurault a publié un livre d’entretiens avec Dominique Bruguière, Penser...Plus d'info
Partagez vos réflexions...
La rédaction vous propose
Mon panier
0
Ajouter un code promo
Sous-total

 
Artistes
Institutions

Bonjour

Vous n'avez pas de compte?
Découvrez nos
formules d'abonnements