Ivo van Hove : le théâtre aux deux bouts de l’opéra

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Ivo van Hove : le théâtre aux deux bouts de l’opéra

Le 24 Juil 2012

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Couverture numéro 113_113 - Le théâtre à l’opéra, la voix au théâtre
113 – 114

LA MUSIQUE, toutes les musiques inner­vent en pro­fondeur l’univers scénique d’Ivo van Hove : depuis le début, c’est « un élé­ment con­sti­tu­tif » de son théâtre, « un acteur à part entière »1. Sa pre­mière pièce, GERUCHTEN (Rumeurs, 1981), swinguait entre le tan­go et le dis­co, et sa deux­ième, ZIEKTEKIEMEN (Ger­mes­pathogènes, 1982), acco­lait un morceau de Queen, « Oh ! Dar­ling » des Bea­t­les, un air chan­té par Yves Mon­tand dans LE MILLIARDAIRE, des extraits des ban­des-son de James­Bondet de Cit­i­zenKane. Plus récem­ment, David Bowie voilait le ciel d’ANGELS IN AMERICA de Tony Kush­n­er (2008), Neil Young alan­guis­sait OPENING NIGHT et Bruce Spring­steen débridait HUSBANDS d’après Cas­savetes (2006 et 2012). L’insertion des chan­sons obéit elle-même à une modal­ité d’ordre musi­cal : écho du con­texte d’écriture, inter­lude ou osti­na­to, accom­pa­g­ne­ment ou point d’orgue émo­tion­nel, caisse de réso­nance du sous- texte ou vari­a­tion sur un thème par­fois tein­tée de par­o­die (« Hon­esty is such a lone­ly word » de Bil­ly Joel dans LE MISANTHROPE). Mais il n’est pas rare que la musique soit aus­si jouée en direct, com­posée par Har­ry de Wit pour UN TRAMWAY NOMMÉ DÉSIR (1995), par le groupe Bl!ndman pour les TRAGÉDIES ROMAINES (2007) et THÉORÈME d’après Pasoli­ni (2009) – des morceaux orig­in­aux d’Éric Sle­ichim encad­rant l’interprétation de quatuors de Beethoven et de Webern –, ou encore par Eef van Breen pour LE PROJET ANTONIONI, où reten­tis­sait aus­si la Marche funèbre de SIEGFRIED (2009)… Du dis­co à la musique sym­phonique, en pas­sant par le rock, la pop, le jazz et l’électroacoustique, les choix sont indé­nia- ble­ment éclec­tiques, aux­quels il con­viendrait encore d’ajouter la mise en scène de la comédie musi­cale RENT de Jonathan Lar­son (2000) ou la créa­tion d’une nou­velle CARMEN sur une musique de Stef Kamil Car­lens (2002).

Si l’ancrage de la musique ouvre la voie aux incur­sions dans l’opéra, non moins éclec­tique paraît de prime abord le réper­toire lyrique : LULU de Berg (Vlaamse Opera, 1999), L’AFFAIRE MAKROPOULOS de Janácek (Ned­er­landse Opera, 2002), IOLANTA de Tchaïkovs­ki (Ned­er­landse Opera, 2004), LE RING de Wag­n­er (Vlaamse Opera, 2006 – 2008) et IDOMÉNÉE de Mozart (Théâtre roy­al de la Mon­naie, 2010). Ces œuvres, autant la dis­par­ité des styles et l’amplitude des for­mats parais­sent les éloign­er, autant un fort coef­fi­cient de théâ­tral­ité les rap­proche, qu’elles tirent de la mytholo­gie ou de per­son­nages légendaires. Est-ce une coïn­ci­dence si plusieurs ont été mon­tées par Chéreau – ou si Chéreau, du moins, a mon­té des opéras écrits par les mêmes com­pos­i­teurs, à l’exception notable de Tchaïkovs­ki ? Sans doute pas. Car s’il est un met­teur en scène qu’Ivo van Hove admire tout par­ti­c­ulière­ment, pour l’intensité du jeu qu’il imprime aux chanteurs et pour sa direc­tion des chœurs, c’est juste­ment lui. Il n’est donc pas for­tu­it non plus que, dans sa pro­pre inter­pré­ta­tion du troisième acte de la WALKYRIE, il rap­pelle, comme en hom­mage, les chevaux de Chéreau présents en 1976 (on sait qu’ils ont dis­paru ensuite, qu’ils n’étaient qu’un « principe ini­tial » ou une « étape de l’apprentissage »)2. Chéreau, pour­tant, est venu plus vite, plus tôt, à la mise en scène lyrique. Pourquoi van Hove a‑t-il atten­du ? Par manque d’occasions ? Par insécu­rité ? Peut-être. Mais, par-dessus tout, la con­nais­sance du plateau lui sem­blait (et lui sem­ble tou­jours) indis­pens­able pour retrou­ver, dans un art aus­si « dis­ci­pliné » que l’opéra, la même lib­erté qu’au théâtre – une lib­erté sen­si­ble­ment écornée par celui qu’il qual­i­fie de « pre­mier met­teur en scène », le com­pos­i­teur, et celui qu’il désigne sous le nom de « sec­ond cap­i­taine du navire », le chef d’orchestre. Le théâtre est son ter­ri­toire et l’opéra sa con­quête. Théâtre-lab­o­ra­toire, opéra-mise à l’épreuve. Désor­mais, depuis une dizaine d’années, une cir­cu­la­tion s’est établie entre les deux formes et l’activité lyrique va s’intensifiant : en 2012 – 2013, Ivo van Hove va met­tre en scène DER SCHATZGRÄBER de Schrek­er au Ned­er­landse Opera, MACBETH de Ver­di à l’Opéra de Lyon et MAZEPPA de Tchaïkovs­ki au Komis­che Oper3.

LULU, le pre­mier opéra qu’il monte en 1999, lui per­met à la fois de renouer avec la matrice de l’œuvre, la pièce de Wedekind qu’il a mise en scène en 1989, et d’affirmer, ici comme au théâtre, son intérêt pour les per­son­nages féminins plus grands que nature, « forts et vul­nérables à la fois », sou­vent tor­turés, par­fois névrosés, tou­jours aliénés, mar­gin­aux, peut-être mon­strueux – des « out­siders » comme il les nomme. Lulu, femme fatale s’attirant les faveurs de tous, meur­trière mal­gré elle, pros­ti­tuée assas­s­inée dans la détresse ; Emil­ia Mar­ty, diva esseulée, fatiguée de liaisons super­fi­cielles comme d’une immor­tal­ité sans lende­main, mourant pour retrou­ver sa con­di­tion humaine ; Brünnhilde, brisant la loi pater­nelle, amoureuse solaire et trahie, entraî­nant dans son immo­la­tion la chute de l’ordre ancien ; Élec­tre, furieuse et vin­dica­tive, dou­ble som­bre de la pris­on­nière Ilia qui parvient, elle, à « tran­scen­der sa douleur » par un amour sal­va­teur. Blanche Dubois et Hed­da Gabler ne sont pas loin…

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Frédéric Maurin
Frédéric Maurin est maître de conférences à l’Institut d’Études Théâtrales de l’Université Sorbonne Nouvelle –...Plus d'info
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