Patachtouille : de l’opéra Bastille à l’écolo-queer

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Cabaret

Patachtouille : de l’opéra Bastille à l’écolo-queer

Le 10 Nov 2023
Patachtouille dans Cabaret Patach’ ou la métamorphose des pédoncules, création de Julien Fanthou, Manège-Scène Nationale de Reims, 2023. Photo Vincent VDH.
Patachtouille dans Cabaret Patach’ ou la métamorphose des pédoncules, création de Julien Fanthou, Manège-Scène Nationale de Reims, 2023. Photo Vincent VDH.
Patachtouille dans Cabaret Patach’ ou la métamorphose des pédoncules, création de Julien Fanthou, Manège-Scène Nationale de Reims, 2023. Photo Vincent VDH.
Patachtouille dans Cabaret Patach’ ou la métamorphose des pédoncules, création de Julien Fanthou, Manège-Scène Nationale de Reims, 2023. Photo Vincent VDH.
Article publié pour le numéro
Couverture du numéro 143 Cabaret - Althernatives Théâtrales
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Pat­a­chou, chtouille, potache, ouille ! Pat­ach­touille, c’est tout cela à la fois. Un pseu­do­nyme, polis­son et grave qui sied à mer­veille à ce chanteur-per­former icon­o­claste, qui après avoir con­tribué à la renais­sance de Madame Arthur crée, avec humour et panache, un genre nou­veau : le cabaret éco­lo-queer.
Pat­ach­touille nous a don­né ren­dez-vous dans un hôtel de luxe, en plein cœur du Marais, où il se pro­duira le soir même. Il y arrive avec une énorme valise. L’artisanat du cabaret coule dans les veines de cet artiste, éclec­tique et excen­trique, qui nous racon­te avoir créé son pre­mier spec­ta­cle, Le Gou­jon Foli­chon, en hom­mage à son arrière- grand-mère qui tenait un bor­del à Paris. Mais c’est à Alfortville que le bary­ton et ancien chanteur d’opéra, que l’on a notam­ment pu enten­dre à l’opéra Bastille, a gran­di, avant que ses par­ents ne quit­tent la ban­lieue, parce qu’il y avait « de mau­vais­es fréquen­ta­tions », glousse-t-il en sirotant son verre. On veut bien le croire. On devine une ten­ta­tion pour les voy­ous chez ce lecteur de Jean Genet qui devient, la nuit, une « créa­ture chimérique », fan­tai­siste et extrav­a­gante, dans des lieux et cabarets éclec­tiques, et notam­ment chez Madame Arthur, mythique cabaret des nuits mont­martrois­es qu’il a con­tribué à faire renaître.

Le cabaret, il l’a décou­vert à la télévi­sion, avec le diver­tisse­ment pop­u­laire et la chan­son de var­iété. Ensuite, à la salle poly­va­lente et dans des con­ver­sa­tions entre adultes. Puis vient la cul­ture qu’il se forge jeune homme : Kurt Weil, Aris­tide Bru­ant, Le Chat noir, les dessins de Lautrec. Toute une mémoire d’un passé qu’il n’a pas con­nu.

Mais d’où vient sa fas­ci­na­tion pour le monde de la nuit ? « Le cabaret, ce n’est pas la nuit, c’est l’entre-jour », nuance Pat­ach­touille. Le grand mélange des class­es sociales, l’absence de rap­port frontal du spec­ta­teur à l’artiste de scène ont tou­jours cap­tivé le trans­formiste. « Des gens qui, à table, créent un entre-soi, pen­dant qu’un artiste exé­cute, ça m’a tou­jours trou­blé. Moi qui étais habitué à l’opéra, au silence de la salle et au chef d’orchestre, ce qui me per­tur­bait le plus, c’était la non-écoute d’une par­tie de l’auditoire. Elle me fai­sait du mal, mais je ne la sen­tais pas illégitime. » Sa pre­mière incur­sion s’y fait en 2014, lorsque Car­o­line Loeb met en scène Le Gou­jon Foli­chon.

La folle nais­sance de Pat­ach­touille

Mais le déclic, qui donne nais­sance à Pat­ach­touille, sur­git d’un drame col­lec­tif : les atten­tats du Bat­a­clan, le 13 novem­bre 2015. « J’étais chanteur lyrique, je me con­sid­érais comme un exé­cu­tant. Je respec­tais le réper­toire d’une façon très rigoureuse, etc. Survi­en­nent les événe­ments du Bat­a­clan, deux semaines de vide. Je prof­i­tais de la nuit à titre per­son­nel, je suis allée chez Madame Arthur, parce que c’était l’un des rares lieux qui étaient ouverts à ce moment-là, Mon­sieur K. m’a pro­posé de m’y pro­duire, j’ai tout de suite dit oui. Je me suis dit : « Je dois ça à la jeunesse ! » » Sa déci­sion est aus­si poli­tique, le chanteur est con­scient que son pub­lic guindé, à l’opéra, détient le cap­i­tal et le pou­voir.

C’est aus­si une libéra­tion per­son­nelle. Son pseu­do­nyme lui per­met de lever le voile sur sa séropos­i­tiv­ité. « Ça fait vingt-trois ans que je suis séroposi­tif, ne pas en par­ler deve­nait un poi­son. Ce patronyme psy­chomag­ique à la Jodor­owsky m’a per­mis de partager cela dans la joie. » Fille d’une per­ruque et du fan­tôme de l’opéra, née un soir d’orage, Pat­ach­touille a gran­di seule « comme Mowgli et Kas­par Hauser, dans les failles spa­tio- tem­porelles de l’opéra ». Une fic­tion qui plaît beau­coup à celui qui tient à la dis­tance qu’elle instau­re sur scène.

Pre­mier soir en Pat­ach­touille : l’abolition du qua­trième mur et le « sens ultime de la fête » se révè­lent. La fusion qui en découle est une révéla­tion : il a trou­vé sa place et va révo­lu­tion­ner l’endroit. Le cabaret reprend ses let­tres de noblesse. Le piano-bar est là, et l’énergie est élec­trique, poli­tique, décalée et brûlante. Le mat­ri­moine y est très fort. L’aventure dure plusieurs années. « Madame Arthur est un phénix. Aujourd’hui, ce n’est plus un lieu où nais­sent les choses. C’est un très bon endroit qui donne du tra­vail à beau­coup d’artistes, mais c’est devenu les Galeries Lafayette du cabaret », explique-t-il.

Au Secret, chez Pous­sière ou chez Madame Arthur, Pat­ach­touille réalise des propo­si­tions dif­férentes, pour retrou­ver l’énergie du tra­vail de lab­o­ra­toire. Et aus­si pour se détourn­er des prob­lé­ma­tiques de genre. « J’ai ten­dance à les trou­ver un peu binaires, parce que moi je peux me pren­dre aus­si bien pour une licorne que pour un ver de terre ! Cela a été et reste très utile. J’essaie de faire de l’art et je suis pédé. Alors certes, j’ai des respon­s­abil­ités poli­tiques mais mes angoiss­es écologiques sont puis­santes et m’activent beau­coup plus artis­tique­ment. »

Le Cabaret Pat­ach’ ou La Méta­mor­phose des pédon­cules

En témoigne son nou­veau spec­ta­cle Le Cabaret Pat­ach’ ou La Méta­mor­phose des pédon­cules, créé pour la pre­mière fois en mars 2023 au Manège de Reims, à la demande de son directeur Bruno Lobé. « On échappe à la logique des limonadiers, du bar qui per­met de pay­er l’artiste. L’argent vient du min­istère de la Cul­ture, c’est de l’argent pub­lic pour le cabaret, c’est très impor­tant », souligne Pat­ach­touille.

La cause qui l’anime est écologique sans être mor­tifère. « L’idée, c’est de garder un con­tact avec la joie face à la tran­si­tion écologique qui s’impose à nous », explique celui qui y organ­ise notam­ment un con­cours pour faire rire Gre­ta Thun­berg et des dans­es de graines. Pat­ach­touille con­sid­ère que le cabaret est une révolte, que ses artistes en sont « le ver dans la pomme » et s’inspire, en par­tie, du No Future punk pour enchanter le présent. « J’ignore quelles sont les per­spec­tives mais au présent, se faire de beaux sou­venirs, c’est déjà ça. » Par ailleurs, la notion de « ger­mi­na­tion » lui importe beau­coup – tout comme le rhi­zome, qui cap­tive poli­tique­ment celui qui porte sur scène une per­ruque en lentille ger­mée. « J’essaie de ren­dre sexy l’écologie, d’imaginer ce que c’est que de se bran­ler dans un lam­bri-com­post ou des con­ner­ies comme ça » (il explose de rire). L’inventif Pat­ach­touille ray­onne, le cabaret con­naît d’après lui une mag­nifique péri­ode, mais il est pru­dent : « Lorsque le cabaret va très bien, ce n’est jamais bon signe. » Et Pat­ach­touille attend – avec impa­tience – qu’on lui écrive une chan­son sur des lende­mains qui chantent.

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Photo de Marjorie Bertin, Crédit Anthony Ravera RFI
Marjorie Bertin
Docteur en Études théâtrales, enseignante et chercheuse à la Sorbonne-Nouvelle, Marjorie Bertin est également journaliste à...Plus d'info
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#150 – 151
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