Une metteure en scène à l’écoute du son

Entretien
Opéra

Une metteure en scène à l’écoute du son

Entretien avec Katie Mitchell

Le 17 Juil 2012

A

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Couverture numéro 113_113 - Le théâtre à l’opéra, la voix au théâtre
113 – 114

PARMI TOUS les met­teurs en scène act­ifs dans le domaine du théâtre par­lé comme dans celui de l’opéra, le nom de Katie Mitchell se dis­tingue depuis quelques années. L’artiste bri­tan­nique s’est forgé une répu­ta­tion dont la solid­ité va gran­dis­sant, à force de spec­ta­cles d’une grande rigueur et d’une rare per­fec­tion. Dans une esthé­tique volon­tiers réal­iste et une recherche de vérité qua­si­ment sci­en­tifique (« c’est de la sci­ence !» est une phrase qui revient sou­vent dans sa bouche, quant il s’agit de cal­culer les angles de vision d’un décor ou le temps d’un inter­lude). Mais si elle sait dégager ce que les textes d’hier ou d’aujourd’hui ont de vio­lem­ment actuel, son esthé­tique hyper-réal­iste fuit les out­rances d’un cer­tain Regi­ethe­ater pour trou­ver une objec­tiv­ité dont peut se dégager une poésie frémis­sante. Après plusieurs expéri­ences lyriques, tant dans le grand réper­toire que dans la créa­tion con­tem­po­raine (OREST DE TROJAHN à Ams­ter­dam), tant dans l’opéra au sens pro­pre que dans des formes non-scéniques pour­tant portées à la scène (JEPHTHA de Haen­del, la PASSION SELON SAINT-MATTHIEU de Bach), la recon­nais­sance inter­na­tionale est arrivée avec sa pro­duc­tion vir­tu­ose de la fresque de Lui­gi Nono, AL GRAN SOLE CARICO D’AMORE, qui a trans­porté le pub­lic du Fes­ti­val de Salzbourg en 2010 et du Staat­sop­er de Berlin en 2012. À la veille de la créa­tion atten­due de WRITTEN ON SKIN de George Ben­jamin en juil­let 2012 au Fes­ti­val d’Aix-en-Provence, et avant des repris­es dans les qua­tre coins d’Europe (Lon­dres, Ams­ter­dam, Toulouse, Flo­rence, Paris, Munich, Vienne…), elle livre quelques réflex­ions sur son méti­er.

Alain Per­roux : Votre monde théâ­tral est générale­ment réal­iste, alors que l’opéra est très arti­fi­ciel. Com­ment trou­vez-vous votre chemin dans cette appar­ente con­tra­dic­tion ?

Katie Mitchell : Pour moi, l’opéra n’est pas arti­fi­ciel. Il met en présence des per­son­nages dans un temps et un espace pré­cis. La seule chose étrange, c’est qu’ils chantent au lieu de par­ler ! Mais l’opéra a sa pro­pre logique. On doit la com­pren­dre, la respecter… et faire avec. Le texte est ampli­fié du fait qu’il est chan­té, cela lui donne une sub­jec­tiv­ité et une inten­sité beau­coup plus pro­fonde que tout ce que vous pou­vez faire avec le mot par­lé. Et cela vous con­fronte à une série de règles dif­férentes en ter­mes de représen­ta­tion. Mais en réal­ité j’aime beau­coup avoir des règles à respecter. Mon tra­vail, après tout, n’est pas de soign­er la musique – ça, c’est le boulot du chef d’orchestre – mais de faire en sorte que les actions des inter­prètes sem­blent véridiques, aus­si pré­cis­es et crédi­bles que la vie, et que ce le soit dans un monde puis­sant et clair à la fois.

A. P. : Quel rôle joue la musique, quand vous con­cevez un spec­ta­cle ?

K. M. : La musique déter­mine tous les choix, beau­coup plus qu’un texte de pièce de théâtre. Dans le cas de WRITTEN ON SKIN, que je mets en scène au Fes­ti­val d’Aix-en-Provence 2012, le com­pos­i­teur George Ben­jamin agit comme un « pro­gram­ma­teur psy­chologique » qui fait en sorte que l’action arrive, réplique après réplique, scène après scène. Si la par­ti­tion indique que la pro­tag­o­niste fémi­nine est dans un état émo­tion­nel pré­cis, comme le dés­espoir, il me sera impos­si­ble de met­tre en scène con­tre cette émo­tion. Parce que tout, dans le tis­sage musi­cal, va dans une direc­tion psy­chologique pré­cise. D’une cer­taine manière – et c’est quelque chose d’assez réjouis­sant – une par­tie du tra­vail que le met­teur en scène doit fournir vis-à-vis d’une pièce de théâtre est déjà fait dans un opéra. La dif­fi­culté, c’est de com­pren­dre la tex­ture du son. Et dans le cas d’une œuvre en créa­tion mon­di­ale, évidem­ment, ce proces­sus est très déli­cat puisqu’il n’y a aucun enreg­istrement de l’ouvrage et que je ne suis pas capa­ble de lire une par­ti­tion d’orchestre ni d’entendre dans ma tête le son pro­duit. Pour WRITTEN ON SKIN, George Ben­jamin s’est assis avec moi pour m’expliquer en détail tout son opéra. Et il m’a même remis une par­ti­tion com­plète­ment annotée, où il décrit mesure après mesure, au cray­on rouge, la tex­ture musi­cale recher­chée à chaque sec­onde de sa musique. Habituelle­ment, quand je tra­vaille sur un opéra, je n’écoute pas beau­coup les mots de son livret, j’écoute ses sonorités et j’essaie de com­pren­dre ce qu’elles ont de par­ti­c­uli­er. La seule lec­ture du livret ne vous donne pas d’indication de tem­po, c’est un doc­u­ment qui n’a pas beau­coup de sens quand il s’agit de met­tre en scène un opéra.

A. P. : Vous avez mis en scène des œuvres aux dra­matur­gies très con­trastées. Mon­ter un opéra de Janácek doit être très dif­férent de met­tre en scène un ora­to­rio baroque comme JEPHTHA de Haen­del, non ?

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Alain Perroux
Alain Perroux est directeur général de l’Opéra national du Rhin depuis janvier 2020, après avoir...Plus d'info
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