Faire de l’opéra une expérience partagée

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Faire de l’opéra une expérience partagée

Entretien avec Robert Lepage

Le 16 Juil 2012

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Couverture numéro 113_113 - Le théâtre à l’opéra, la voix au théâtre
113 – 114

Denise Wen­del : Votre pre­mier séjour à Paris remonte à plus de trente ans, en 1978. Que représen­tait à l’époque pour vous cette cap­i­tale mythique ?

Robert Lep­age : Pour un Québé­cois, Paris a des allures de préhis­toire, parce que, même si nous sommes fran­coph­o­nes, nous sommes forte­ment rat­tachés au sys­tème bri­tan­nique. Le Cana­da étant une colonie bri­tan­nique, notre psy­chisme est tout à la fois très anglais, et très anglo-améri­cain. Venir en France, c’était donc se recon­necter aux racines anci­ennes ; il y a un air de « déjà vu » pour nous, c’est très étrange. Je me rap­pelle que Paris était trép­i­dant à l’époque, tout sem­blait con­verg­er, c’était très stim­u­lant. Paris était un peu comme la cité idéale Utopie à cette époque, tout le monde était social­iste.
On avait l’impression que l’on pou­vait se pro­duire ou s’exprimer dans la rue, avec très peu de moyens. Main­tenant bien sûr, tout est étroite­ment lié, pro­duit et manu­curé. Par­fois, j’essaie de me met­tre à la place d’un jeune de vingt ans qui se lance. J’essaie de com­pren­dre ce que doit faire un jeune artiste pour avoir du suc­cès aujourd’hui, quelles sont les ressources disponibles, com­ment on peut nouer des con­tacts, se lancer. À l’époque, c’était facile, on sor­tait dans la rue, on fai­sait son numéro dehors ou dans un ate­lier désaf­fec­té. Tout était pos­si­ble.

D. W. : Quelle était votre per­cep­tion de l’Amérique par con­traste avec l’Europe dans les années 1970 ?

R. L. : De retour en Amérique du Nord, on n’avait pas accès à la « big city », les villes étaient très éloignées les unes des autres en Amérique. C’était presque une aven­ture d’aller voir des choses à New York. Même aller de Québec à Mon­tréal était une grosse expédi­tion en ce temps-là. D’une cer­taine manière, je me sen­tais plus proche de l’Europe et j’y venais vrai­ment dans un esprit de décou­verte.

D. W. : Le théâtre expéri­men­tal bat­tait son plein à Paris dans les années 1970, Peter Brook au Théâtre des Bouffes du Nord, Antoine Vitez au Théâtre des Quartiers d’Ivry.

R. L. : Il y avait Peter Brook, Vitez aus­si, mais pour moi, la per­son­ne impor­tante, c’était Ari­ane Mnouchkine. Ari­ane fai­sait déjà un tas de choses, et elle était en train de met­tre en place le Théâtre du Soleil à ce moment-là.

D. W. : Elle était très forte­ment influ­encée par Jacques Lecoq, une autre fig­ure-clé de l’époque.

R. L. : Je con­nais des gens qui étaient à l’École Inter­na­tionale de Théâtre en même temps qu’elle. Apparem­ment, elle était très timide, et obser­vait plus qu’elle ne par­tic­i­pait. Mais en réal­ité, elle absorbait tout comme une éponge, s’imprégnant et inté­grant les choses en per­ma­nence. À sa sor­tie de l’école, elle savait juste com­ment respir­er, com­ment s’arrêter et com­ment bouger. Elle a cer­taine­ment été l’une des grandes influ­ences – voire la plus grande – sur mon activ­ité créa­trice. Pas néces­saire­ment dans le sens où je suiv­ais ses traces, mais plus par son engage­ment à faire évoluer une œuvre à par­tir de ses racines, par son intérêt pour la philoso­phie asi­a­tique, son approche presque anthro­pologique d’une œuvre, sa quête de l’origine des choses et de leur rap­port au jeu de scène, autant d’aspects que j’ai tou­jours essayé d’introduire dans mon pro­pre tra­vail.

D. W. : Mnouchkine est une fer­vente adepte du proces­sus col­lab­o­ratif du théâtre où la troupe tient plus de la com­mu­nauté ; tra­vaillez-vous aus­si de cette façon ?

R. L. : Absol­u­ment, mais tra­vailler pour Mnouchkine, c’est comme entr­er en reli­gion, cela acca­pare toute votre vie. Je ne peux me per­me­t­tre de faire ça aujourd’hui dans ma sit­u­a­tion. Je ne peux me per­me­t­tre d’avoir des dis­ci­ples. Mais chaque fois que nous sommes tous réu­nis dans mon cen­tre « La Caserne » à Québec pour une nou­velle créa­tion, cela ressem­ble prob­a­ble­ment un peu à la manière dont Mnouchkine tra­vail­lait à La Car­toucherie.
C’est un véri­ta­ble luxe de tra­vailler comme Mnouchkine, en par­ti­c­uli­er dans le monde actuel. Ari­ane est resté telle­ment jeune, à l’affût, curieuse, elle est vrai­ment un mod­èle pour moi. Je lui ai demandé l’autre jour « Quel est ton prochain pro­jet ?» Elle a répon­du « Eh bien, c’est d’explorer une idée autour de Jules Verne prob­a­ble­ment » – et moi de deman­der : « Ça com­mence quand ?» Et elle de répon­dre : « Quand ce sera prêt » ! C’est un véri­ta­ble luxe – non pas le luxe dans le sens « avoir accès à des moyens », mais dans celui de « se per­me­t­tre, psy­chologique­ment, dans son quo­ti­di­en, dans sa manière d’être, dans son approche du tra­vail, de pren­dre du temps ». Ari­ane le fait, et je l’admire pour ça.

D. W. : Vous sem­blez au con­traire men­er plusieurs pro­jets à la fois dans le monde entier : LE ROSSIGNOL ET AUTRES FABLES, créé à Toron­to à la Cana­di­an Opera Com­pa­ny (2009), a été présen­té au Fes­ti­val d’Aix-en-Provence et fera sous peu ses débuts à l’Opéra de Lyon. DAS RHEINGOLD de Wag­n­er vient d’être créé à New York et vous êtes actuelle­ment en pleines répéti­tions pour DIEWALKÜRE, tout en réfléchissant à la mise en scène du reste de la Tétralo­gie pour les saisons 2010-11-12. Ce soir, vous danserez avec Sylvie Guillem et Rus­sell Maliphant dans EONNAGATA, un spec­ta­cle que vous avez écrit et conçu. Souhaitez-vous par­fois pou­voir avoir le « luxe » du temps ?

R. L. : Oh absol­u­ment, absol­u­ment, j’aimerais pou­voir me per­me­t­tre de pass­er une année entière sur un pro­jet, avoir le luxe de le faire. Mais cela dit, je sais que j’ai une capac­ité de con­cen­tra­tion très lim­itée, et que j’ai besoin de faire plusieurs choses en même temps, et que tous ces pro­jets dif­férents se nour­ris­sent les uns des autres. Ce serait très étrange de ne pas tra­vailler sur un opéra tout en met­tant en scène du théâtre, en tra­vail­lant avec des danseurs, des mar­i­on­nettes, des artistes de cirque, parce que toutes ces choses sont une et dia­loguent toutes entre elles.

D. W. : Au début des années 1990, plusieurs grandes maisons d’opéra, par­mi lesquelles La Scala et la Cana­di­an Opera Com­pa­ny, soucieuses de renou­vel­er leurs pro­duc­tions en prévi­sion du nou­veau mil­lé­naire, vous ont pro­posé de mon­ter une pro­duc­tion du RING. Pour quelle rai­son avez-vous décliné ces offres ?

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