Qui sont-ils ?
ILS VIENNENT du Nord et du Midi, du Levant et du Couchant pour un jour, un week-end, une semaine, tout juillet. Des fidèles de toujours, des accros, mais aussi ceux qui essayent, découvrent, passent par hasard. Des vieux sages et des jeunes fous et l’inverse. Ils viennent s’immerger : ce n’est ni le Gange, ni Lourdes, mais ça a quelque chose du fleuve sacré, du pèlerinage, du ressourcement, du caravansérail et de la fête foraine. Avignon, le labyrinthe médiéval et religieux, la ville des pontifes, des bâtisseurs de ponts, de Bénezet à Vilar, des ponts de pierre et des ponts intérieurs, entre artistes et spectateurs, entre cultures et histoires, dans le temps et dans l’espace.
Là, chacun est jeté, débarque, accoste, dans le vent, le soleil, et même l’orage, avec son corps, ses yeux, ses oreilles comme unique boussole à la recherche de soi, des autres, d’un autre rivage que celui de la prison des contraintes du Système. Dans cette Odyssée à travers le Festival, nul ne peut se dispenser de se laisser déplacer, bouleverser, transformer, les uns par les autres. Les spectateurs-auditeurs deviennent acteurs parce que sans eux ce qui se joue, devant eux et pour eux, n’est rien. Et les comédiens, metteurs en scène et techniciens se retrouvent spectateurs et bénéficiaires de ces étrangers devenus partenaires d’un moment, d’un soir, leur rendant au centuple ce qu’ils donnent.
On ne trouve pas ce qu’on cherchait parce que participer à une représentation c’est prendre le risque de se retrouver décalé, en chantier, en réinvention, « in progress » disent les Anglais. On aborde le festival comme on s’engage dans une traversée. Il faut s’y frayer un chemin, accepter d’être dérouté, d’essuyer des grains de vent et de pluie, de supporter des nuits suffocantes
et faire le pari des rencontres. De toutes cultures, peuples, langues et nations : entre Babel et Jérusalem, le carrefour des spectateurs, des artisans en théâtre, des touristes, habitants et commerçants est une véritable fabrique d’humanité.
Mais qu’est-ce qui est convoqué, atteint, transformé de nous, spectateur d’un soir, adepte assidu ou vieux routier d’Avignon en festival ?
Le corps, bien sûr et d’abord. On en prend plein les yeux, plein les oreilles. Et plus encore de la surface de la peau au fond des entrailles, on est secoué, retourné, brassé, parfois même, transpercé, naufragé et résiliant. Au long des jours, des nuits, de la surface de la pierre
à l’ombre rafraîchissante des arches, des porches et des arbres, dans le dédale des rues et des salles obscures – petites boîtes, garages relookés, théâtres ou opéra, un rythme des corps s’ébauche. Et à l’intérieur de cette orchestration de la ville et du temps qu’il y fait, se dessine pour chacun et chacune le parcours chorégraphique des évènements physiques, sensoriels et émotionnels qu’il / elle va y vivre. Objet d’un choix ? Pas toujours parce que l’imprévu s’y invite. On encaisse, on réagit, on subit, on s’enfuit, on est rattrapé.