ÉRIC VAUTRIN : Y a‑t-il une ou des raisons pour lesquelles vous avez accepté, en 2008, d’être « artiste associé » au Festival d’Avignon ?
Romeo Castellucci : Quand j’ai reçu leur proposition, je me suis dit que ce serait sûrement difficile, très lourd… et j’ai tout de suite pensé à la Cour d’honneur, en tant que problème. Ce sont donc tous les mauvais aspects de la chose qui m’ont attirés ! Je savais à peu près à quoi m’attendre, mais dans les faits c’était encore plus difficile que ce que j’imaginais… J’ai ressenti surtout une pression psychologique très lourde. Mais parfois j’aime les problèmes, ils permettent de se mettre en cause, en doute. Dans la Cour, il y a deux mille personnes, c’est comme aller au stade, tout prend une dimension immense, mais presque érotique
d’une certaine façon. C’était quelque chose d’excitant, justement parce que dangereux.
É. V. : Comm ent percevez-vous ce festival, dans lequel vous avez été programmé régulièrement depuis la fin des années quatre-vingt-dix ?
R. C. : Les lieux des spectacles changent quelque chose, c’est certain. Mais aussi le fait qu’il y ait des milliers de spectacles. La curiosité du public en Avignon peut avoir quelque chose de morbide, cette avidité à voir, à consommer, à enchainer deux, trois, quatre spectacles par jour. Cela représente un danger et un défi. Cela crée un agôn dramatique, une confrontation avec les autres, plus forte qu’ailleurs justement parce que le théâtre devient à Avignon presque une fièvre, une maladie. Par ailleurs, c’est un événement français, mais la tension qui se ressent là-bas est mondiale, aux niveaux professionnel et culturel : Avignon est un lieu de passage, de concentration internationale. Il y a des choses un peu pénibles, comme un certain esprit touristique ou une partie du festival Off qui me semble être le pire du théâtre commercial, mais même dans ces aspects du Festival d’Avignon, je trouve qu’il y a quelque chose de juste, de cohérent. Ce chaos, qui a même quelque chose de sauvage, d’agressif, est fatigant, mais cela doit être comme ça, en tout cas je l’accepte, c’est un des aspects de la force d’Avignon.
- Romeo Castellucci a dirigé la Biennale de Venise section Théâtre en 2005. ↩︎
- Il est invité cette année à assurer une partie de la programmation du Malta Festival de Poznan en Pologne, en juin et juillet 2013 ↩︎
- Habitants de la ville de Cesena en Émilie- Romagne, ville natale de Romeo Castellucci. Du 1er au 3 juillet 1377, des troupes de merce- naires bretons et français au service du futur Clément VII massacrèrent plus de quatre mille habitants qui refusaient l’incorporation de leur ville aux États Pontificaux. ↩︎