JEAN-FRANÇOIS PERRIER : Pourquoi avoir accepté d’être artiste associé en même temps qu’Olivier Cadiot ?
Christoph Marthaler : Je n’en ai aucune idée. À ce moment-là, je ne savais pas encore qu’Olivier Cadiot serait aussi artiste associé. Je crois que c’est par sympathie pour Hortense Archambault et Vincent Baudriller. Cela m’a surpris moi-même, car je n’aime pas être trop exposé. Lorsqu’on m’a annoncé qu’il y avait un autre artiste associé et que c’était un écrivain, je me suis écrié : « Oh mon Dieu ! Et si je ne l’aime pas, cet écrivain ? » Je ne connaissais pas l’œuvre d’Olivier Cadiot, mais dès les premières minutes de notre rencontre, ça a été merveilleux. Aujourd’hui, je peux dire que je suis heureux d’être artiste associé avec lui, d’autant plus qu’il parle très bien français et moi très mal. Nous sommes très différents mais, artistiquement, nous avons les mêmes idées. Il écrit beaucoup de textes alors que j’en utilise moi-même très peu dans mes spectacles, mais nous avons en commun d’aimer la vie avant le théâtre ou la littérature. Certains font du théâtre parce qu’ils n’aiment que cela alors que moi, ce qui m’intéresse, c’est ce qu’il y a autour du théâtre. Je ne fais pas le même théâtre à Paris, à Berlin, à Zurich ou à Avignon, parce que les villes sont différentes, la façon de vivre est différente, l’histoire est différente. Je ne vis dans les théâtres que pendant les répétitions. Dès qu’elles sont achevées, j’en sors très vite. Je ne peux pas faire travailler une équipe sans savoir
ce qu’il y a autour du lieu où je travaille. Avec les comédiens, nous passons beaucoup de temps ensemble à l’extérieur et nous parlons de notre vie hors du théâtre. Parfois, je suis stupéfait de constater que des acteurs ou des metteurs en scène n’ont pas de vie hors du théâtre et qu’ils ne peuvent parler que de théâtre. Leur vie personnelle est réduite, alors parfois, ils compensent
en en faisant beaucoup sur le plateau… Personnellement, je pense qu’il faut se réduire sur scène, mais pas dans la vie. Je viens de voir à la télévision un spectacle fait par deux comédiens à partir de la correspondance entre Thomas Bernhardt et son éditeur. Ils faisaient de « l’art dramatique » avec ces textes, alors que Thomas Bernhardt et son éditeur étaient des gens très secs, très directs, sans aucune emphase dramatique.
J.-F. P. : Qu’est-ce que l’expression « artiste associé » représentait pour vous ? Qu’imaginiez-vous comme rôle ?
C. M. : J’ai tout de suite refusé d’imaginer quoi que ce soit et j’ai attendu de voir. Je ne sais pas encore vraiment ce que cela recouvre. Je ne fais pas le programme, heureusement, mais je suis présent aux côtés d’Hortense Archambault et de Vincent Baudriller. Je crois avoir eu une influence dans le choix de certains spectacles qui vont être présentés, des spectacles comme ceux d’Alain Platel, Anne Teresa De Keersmaeker, Zimmermann & de Perrot ou encore Philippe Quesne que j’admire beaucoup. Je ne sais pas si ma mission d’artiste associé constituera une expérience pour le public, mais c’est certainement une expérience étonnante pour moi.
J.-F. P. : De quoi parlez-vous avec les directeurs du Festival pendant vos rencontres ?
C. M. : Trè s peu de théâtre, car je préfère parler dans le théâtre plutôt que sur le théâtre. De la même façon, je me rends peu au théâtre puisque je le pratique. Comme je l’ai déjà dit, je n’aime pas trop quand les acteurs jouent vraiment, jouent beaucoup, en disant leurs textes car alors, je ne le comprends plus. Que ce soit Shakespeare, Ibsen ou Tchekhov, j’ai besoin d’entendre le texte et non pas d’un comédien exhibitionniste qui m’empêche d’écouter. Je me trompe peut-être, mais j’aime les comédiens qui sont normaux sur scène, quelle que soit leur normalité. Il faut que les comédiens jouent hors du texte comme le pensait Ödön von Horváth que j’admire énormément. Un théâtre où un comédien vient sur scène pour dire son texte, en le surjouant parfois et puis s’en va, m’intéresse peu. J’ai toujours été sensible au travail de Fassbinder avec les acteurs, comme à celui de Kaurismäki. On me disait toujours que ses films ressemblaient à mes spectacles, alors je suis allé voir LA VIE DE BOHÊME et je me souviens encore d’une scène où un acteur dit à une actrice : « Je t’aime », qu’elle lui répond : « Je t’aime » et qu’ils se séparent. C’est superbe. D’ailleurs, l’actrice va jouer avec nous cet été, c’est Evelyne Didi. À vrai dire, je suis plutôt un homme d’images que de textes et c’est peut-être pour cela que je mets en scène peu de pièces du répertoire, malgré mon admiration pour certains auteurs dramatiques tels Ödön von Horváth, qui a un langage précis et efficace, avec des phrases d’une grande clarté.
J.-F. P. : Échangez-vous beaucoup avec Olivier Cadiot ?
C. M. : Bien sûr. Nous avions même le projet un peu fou de faire un festival un peu hors du Festival, qui jouerait avec le hasard, qui sortirait des cadres du Festival. Nous voulions aller sur les places, dans les recoins, monter un gradin pour sept spectateurs, jouer dans les garages, etc. Tout cela était trop compliqué, mais j’espère que l’esprit de toutes ces rêveries irriguera quand même le Festival. Ce que j’apprécie par ailleurs, c’est le plaisir de rester à Avignon tout le mois de juillet, alors qu’habituellement dans les festivals, on vient, on joue deux jours ou trois et on repart. Même si je préfère Avignon l’hiver, surtout quand il n’y a pas les gradins dans la Cour (j’avais d’ailleurs proposé à Vincent de faire le Festival en hiver), je suis heureux d’y venir trois semaines cet été et de partager cette aventure, très nouvelle pour moi, avec tous ceux qui y participent.
Extrait d’un entretien réalisé pour le Festival d’Avignon en avril 2010.