Apprendre des compagnies

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Apprendre des compagnies

Conversation au Théâtre National

Le 28 Oct 2016
Olivia Carrère dans Je vous envoie comme des brebis au milieu des loups, écriture, interprétation et création musicale Olivia Carrère, répétitions au Théâtre National, 2014. Photo Véronique Vercheval.
Olivia Carrère dans Je vous envoie comme des brebis au milieu des loups, écriture, interprétation et création musicale Olivia Carrère, répétitions au Théâtre National, 2014. Photo Véronique Vercheval.

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Olivia Carrère dans Je vous envoie comme des brebis au milieu des loups, écriture, interprétation et création musicale Olivia Carrère, répétitions au Théâtre National, 2014. Photo Véronique Vercheval.
Olivia Carrère dans Je vous envoie comme des brebis au milieu des loups, écriture, interprétation et création musicale Olivia Carrère, répétitions au Théâtre National, 2014. Photo Véronique Vercheval.
Article publié pour le numéro
Couverture du numéro 130 - Ancrage dans le réel / Théâtre National (Bruxelles) 2004-2017
130

Al Vous avez pour point com­mun de créer un spec­ta­cle l’an prochain au Théâtre Nation­al. Avant d’échanger ensem­ble autour des attentes que peu­vent for­muler de jeunes créa­teurs face à l’institution-phare de Bel­gique fran­coph­o­ne – et d’en dis­cuter avec son nou­veau directeur tout fraîche­ment nom­mé – je souhait­erais que cha­cun con­tex­tu­alise son arrivée dans cette mai­son et explique ce qu’il y fera dans les prochains mois.

Oc Je suis arrivée au Théâtre Nation­al juste après l’IAD (Insti­tut d’Art dra­ma­tique), avec Philippe Sireuil dans un texte de Paul Pourveur. J’ai ensuite fait la con­nais­sance de Jean-Louis Col­inet qui m’a très rapi­de­ment présen­té Fab­rice Mur­gia. Life : reset est né de cette ren­con­tre. 

Mon prochain spec­ta­cle s’appelle Les Pieds sous la table et c’est le deux­ième pro­jet que je réalise au Théâtre Nation­al. Je voulais un titre qui soit en rap­port avec l’idée d’une invi­ta­tion et le nom hypothé­tique et accueil­lant d’un étab­lisse­ment, d’une bou­tique. J’ai fait d’abord un tra­vail plutôt formel, par­tant du jeu d’acteurs et de la musique. Il y a un duo d’acteurs et une approche musi­cale en direct sur un mode « bur­lesque ». Je m’inspire d’artistes comme Tati, Pierre Étaix, et plus près de nous, Abel et Gor­don, qui vien­nent de la scène, mais qui font surtout du ciné­ma aujourd’hui.

J’aimerais racon­ter l’histoire d’un cou­ple enfer­mé dans un quo­ti­di­en, et du tra­vail plutôt alié­nant de cha­cun des parte­naires. J’imagine une scéno­gra­phie où espace de vie et tra­vail se mélan­gent, cohab­itent. Je m’inspire de pho­togra­phies de lieux de tra­vail où l’on fait de l’artisanat mais avec une dimen­sion indus­trielle, faisant en sorte que ces deux êtres aient leur place et leurs habi­tudes dans cet univers visuel. Et qu’ils aient des sil­hou­ettes très dess­inées. 

En réu­nis­sant tous ces élé­ments, la musique, le jeu, la scéno­gra­phie, une his­toire va se racon­ter. Je lis des auteurs comme Ago­ta Krystof, Topor, Jodor­owsky, je visu­alise des doc­u­men­taires, pour trou­ver un méta-réc­it plus uni­versel qui engloberait tout cela. Pour l’instant, il n’y a pas de texte mais des idées de séquences, des événe­ments à impro­vis­er ensem­ble sur le plateau.

Je tra­vaille ici avec François mais s’il devait y avoir un troisième pro­jet, sans doute ne serais-je plus sur le plateau. En ce moment, j’ai encore besoin d’y être, d’y trou­ver ma place. D’ailleurs, je ne sais pas qui pour­rait chanter mes com­pos, ma manière de chanter n’est pas tou­jours « flat­teuse ». Ce sont des sortes de petites comptines inter­prétées d’une voix un peu niaise, qui racon­tent la soli­tude humaine, les com­plex­es, le mal de vivre, tout ça avec un peu d’humour. J’aime beau­coup les petits claviers, les boites à rythmes élec­tron­iques, tout cela est encore très per­son­nel et je ne sais pas com­ment le trans­met­tre à d’autres inter­prètes.

Vp Mon pro­jet s’appelle Tab­u­la rasa. C’est ma pre­mière mise en scène. Le spec­ta­cle nait d’une obses­sion per­son­nelle que je ques­tionne de façon uni­verselle : la place que nous avions, chez moi, à la table du repas famil­ial et, plus large­ment, celle que nous occupons tous au sein de notre famille, mais aus­si de la col­lec­tiv­ité, de la société dans son ensem­ble. Cette place définit le regard que nous posons sur le monde et notre rap­port aux autres. Au début, j’ai com­mencé à écrire, seule, mais très vite, j’ai ressen­ti le besoin d’un lien plus organique avec le plateau.

Une récolte préal­able de témoignages, de sources doc­u­men­taires ou lit­téraires a servi de base au tra­vail d’improvisation avec les acteurs. Ensuite, nous avons écrit plusieurs séquences plus ou moins fic­tion­nelles. Il y a donc un aller-retour per­ma­nent entre la table et le plateau : les acteurs impro­visent à par­tir de sit­u­a­tions dra­maturgiques, j’enregistre, je retran­scris, je leur redonne à jouer, etc. Au final, il y aura plusieurs séquences plus ou moins fric­tion­nelles, artic­ulées par une nar­ra­trice qui fait le lien avec le pub­lic, sur un ton plutôt drôle ou grinçant.

Al Ce spec­ta­cle est en ges­ta­tion depuis longtemps. Il y a eu plusieurs étapes de tra­vail, dont cer­taines hors de l’institution. Com­ment le Théâtre Nation­al est-il arrivé à s’associer au pro­jet ?

Vp J’ai suivi une for­ma­tion de pro­duc­tion théâ­trale par com­pagnon­nage auprès de « Théâtre et Publics » à Liège. Sans cette for­ma­tion, le pro­jet serait sans doute tou­jours dans un tiroir ! 

Il s’est pas mal trans­for­mé en cours de route. Au début, c’était quelque chose de beau­coup plus intime, per­son­nel, qui prove­nait notam­ment de l’anorexie dont avait souf­fert ma sœur. On y trou­vait donc toute l’obsession de la table. C’est « Théâtre et Publics » qui m’a per­mis la méta­mor­phose, pass­er l’étape de la cathar­sis et se diriger vers quelque chose de plus ouvert, sor­tir de mes pro­pres ques­tion­nements. Il y a eu une pre­mière étape à l’issue de cette for­ma­tion dans le cadre des « Esti­vants » au Manège de Liège en juil­let 2014. Puis, une étape à « Cartha­go » à Brux­elles en févri­er 2015. Ensuite, la « Rési­dence Croisée – Écri­t­ures du Réel » entre le Théâtre des Doms à Avi­gnon et le Théâtre de la Cité à Mar­seille en novem­bre 2015. Là-bas ont eu lieu les pre­mières représen­ta­tions devant un « vrai » pub­lic. Enfin, ce fut le fes­ti­val « Fac­to­ry » en févri­er dernier à Liège. C’est au fil de ces dif­férentes étapes que j’ai d’abord ren­con­tré Alexan­dre Caputo puis Jean-Louis Col­inet.

Lc Mon spec­ta­cle s’appelle La Beauté du désas­tre. J’ai com­mencé à m’interroger sur la façon dont je pour­rais créer une forme théâ­trale à par­tir d’ouvrages qui ne sont absol­u­ment pas de la matière dra­ma­tique. Je suis par­tie d’un phénomène soci­ologique, très présent surtout au Japon : la dis­pari­tion volon­taire. Des gens qui dis­parais­sent du jour au lende­main. J’avais lu un réc­it jour­nal­is­tique accom­pa­g­né de pho­tos : « les éva­porés du Japon ». Des témoignages de gens qui ont décidé de dis­paraitre, com­plète­ment fasci­nant. J’y ai con­sacré mon mémoire au Con­ser­va­toire de Mons. Je me suis aus­si nour­rie d’un ouvrage de David Le Bre­ton, Dis­paraître de soi. Deux dimen­sions y sont abor­dées : com­ment dis­paraître du monde – de manière très con­crète – et dis­paraître à l’intérieur. Par exem­ple, les gens qui s’inventent des sec­on­des vies sur Inter­net. Il m’a sem­blé que ces deux faces d’une même pièce met­taient en per­spec­tive le fonc­tion­nement de la société con­tem­po­raine. Com­ment des gens peu­vent pos­er un acte aus­si fort que celui-là ? Je me suis aus­si posée la ques­tion de l’acte poli­tique, de manière un peu fan­tas­mée. Si tout le monde dis­parais­sait, la société n’aurait plus aucune emprise sur per­son­ne…

J’avais envie de créer un spec­ta­cle pluridis­ci­plinaire qui mêlait la vidéo, la musique en live et des acteurs sur un plateau. J’ai pen­sé le pro­jet par rap­port aux gens qui le con­stituent. Il a donc démar­ré sur une thé­ma­tique, s’est dévelop­pé sur une équipe, puis sur une forme. Nous avons fait beau­coup d’improvisations ; j’ai demandé aux acteurs d’écrire. Je me suis ren­due compte que pour coor­don­ner tout ça de manière intel­li­gente et ne pas tomber dans une forme de « tableau », il fal­lait un vrai fil rouge. Je ne suis pas auteure et j’ai décidé de m’associer à Thomas Depryck que j’ai ren­con­tré dans ma for­ma­tion au Con­ser­va­toire et qui a l’habitude de tra­vailler à par­tir du plateau et des gens, de l’humain.

Viviane De Muynck dans Children of Nowhere (Ghost road 2), texte et mise en scène Fabrice Murgia / Cie Artara, musique Dominique Pauwels, Théâtre National, janvier 2016. Photo Elisabeth Woronoff.
Viviane De Muynck dans Chil­dren of Nowhere (Ghost road 2), texte et mise en scène Fab­rice Mur­gia / Cie Artara, musique Dominique Pauwels, Théâtre Nation­al, jan­vi­er 2016. Pho­to Elis­a­beth Woronoff.

Jean-Louis Col­inet est venu voir mon pro­jet de fin d’études. Le courant est passé. Petit à petit, les choses ont pris une tour­nure et je me retrou­ve main­tenant pro­gram­mée ici et au Manège à Mons. Cela fait un an que je suis sor­tie de l’école. C’est très impres­sion­nant de se retrou­ver ici… La pro­gram­ma­tion du Nation­al me plaît beau­coup, c’est un théâtre de créa­tion.

Hm Mon pro­jet, Is there life on Mars ? est le troisième de la com­pag­nie What’s up?!, que je porte avec la scéno­graphe Cécile Hupin. C’est le deux­ième spec­ta­cle que je présente au Théâtre Nation­al. Il s’inscrit dans une nou­velle démarche, plus doc­u­men­taire. Au départ, j’avais envie de ques­tion­ner la norme et les codes de notre société. Le spec­ta­cle part d’interviews que j’ai réal­isées auprès de per­son­nes atteintes d’autisme et de leur entourage. J’ai dû faire un gros tra­vail de sélec­tion (j’avais plus de cinquante heures de matière). Les comé­di­ens restituent au pub­lic des bribes de ces inter­views sur scène, en les écoutant directe­ment au casque. L’émotion qui se dégage de ces inter­views est tout autant liée à la façon de par­ler des per­son­nes qu’au con­tenu. En util­isant ce procédé qui met le comé­di­en à dis­tance, on peut être le plus fidèle pos­si­ble aux inter­views sans devoir faire un rôle de com­po­si­tion. Par­al­lèle­ment à ces inter­views, nous dévelop­pons un univers visuel (détourne­ment d’objets, de sons, instal­la­tions, mou­ve­ments, créa­tions vidéo) qui explore le spec­tre de l’autisme autrement que par des mots. Je tra­vaille avec la même équipe de créa­tion tech­nique que pour mon précé­dent spec­ta­cle, Dehors devant la porte.

Vh Wilder­ness, qui se traduit dif­fi­cile­ment en français, sig­ni­fie la sauvagerie, les grandes éten­dues sauvages, la nature dans ce qu’elle a de plus large. C’est mon qua­trième pro­jet ici et la troisième fois que j’écris le texte. Cette fois-ci, pour l’écriture, je me suis asso­cié à Arieh Worthal­ter.

Wilder­ness par­le du retour à la nature, aux sources ; le retour à l’espace, au temps et au silence, trois choses qui vont val­oir très cher dans les années à venir. Com­ment se dépêtr­er de la société qui a imposé toutes ces règles ? Com­ment retourn­er à la nature qui, elle, impose des règles qu’on ne peut pas tou­jours maîtris­er ? C’est elle qui nous maîtrise avant tout. Je me suis inspiré des auteurs du « nature writ­ing » : Hen­ry David Thore­au, Edward Abbey, Pete Fromm… 

Lorsqu’on se trou­ve face à la nature, la pre­mière chose qu’on a envie de faire, c’est de se taire. Et quand on se tait, à qui est-ce qu’on par­le ? 

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