Ça ira (1) Fin de Louis, un tournant dans l’œuvre de Joël Pommerat ?

Théâtre
Critique

Ça ira (1) Fin de Louis, un tournant dans l’œuvre de Joël Pommerat ?

Le 22 Oct 2016
Ruth Olaizola, Marie Piemontese, David Sighicelli, Agnès Berthon, Saadia Bentaïeb, Lionel Codino, Angelo Dello Spedale et Murielle Martinelli dans Les Marchands, création TNS (Strasbourg), 2006. Photo Elizabeth Carecchio.
Ruth Olaizola, Marie Piemontese, David Sighicelli, Agnès Berthon, Saadia Bentaïeb, Lionel Codino, Angelo Dello Spedale et Murielle Martinelli dans Les Marchands, création TNS (Strasbourg), 2006. Photo Elizabeth Carecchio.

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Ruth Olaizola, Marie Piemontese, David Sighicelli, Agnès Berthon, Saadia Bentaïeb, Lionel Codino, Angelo Dello Spedale et Murielle Martinelli dans Les Marchands, création TNS (Strasbourg), 2006. Photo Elizabeth Carecchio.
Ruth Olaizola, Marie Piemontese, David Sighicelli, Agnès Berthon, Saadia Bentaïeb, Lionel Codino, Angelo Dello Spedale et Murielle Martinelli dans Les Marchands, création TNS (Strasbourg), 2006. Photo Elizabeth Carecchio.
Article publié pour le numéro
Couverture du numéro 130 - Ancrage dans le réel / Théâtre National (Bruxelles) 2004-2017
130

Fic­tion poli­tique inspirée d’une matière his­torique apparem­ment dénuée de l’inquiétante étrangeté qui car­ac­téri­sait jusqu’ici les spec­ta­cles de la Com­pag­nie Louis Brouil­lard, Ça ira (1) Fin de Louis pour­rait laiss­er penser à une rup­ture dans le par­cours de Joël Pom­mer­at. Sans entr­er ici dans les débats inter­pré­tat­ifs qu’elle sus­cite, j’aimerais soulign­er la sin­gu­lar­ité de cer­tains choix dra­maturgiques tout en mon­trant com­ment cette nou­velle créa­tion s’inscrit dans une con­ti­nu­ité de ques­tion­nements esthé­tiques et thé­ma­tiques. Par rap­port aux grands cycles de l’œuvre (les pre­mières pièces énig­ma­tiques, rich­es en expéri­men­ta­tions spa­tio-tem­porelles, le tour­nant de la trilo­gie Au monde, D’une seule Main, Les Marchands(2004 – 2006) plus engagée dans la réal­ité sociale, et la « bas­cule » de Cercles/Fictions (2010) qui accentue une veine d’écriture réal­iste et humoris­tique débutée en 2008 avec Je trem­ble (1 et 2) et Pinoc­chio, Ça ira (1) Fin de Louis con­tin­ue en effet de don­ner forme aux préoc­cu­pa­tions qui sont à l’origine même du geste théâ­tral de Pom­mer­at pour qui « le théâtre est un lieu pos­si­ble d’interrogation et d’expérience de l’humain […] un lieu de pos­si­bles, et de remis­es en ques­tion de ce qui nous sem­ble acquis1 ». Ce spec­ta­cle appro­fon­dit sa réflex­ion sur les indi­vidus et leurs représen­ta­tions (indi­vidu­elles et col­lec­tives) et pro­longe la recherche d’un théâtre à la fois spec­tac­u­laire et con­cret, proche du pub­lic dont il doit « rou­vrir la per­cep­tion2 ». 

Ce qui frappe d’emblée le plus en terme d’innovation, c’est le choix d’un sujet his­torique et l’ampleur du spec­ta­cle : pen­dant presque 4h30 découpées en trois par­ties, sur un grand plateau et pour une jauge élevée, 14 comé­di­ens incar­nent les débuts du proces­sus révo­lu­tion­naire depuis 1787 jusqu’à la mon­trée de la con­tre révo­lu­tion en 1790 – 91. Sol­lic­ité par Olivi­er Py pour la cour d’honneur du Fes­ti­val d’Avignon, Joël Pom­mer­at, tombé malade, a du se désis­ter mais l’envie d’écrire une « épopée » était née. L’ampleur du pro­jet ini­tial a influ­encé le choix d’une matière his­torique et mythique bien que d’autres pistes aient aus­si été explorées, notam­ment autour de la crise économique. Cet intérêt pour l’Histoire n’est d’ailleurs pas une nou­veauté : la Résis­tance était déjà présente en fil­igrane dans D’une seule Main (à tra­vers le passé trou­ble du Père, prob­a­ble­ment un ancien col­lab­o­ra­teur) ; cer­taines séquences de Cercles/Fictions sont situées au Moyen-Âge, à la Belle époque et pen­dant la Pre­mière guerre mon­di­ale. Le choix par­ti­c­uli­er de la Révo­lu­tion vient répon­dre au désir de Pom­mer­at de pro­longer sa réflex­ion sur l’homme et ses idées, sur les valeurs col­lec­tives qui le con­stituent, l’aiguillonnent ou entrent en con­flit avec ses actes et per­cep­tions indi­vidu­elles : « Je me suis demandé quel con­texte his­torique per­me­t­tait le mieux d’entrer dans l’idéologie con­tem­po­raine. Après être allé voir du côté de la Résis­tance et des révo­lu­tions du XIXe siè­cle, je me suis ren­du compte qu’il fal­lait revenir à la racine, à la révo­lu­tion de 1789 : c’est le mythe fon­da­teur de notre cul­ture, le cœur de notre roman nation­al. Mais en même temps, on en a une vision super­fi­cielle, figée3 ». 

Dans Ça ira (1), Pom­mer­at appro­fon­dit donc son enquête sur les pré­sup­posés idéologiques (valeurs, croy­ances, idéaux) de nos com­porte­ments à tra­vers la recherche de fil­i­a­tions entre passé et présent. Après avoir observé les micro­cosmes de la famille (Au monde), de l’entreprise (Ma Cham­bre froide) et du cou­ple (La Réu­ni­fi­ca­tion des deux Corées), il braque son micro­scope sur la sphère poli­tique démoc­ra­tique, ses pra­tiques, ses courants et ses imag­i­naires, en s’emparant de l’un de ses moments his­toriques fon­da­teurs. Cher­chant tou­jours à entr­er dans la com­plex­ité des expéri­ences4, il met en scène une con­fronta­tion entre plusieurs acteurs poli­tiques aux posi­tion­nements var­iés, à la dif­férence de ses précé­dents spec­ta­cles qui se focal­i­saient sur un groupe et ses con­tra­dic­tions internes (les dirigeants dans Au monde, les ouvri­ers et employés dans Les Marchands et Ma Cham­bre froide, les vendeurs à domi­cile dans La Grande et Fab­uleuse His­toire du com­merce, par exem­ple). Ça ira (1) représente des débats à l’intérieur et entre dif­férents cer­cles de pou­voir et d’action poli­tique (roy­auté, députés, comités de quarti­er). À tra­vers des par­cours indi­vidu­els inscrits dans un con­texte de lutte poli­tique et sociale col­lec­tive, il révèle les mul­ti­ples fac­teurs de l’engagement, la ren­con­tre entre des ressorts intimes, des idéaux, une volon­té d’action et les cir­con­stances – le plus sou­vent vio­lentes. En con­tra­dic­tion avec ses con­vic­tions poli­tiques mais excédé par l’intransigeance et le mépris de la noblesse, le député con­ser­va­teur Gigart (David Sighi­cel­li) se range soudain du côté des rad­i­caux pour déclar­er l’Assemblée nationale. Entraîné par l’euphorie générale, Ménonville (Maxime Tshiban­gu) par­ticipe à ce coup d’État sans en ressen­tir le courage tan­dis que d’autres décou­vrent qu’ils sont prêts à mourir pour des idées qu’ils ne soupçon­naient pas avoir quelques semaines avant. Ain­si, en redonnant vie à l’intempestivité et à la con­flict­ual­ité révo­lu­tion­naires, le spec­ta­cle place ses spec­ta­teurs au cœur de la com­plex­ité indi­vidu­elle et col­lec­tive de l’expérience poli­tique.

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Joël Pommerat
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Marion Boudier. Photo de David Balicki
Marion Boudier
Marion Boudier accompagne Joël Pommerat et La Compagnie Louis Brouillard comme dramaturge depuis 2013 pour...Plus d'info
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