Le Raoul collectif : d’autres résistances

Théâtre
Critique
Portrait

Le Raoul collectif : d’autres résistances

Le 22 Avr 2016
Rumeur et petits jours du Raoul collectif. Photo Céline Chariot.
Rumeur et petits jours du Raoul collectif. Photo Céline Chariot.

A

rticle réservé aux abonné.es
Rumeur et petits jours du Raoul collectif. Photo Céline Chariot.
Rumeur et petits jours du Raoul collectif. Photo Céline Chariot.
Article publié pour le numéro
Couverture du numéro 128 - There are aslternatives!
128

Dans le précé­dent numéro d’Alternatives théâ­trales (126 – 127) où nous enquê­tions sur les ami­tiés créa­tri­ces et fécon­des dans les arts de la scène, le Raoul col­lec­tif décon­stru­i­sait juste­ment le mythe en vogue du « col­lec­tif »1. Mais les cinq garçons « ni potes ni col­lègues » ne peu­vent s’affranchir si facile­ment de ce sub­stan­tif dont ils ont affublé le prénom « Raoul », prénom ter­roir-belge par excel­lence (indépen­dam­ment de la référence à l’écrivain Raoul Vaneigem) et qui leur colle à la peau. Car c’est col­lec­tive­ment qu’ils éla­borent, et de longue date, leurs spec­ta­cles. Ensem­ble, ils voy­a­gent, marchent, vis­i­tent, échangent, débat­tent, expéri­mentent et ensem­ble, ils se mar­rent et se déso­lent, se con­ster­nent, s’affligent, dés­espèrent pour finir par créer, sur scène, un (deux) spectacle(s) qui déboussole(nt) et fascine(nt) le spec­ta­teur. 

Ici nous évo­querons leur dernière pro­duc­tion, Rumeur et petits jours, dont le titre, à l’image du spec­ta­cle, est déjà empli de tumulte, de joyeuse effer­ves­cence, de poésie et de ques­tion­nements.

Après avoir sondé des des­tins indi­vidu­els révo­lu­tion­naires dans Le Sig­nal du promeneur 2, les cinq comé­di­ens-auteurs-met­teurs en scène s’attèlent à l’étude et la représen­ta­tion d’un groupe mar­gin­al : cinq ani­ma­teurs ringards (soix­ante-huitards « attardés »), aux manettes d’une émis­sion radio­phonique à l’agonie. Dans cette émis­sion inti­t­ulée « épigraphe », qui aurait pu tout aus­si bien s’appeler « épi­taphe », nos pro­tag­o­nistes con­fron­tent leur pen­sée dans un idéal démoc­ra­tique : ils s’écoutent, débat­tent, se dis­putent, et déroulent devant nous les récifs d’un sys­tème utopique con­tre lequel ils échoueront – à moitié – entraî­nant avec eux dans la débâ­cle un pub­lic pas si inno­cent que cela. Les nom­breux con­flits qui agi­tent le groupe mèneront à la for­ma­tion rapi­de d’un grou­pus­cule pseu­do-révo­lu­tion­naire – qui se désagrègera tout aus­si vite à l’arrivée d’une con­tre-utopie (TINA). Mais ce qui compte le plus avec ce col­lec­tif « vaneigemien », ce sont les nar­ra­tions internes, réc­its qui empor­tent l’imaginaire du spec­ta­teur et ren­dent leur art si « vivant ».

Nos cinq pro­tag­o­nistes, tout en évolu­ant dans la société actuelle (de nom­breuses références nous y ren­voient) incar­nent une époque révolue, le début des années qua­tre-vingt. Cette époque est fig­urée non seule­ment par leur look, leur vocab­u­laire, les objets et le décor scénique mais elle est surtout inscrite dans les thé­ma­tiques abor­dées en fil­igrane : le thatch­érisme et le rea­gan­isme de ces années-là, avec leurs abus du mon­di­al­isme et les con­séquences désas­treuses que l’on con­naît aujourd’hui sur la vie sociale et les pays du tiers monde.

Dès l’ouverture, très soignée, qui regorge de minu­tieux détails, les acteurs, assis der­rière une longue table, font face au pub­lic, comme dans un procès dont les coupables seraient jugés par con­tu­mace. Côté jardin, une pla­tine tourne-disque, côté cour, un généra­teur d’électricité qui fait aus­si office de receveur de télex, au-dessus, de grands néons, ban­cals. Dans cette atmo­sphère « mi-figue mi-raisin », le spec­ta­teur est d’emblée désta­bil­isé : la vétusté des lieux, les lumières déglin­guées, les objets d’époque prê­tent à sourire ; mais les comé­di­ens sont désarçon­nants de sérieux, et ils nous révè­lent assez vite qu’il s’agit de leur ultime émis­sion. Faut-il rire ou pleur­er face au déclin de cette pro­duc­tion d’un autre âge ?

Une voix off annonce « antenne dans vingt sec­on­des » et une musique de big-band style Count Basie fait office de générique d’ouverture.

Durant toute la représen­ta­tion, une ampoule rouge qui pend du pla­fond à l’avant-scène nous indique quand les ani­ma­teurs sont à l’antenne : sub­tile et pas­sion­nante mise en abyme pour le pub­lic, qui a la dou­ble con­trainte de suiv­re à la fois l’émission radio­phonique et le spec­ta­cle. Dédou­ble­ment entre audi­teur et spec­ta­teur qui con­fère à ce dernier un rôle act­if dans la créa­tion.

Sur la table, trois élé­ments de décor, métaphores géniales de la quin­tes­sence du spec­ta­cle : un cac­tus (le voy­age), un métronome (la musique / l’harmonie) et cinq micros sur pieds (la parole / le réc­it). 

Du Mexique au sillon Sambre et Meuse

Le cac­tus est d’emblée présen­té au pub­lic /auditeurs, cadeau de l’un des ani­ma­teurs, qui, souf­frant, nous dit-on, ne peut être présent mais envoie cette plante grasse en prove­nance du désert de Wiriku­ta (Mex­ique). Serait-ce le fameux pey­otl, cac­tus hal­lu­cinogène large­ment con­som­mé là-bas ? Ce pau­vre hère que l’on ne con­naî­tra jamais en subi­rait-il les effets per­vers ou aurait-il pris le par­ti de fuir avant l’apocalypse, sen­tant le vent de leur des­tinée tourn­er inéluctable­ment ?

A

rticle réservé aux abonné.es
Envie de poursuivre la lecture?

Les articles d’Alternatives Théâtrales en intégralité à partir de 5 € par mois. Abonnez-vous pour soutenir notre exigence et notre engagement.

S'abonner
Déjà abonné.e ?
Identifiez-vous pour accéder aux articles en intégralité.
Se connecter
Accès découverte. Accès à tout le site pendant 24 heures
Essayez 24h
Théâtre
Critique
Portrait
Raoul collectif
7
Partager
Laurence Van Goethem
Laurence Van Goethem, romaniste et traductrice, a travaillé longtemps pour Alternatives théâtrales. Elle est cofondatrice...Plus d'info
Partagez vos réflexions...
La rédaction vous propose
Mon panier
0
Ajouter un code promo
Sous-total

 
Artistes
Institutions

Bonjour

Vous n'avez pas de compte?
Découvrez nos
formules d'abonnements