Ceci est un centre culturel indépendant d’art contemporain
JE NE CROIS PAS qu’il y ait quelqu’un dans la ville de Cluj, quelqu’un plus ou moins intéressé par l’art contemporain qui n’ait pas entendu parler de la Fabrique de Pinceaux. Je ne crois pas qu’il y ait beaucoup de gens en Roumanie, plus ou moins intéressés par l’art contemporain, qui n’aient pas entendu parler de ce rassemblement unique, spontané, et en même temps tellement bien rangé, comme une petite ville. Bien qu’elle n’ait qu’une année à peine d’existence (le lancement officiel a eu lieu le 23 octobre 2009), la Fabrique de Pinceaux est arrivée à avoir déjà, pour ceux qui la visitent ou achètent ses produits d’art contemporain, un air normal : il est normal qu’elle existe, il est normal qu’il y ait du monde, il est normal qu’elle ait été créée, il est normal qu’elle soit dans cet espace, il est normal, tout est normal. Je dois reconnaître qu’il y a un an et quelque, quand j’entendais de divers côtés qu’un « pôle culturel » naîtrait à Cluj, j’avais des doutes, moi, comme beaucoup d’autres. Des doutes que ce fût possible. Et surtout que ça dure. Mais ça a été possible. Et ça va sûrement durer. La preuve la plus sûre et peut-être la plus belle c’est la foule de gens qui viennent sans cesse aux événements de la Fabrique. Fait inespéré même pour les plus optimistes de ses initiateurs, les gens viennent à la Fabrique avec une énergie et une rapidité étonnantes, en dépit de son positionnement en dehors du centre de la ville, c’est-à-dire de l’espace classique et unique : ils continuent de venir pour visiter l’art. Pourquoi ?
Les gens viennent à la Fabrique parce que, en ce moment, la Fabrique de Pinceaux est un centre culturel indépendant reconnu, de création et de diffusion de l’art contemporain. Vingt-neuf espaces d’art contemporain se partagent les deux mille mètres carrés du bâtiment de l’ancienne fabrique de pinceaux de Cluj. Privatisée peu de temps après la révolution de 1989, elle a perdu de sa rentabilité et a été fermée. Lorsque, en 2009, le propriétaire, la société Perom, a annoncé qu’il désirait vendre ou louer le bâtiment, la Galerie Sabot s’est montrée intéressée. Et elle a fait appel à d’autres.
De plus en plus d’organisations, de galeries d’artistes à la recherche d’un espace devenaient eux aussi intéressées. Ensuite, d’autres partenaires encore ont décidé d’emménager dans la Fabrique, même s’ils avaient déjà des espaces ailleurs. Spontanément, dans un laps de temps extrêmement court, la Fabrique de Pinceaux a commencé à re-devenir une fabrique de pinceaux, et les négociations avec le propriétaire ont porté sur tout le bâtiment, occupé maintenant entièrement. Plus de trente occupants ont aménagé individuellement leurs espaces qu’ils utilisent pour des projets indépendants, mais ils ont développé un programme commun, avec des objectifs communs et une administration commune, géré par une Fédération (composée d’un président, un conseil directeur et un manager).
Les gens viennent à la Fabrique parce que, dans l’air poussiéreux et métallique, mélangé à l’odeur de peinture fraîche, les événements, les nouveautés, les lancements, les premières et les invitations ont une périodicité au moins hebdomadaire. Les galeries, le showroom et les deux espaces pour les performances (la Salle Studio et la Petite Salle), entourés par des espaces de travail (des ateliers et des bureaux), abritent des expositions d’art contemporain (peintures, installations, vidéos), des concerts, des ateliers de travail (créations pour enfants, danse contemporaine, contact improvisation, capoeira, percussion, théâtre, pour les spécialistes, mais aussi pour des étudiants ou tout simplement pour des amateurs), des projections de films, des débats publics et, bien sûr, des performances, des happenings, des spectacles de théâtre et de danse, des propres productions et des invitées.
Les gens viennent à la Fabrique parce qu’ici ont lieu des événements internationaux importants, comme le Festival européen de théâtre, danse et vidéo Temps d’images Roumanie1, organisé en novembre 2009 par les membres Artlink, devenu maintenant Collectif A (parmi les premiers qui se sont ralliés au projet commun de la Fabrique). Des spectacles de danse de Suisse, Allemagne, France, Norvège, Italie et Roumanie, des ateliers / chantiers avec des danseurs professionnels, mais aussi un atelier de théâtre-vidéo dédié aux étudiants, des expositions vidéo, des projections de films de vidéo-danse et des conférences ont occupé, pendant le Festival, à côté d’autres espaces de Cluj, la Salle Studio et la Petite Salle de la fabrique de pinceaux. Les gens viennent à la Fabrique parce que, toujours dans la Salle Studio, sous le titre « court-circuit performatif », on a pu voir les plus récents spectacles de danse contemporaine réalisés au Centre National de la Danse de Bucarest, mais aussi des one-man et one-woman shows des étudiants sortis de la Faculté de Théâtre et de Télévision de Cluj (FTT). Artlink a offert aux étudiants un laboratoire de création chorégraphique, dirigé par Florin Fieroiu.
Les gens viennent à la Fabrique parce que dans la Petite Salle, à côté de ses collaborations avec d’autres théâtres de Roumanie, on a présenté jusqu’à maintenant cinq créations, rassemblées dans une micro-saison (le premier spectacle réalisé ici a été DÉLIRE A DEUX… À TANT QU’ON VEUT, d’Eugène Ionesco, dans une mise en scène et scénographie de Mihaela Panainte), deux ateliers de création pour enfants du quartier Marasti, où se trouve la fabrique de pinceaux (les enfants apprennent à réaliser des marionnettes et des instruments musicaux utilisés ensuite dans des exercices d’improvisation). Connu déjà pour leurs cours de contact improvisation, GroundFloor Group a présenté ici un de ses spectacles, AIR TISSÉ DE MOUVEMENT, un exercice expérimental auquel ont participé des danseurs et des diplômés du cours « d’improvisation électronique / renouvellement de la tradition / musique nouvelle » soutenu par Csaba Ajtony (Vienne) à l’Académie de Musique « Gheorghe Dima » de Cluj, un spectacle expérimental, donc, né de la relation entre la musique électronique live et le mouvement.Les gens viennent à la Fabrique parce qu’ici ils peuvent voir aussi de grands films : l’un des événements les plus attractifs a été, par exemple, La longue nuit des courts métrages, organisé à Cluj par ShortsUP Roumanie et Uzinaduzina qui présente des films reconnus : le grand gagnant aux Oscars 2010, des films qui ont eu l’Ours d’Or et l’ours d’Argent à Berlin, les lauréats BAFTA, de l’European Film Academy et de Clermont Ferrand 2010, mais aussi une sélection des films les plus populaires de l’édition Anim’Est 2009, ainsi que des courts métrages de la section horror « Ombres » de la TIFF 2010 (Transilvania International Film Festival, qui se déroule à Cluj, chaque année, à la fin du printemps). Et il ne manque ni les débats, comme Jour pour dire, organisé par la Fondation AltArt, et qui se propose de contribuer à la propagation d’une culture du débat dans l’espace public et à l’engagement de la culture comme facteur actif des processus sociaux, économiques et politiques.
Pour toutes ces raisons, et pour beaucoup d’autres qui ne peuvent pas être retenues ici (pour les détails, vous pouvez visiter le site www.fabricadepensule.ro) les gens viennent à la Fabrique. En ce moment, elle est le lieu où tout semble possible. La Fabrique est aujourd’hui le lieu probablement le plus généreux et le plus attractif en termes de rencontre, manifestation et expérimentation d’art contemporain, sous ses multiples facettes. Les gens viennent à la Fabrique parce la Fabrique EST vraiment ce qu’elle veut promouvoir : un syncrétisme des arts contemporains, un « être ensemble » des artistes, des genres et des formes.
Là, le public compte, parce qu’il est appelé à créer, aux côtés des créateurs, les œuvres d’art d’une génération qui se cherche encore. Mais au moins, ils le font ensemble.
- Titre original en français.(Note du traducteur). ↩︎