Bernard Debroux : Comment as-tu été amené à participer au projet Coup fatal ?
Fabrizio Cassol : En 2009, nous avions clôturé la tournée de Pitié ! d’Alain Platel à Kinshasa lors de la première édition du festival du KVS. La musique de cette pièce était une adaptation de la Passion selon St Mathieu de Bach dans laquelle Serge Kakudji interprétait symboliquement le rôle du Christ. J’étais déjà allé à Kin plusieurs fois à la demande de Jan Goossens, j’ai eu l’occasion d’y rencontrer Serge en prospectant le milieu musical. À dix-sept ans, il avait une force vocale indéniable et une personnalité touchante. Alain a directement craqué et je lui ai proposé de participer à cette création. C’était un pari plutôt risqué étant donné l’intensité du rôle, la longueur de la tournée et son manque d’expérience. Toute une synergie s’est mise autour de lui pour que cela soit possible tout en lui permettant de suivre des études musicales de haut niveau, ce qui n’est pas possible au Congo.
Dans la foulée de cette aventure, Paul Kerstens a proposé à Serge d’envisager un projet qui pourrait relier sa nouvelle histoire occidentale engagée dans la musique baroque (il habite aujourd’hui à Paris) et son histoire congolaise.
J’ai entendu une première étape de travail rassemblant Serge et quelques musiciens congolais. Cette ébauche était surprenante et fonctionnait déjà très bien comme un diamant brut qu’il fallait encore tailler patiemment. Nous nous sommes vus là-bas régulièrement durant ces trois dernières années et j’ai toujours tenu Alain au courant de l’évolution de ce projet. Dans nos rencontres régulières je lui décrivais également un aspect que je n’arrivais pas à gérer, le fait que les musiciens se mettent toujours à danser lors de nos traditionnelles restitutions publiques en fin de période de travail. La musique l’a ému, il est rentré dans l’aventure et nous a rejoints à Kin en août dernier, accompagné de Romain Guion, son assistant. C’était magnifique, les musiciens ont directe- ment ressenti son personnage, sa sensibilité, ses idées. Ils ont joué et dansé chaque jour presque sans limite…
B. D. : Comment avez-vous procédé pour constituer cette équipe artistique qui se compose aujourd’hui de treize musiciens et un chanteur lyrique ?
F. C. : Paul Kerstens et Rodriguez Vangama connaissent très bien la scène kinoise. Il y a eu beaucoup de péripéties parce que plusieurs facteurs s’entrecroisent. Les premiers sont la sensibilité et la souplesse musicale afin d’entrer dans des constructions musicales très inhabituelles puisqu’il s’agit d’un métissage entre la musique baroque et congolaise. Ensuite la constitution d’un orchestre à la fois homogène et varié dans son potentiel de couleurs et de vibrations expressives. Et puis, la stabilité des personnalités pour vivre les tournées. L’équipe telle qu’elle est prête aujourd’hui est une combinaison très harmonisée entre des personnalités très différentes. Ces musiciens, même si l’influence dominante reste congolaise, apportent des couleurs allant jusqu’à l’Afrique de l’ouest avec l’apport notamment du marimba.
B. D. : Ce n’est pas la première fois que tu mènes cette expérience particulière de métissage, de fusion d’univers musicaux et culturels différents pour arriver à quelque chose de nouveau…
F. C. : C’est ma vie même ! Mon pain quotidien ! C’est une passion qui est au-delà de la musique puisqu’elle concerne la culture au sens large avec ses aspects sociaux et spirituels reliant des mémoires parfois ancestrales. L’humain en est le centre et la musique son émanation.
B. D. : L’enjeu est donc de trouver des musiciens qui ont cette capacité particulière de pouvoir rentrer dans cette démarche particulière et d’assimiler cette fusion…
F. C. : …et on a beaucoup de chances dans l’équipe d’avoir Rodriguez Vangama qui joue le rôle de chef d’orchestre et qui est la mémoire, la bibliothèque du groupe. Rodriguez est sur scène le pilier du groupe, un chef d’orchestre d’une nature différente et guitariste hors- pair. J’aime beaucoup son élégance lorsqu’il dirige les musiciens. Sa sensibilité trouve une place dans toutes les extensions musicales, il est probablement le seul au Congo qui puisse tenir ce rôle.
B. D. : Cette capacité particulière nécessaire ne signifie pas – j’ai pu le constater en assistant aux répétitions – qu’il faut avoir une formation de type classique et savoir lire des partitions, la majorité des musiciens du groupe ne lisent pas les partitions…