Bernard Debroux : D’où vous vient votre passion pour le théâtre ? Avez-vous suivi une formation pour arriver dans ce métier ?
Starlette Mathata : Déjà à l’école j’étais plutôt une « littéraire» ; j’avais une facilité pour mémoriser mes cours et j’aime beaucoup les langues. Mon père travaillait dans le secteur commercial et, comme j’étais l’aînée de la famille, il voulait que je suive la même voie. J’ai fait un an de filière maths pour le satisfaire. Je me souviens qu’au moment de passer mon Bac, on suivait à la télévision le premier Festival International de l’acteur de Kinshasa. Pendant dix jours, tous les jours, il y avait un spectacle qui passait à la télé. J’ai dit à mon père : « après mon bac, c’est ce métier que je veux faire. » Il a été d’accord. Le Festival International de l’acteur était organisé par L’écurie Maloba. Je n’y ai pas été acceptée tout de suite malgré de nombreuses lettres de motivation… Deux amis avaient demandé l’espace de répétition à L’écurie Maloba pour y travailler leur pièce Les Coupables à laquelle ils m’avaient demandé de participer. Le président de L’écurie Maloba, Mutombo Buitshi, qui nous observait, s’est intéressé à notre travail. Il nous a convoqués et nous a engagés dans Malaïka, sa troupe (une des trois qui composait l’écurie Maloba). Il a pris soin de nous. Il était très sévère et m’a transmis sa rigueur dans le travail. C’est aussi la personne qui m’a appris à ne pas avoir peur de la nuit. La première fois que je suis rentrée tard chez moi le soir, je revenais de la répétition. Parfois nous restions jour et nuit dans le théâtre, en retraite, pour créer un spectacle.
B. D. : Une rencontre marquante dans votre trajectoire professionnelle…
S. M. : On l’appelait « le géant de la scène », « l’araignée noire ». Il était très sombre, grand et il avait une voix grave. Quand vous n’aviez pas satisfait à la répétition, vous ne rentriez pas chez vous. Il disait : « Si vous ne répondez pas à mes critères, vous restez là jusqu’au petit matin. » C’était des sortes de punitions ! On était obligés de rester parfois jusqu’à minuit et finalement, on devait se conformer à ses folles exigences pour pouvoir rentrer chez nous… Avec une sorte de rage, il arrivait à nous faire sortir de nous mêmes. Mais en même temps, il ramenait les filles chez elles et payait le transport aux garçons pour qu’ils rentrent chez eux.
J’ai joué dans un spectacle de Mutombo Buitshi Mourir en Europe qui a eu un très grand impact à Kinshasa. La pièce traitait de la relation entre le Congo et l’Europe, entre les Noirs et les Blancs, l’envoi des médicaments périmés pour l’Afrique, de la corruption… Comment les gens vendaient leur âme pour de l’argent en Europe. C’était une très belle écriture. Un jour qu’on répétait, celui qui jouait un domestique doit s’absenter. Je prends sa place et commence à jouer le rôle du domestique avec un accent espagnol. Je m’amusais beaucoup parce que ce n’était pas mon rôle ! Mutombo est sorti de son bureau et j’ai pensé qu’il allait croire que je me moquais de son travail ! C’est le contraire qui est arrivé. Il m’a proposé de garder le rôle, donc j’avais deux rôles dans le spectacle !
B. D. : Combien de temps êtes-vous restée à l’écurie Maloba ?
S. M. : Deux ans. La troisième année, je suis partie pour une autre aventure. C’était au départ un voyage