La mariée était en noir

Opéra
Critique

La mariée était en noir

Jenůfa au Théâtre de La Monnaie, Bruxelles

Le 20 Avr 2014
Nicky Spence, Sally Matthews et CaroleWilson dans JENUFA de Leoš Janácek, direction musicale Ludovic Morlot, mise en scène et décors Alvis Hermanis, La Monnaie, 2014. Photo Karl Forster / La Monnaie.
Nicky Spence, Sally Matthews et CaroleWilson dans JENUFA de Leoš Janácek, direction musicale Ludovic Morlot, mise en scène et décors Alvis Hermanis, La Monnaie, 2014. Photo Karl Forster / La Monnaie.

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Nicky Spence, Sally Matthews et CaroleWilson dans JENUFA de Leoš Janácek, direction musicale Ludovic Morlot, mise en scène et décors Alvis Hermanis, La Monnaie, 2014. Photo Karl Forster / La Monnaie.
Nicky Spence, Sally Matthews et CaroleWilson dans JENUFA de Leoš Janácek, direction musicale Ludovic Morlot, mise en scène et décors Alvis Hermanis, La Monnaie, 2014. Photo Karl Forster / La Monnaie.
Article publié pour le numéro
Couverture du numéro 120 - Les théâtres de l'émotion
120

DEUXIÈME acte de JENUFA : après des jours de fièvre puer­pérale, Jen­u­fa quitte le lit et apprend que son nou­veau-né est mort. Sa réac­tion est inat­ten­due : « Donc, il est mort. Donc il est devenu un petit ange. » Et elle chante ses phras­es calme­ment, dans un étrange éton­nement, comme paralysée, sans cris, sans gestes. La courbe mélodique remonte plusieurs fois pour immé­di­ate­ment retomber comme si elle aus­si était frap­pée de paralysie ; elle est belle, elle est émou­vante, sans pour autant cess­er d’être exacte.
Milan Kun­dera , Les Tes­ta­ments trahis (1993)

Nous sommes au tour­nant du XIXe et du XXe  siè­cle lorsque Leoš Janáček com­pose son troisième opéra, JENUFA. En Europe c’est l’explosion de l’art nou­veau. Voulant mar­quer et dater sa mise en scène, Alvis Her­ma­n­is n’a pas hésité à offrir un décor et une scéno­gra­phie totale­ment baignés dans cet univers de rythmes, de couleurs et d’ornementations, inspiré de la lux­u­ri­ance de la nature, par­ti­c­ulière­ment des fleurs et des arbres.

L’opéra est le lieu rêvé pour représen­ter cette efflo­res­cence avec toute la dimen­sion poé­tique que per­me­t­tent les tech­niques du théâtre, portées ici à un degré d’excellence impres­sion­nant.

L’opéra, le théâtre, sont des arts du vivant. Il ne s’agit donc pas seule­ment d’offrir au regard une pein­ture flam­boy­ante mais de l’intégrer à la dra­maturgie.

Her­ma­n­is n’hésite pas à gliss­er de la pein­ture au tableau choré­graphié, les danseuses pro­longeant les tableaux en une frise vivante.

Ce souci d’historicité se retrou­ve aus­si dans les cos­tumes. Janáček a étudié de près la musique pop­u­laire mais aus­si la vie paysanne. Cet art folk­lorique mol­dave est encore très vivant aujourd’hui. On y retrou­ve, dans les broderies des cos­tumes tra­di­tion­nels, ce même souci de la déco­ra­tion, des couleurs, des motifs géométriques. Réal­isés par la cos­tu­mière Anne Watkins, ces cos­tumes qui habil­lent non seule­ment les pro­tag­o­nistes mais tout le chœur ne font pas seule­ment référence à la vie des cam­pagnes, ils sont légère­ment détournés, décalés, ren­voient à l’Amérique du Sud, et par la styl­i­sa­tion des mou­ve­ments que le met­teur en scène a pro­posé aux acteurs/chanteurs, on peut y voir comme une référence au kabu­ki (forme épique et cod­i­fiée du théâtre japon­ais tra­di­tion­nel). Cette référence est par­fois un peu trop appuyée. Les chanteurs d’opéra n’ont évidem­ment pas la maîtrise des grands acteurs nip­pons. Pour­tant à cer­tains moments, ces mou­ve­ments provo­quent une sorte d’humour (ou en tout cas un jeu dis­tancé) qui sera pleine­ment assumé lors des saluts. Le met­teur en scène n’hésite d’ailleurs pas à qual­i­fi­er sa démarche de « kabu­ki morave de Rio »…

Sally Matthews dans
JENUFA de Leoš Janácek,
direction musicale
Ludovic Morlot,
mise en scène et décors
Alvis Hermanis,
La Monnaie, 2014.
Photo Karl Forster /
La Monnaie.
Sal­ly Matthews dans JENUFA de Leoš Janácek,
direc­tion musi­cale Ludovic Mor­lot, mise en scène et décors Alvis Her­ma­n­is, La Mon­naie, 2014.
Pho­to Karl Forster / La Mon­naie.

Pas d’opéra sans drame. Ici, les êtres qui s’affrontent sont liés par une his­toire famil­iale com­plexe. Trois généra­tions de femmes. Une aïeule, Bury­ja ; sa belle fille, la Sac­ristine ; celle-ci ayant adop­té Jenů­fa, l’enfant de son mari décédé. Jenů­fa est amoureuse de Ste­va, charmeur et séduc­teur, petit-fils de Bury­ja. Son demi-frère, Laca est amoureux de Jenů­fa et jaloux de Ste­va. Tout cela se déroule dans un milieu pop­u­laire. Loin des per­son­nages de la haute société, ce qui nous est présen­té est une tranche de vie paysanne, avec le poids de la reli­gion, la vio­lence des rap­ports entre les per­son­nages (Laca blessera d’un coup de couteau Jenů­fa quand elle se dérobera à lui), la prég­nance des con­ve­nances et son corol­laire, l’argent.

Jenů­fa va don­ner nais­sance à un enfant qu’elle a eu de Ste­va. Celui-ci l’ignore (il est par­ti aux armées). La sac­ristine va ten­ter, lorsqu’il revient, de lui faire épouser Jenů­fa. Il refuse étant fiancé par ailleurs. Elle va ensuite met­tre tout son poids de per­sua­sion et d’amour pour con­va­in­cre Laca d’accepter de pren­dre Jenů­fa pour femme en lui annonçant la mort de son jeune enfant. Prise au piège de son men­songe, elle se décide à noy­er le petit être pen­dant que Jenů­fa est plongée dans une fièvre déli­rante. Elle mas­quera aux yeux de tous son crime en annonçant que l’enfant est mort de mal­adie.

Jeanne-Michèle
Charbonnet et Nicky
Spence dans JENUFA
de Leoš Janácek,
direction musicale
Ludovic Morlot,
mise en scène et décors
Alvis Hermanis,
La Monnaie, 2014.
Photo Karl Forster /
La Monnaie.
Jeanne-Michèle Char­bon­net et Nicky Spence dans JENUFA de Leoš Janácek,
direc­tion musi­cale Ludovic Mor­lot, mise en scène et décors Alvis Her­ma­n­is, La Mon­naie, 2014.
Pho­to Karl Forster / La Mon­naie.

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Alvis Hermanis
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Bernard Debroux
Bernard Debroux
Fondateur et membre du comité de rédaction d'Alternatives théâtrales (directeur de publication de 1979 à...Plus d'info
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