CLAIRE de René Char, mise en scène et scénographie Alexis Forestier, avec Jean Chaize, Brigitte Cuvelier, Bruno Forget, Alain Gintzburger, Antonin Rayon, Cécile Saint-Paul, lumières et régie générale Denis Gobin.
EN 1948, René Char, peu familier de l’écriture théâtrale, choisit une forme dramatique pour évoquer la relation trouble, contrariée par les tourments de l’Histoire, entre sa recherche poétique et l’injonction du politique. Il y fait explicitement référence à l’expérience qui fût la sienne durant la Seconde Guerre mondiale ; son engagement dans la résistance et la dialectique qui en résulte deviennent les principaux axes d’une dramaturgie qui se compose peu à peu à travers les méandres de fragments de réalité multiples.
Claire, qui est la fois la rivière et la jeune fille, traverse un paysage au relief changeant, aux situations non toujours reliées les unes aux autres ; elle est aussi la rencontrée, celle que le poète attend et qui lui permet de se remettre en mouvement, d’entrer à nouveau dans l’ouvert du monde, au lieu même où celui-ci s’était mis à vaciller.
Nous nous sommes emparés de ce texte en 1995 pour en donner une première version, jouée à Chalon- sur-Saône, puis salle Benoît XII à Avignon, enfin au théâtre L’Échangeur en juillet 1996. Nous travaillons aujourd’hui sur la mémoire de ce que nous avions mis en place en introduisant une dimension musicale, alors absente du paysage sonore originel.
L’aube, chaque jour, nous éveille avec une question insignifiante qui sonne parfois comme une boutade lugubre. Ainsi ce matin : « Trouveras-tu aujourd’hui quelqu’un à qui parler, aux côtés de qui te rafraîchir ? » Le monde contemporain nous a déjà retiré le dialogue, la liberté et l’espérance, les jeux et le bonheur ; il s’apprête à descendre au centre même de notre vie pour éteindre le dernier foyer, celui de la Rencontre… Ici il va falloir triompher ou mourir, se faire casser la tête ou garder sa fierté.
Nous jouons contre l’hostilité contemporaine la carte de CLAIRE. Et si nous la perdons, nous jouerons encore la carte de CLAIRE. Nos atouts sont perpétuels, comme l’orage et comme le baiser, comme les fontaines et les blessures qu’on y lave. (René Char, Bandeau de Claire, 1949) Nous regardions couler devant nous l’eau grandissante ( … ). 1
CLAIRE appartient aux figures de la vocation poétique associées, dans l’œuvre de René Char, au jaillissement de la rivière, à son caractère irrépressible.
Nous dévoilant peu à peu l’arrière-pays du poète, la pièce est une invitation à suivre cette rivière qui nous est racontée et qui est faite de beaucoup de Claires. L’écriture de Char conduit abruptement vers cette possibilité d’échange intime et indicible qu’offre la représentation théâtrale. La figure de Claire, à l’instant même de son apparition, formule cette naissance, cette venue en présence qui est la sienne au sein de la représentation et se propose d’incarner cet échange en invitant le spectateur à se sentir au plus près de ce qu’elle traverse, à reconsidérer « à travers ses yeux des moments auxquels il aurait lui-même participé ou contre le sens desquels il se serait violemment dressé » 2.
Elle porte en effet un regard changeant sur les situations qui la contiennent ou ne font que la nommer… Il arrive également qu’elle s’absente ou soit tenue à l’écart, navigant ainsi à travers les événements les plus tragiques et les plus radieux, de l’aube au crépuscule, depuis la source jusqu’à son embouchure.
L’effusion matinale – d’où surgissent turbulence et lumière – est le climat physique et métaphorique du premier tableau, celui où les choses et les êtres se découvrent les uns aux autres ; Claire se révèle aux éléments qui l’ont fait naître, dévoile son existence aux spectateurs en même temps qu’elle surprend la leur.