EN POLOGNE, les résonances d’ANGELS IN AMERICA n’ont rien à voir avec celles que la pièce a connues en Amérique où elle a été adaptée en comédie musicale, en téléfilm, récupérée par le show-business. Chez nous, c’est toujours la voix d’un New-Yorkais, gay, juif. Un langage que personne n’a tenu jusqu’à maintenant. Bien sûr, la société a évolué mais les initiatives positives du début du mouvement homosexuel ont été dernièrement bloquées par le gouvernement. C’est un sujet actuellement très chaud, avec des scandales politiques tels que l’interdiction de la Gay Pride. Cette tendance s’accompagne de débats où l’on envisage par exemple de tenir les homosexuels écartés de l’éducation nationale.
Loin d’être du pur chaos intellectuel, ce que Tony Kushner dit dans cette pièce est donc une voix étrangère qui a des répercussions sociales. Le contexte polonais est à ce niveau très éloigné du contexte français, les influences du théâtre dans la vie courante sont beaucoup plus repérables car nous ne sommes pas submergés par ces articles où, avant même la première, on a tout dit, on croit avoir tout compris. Déjà, avec PURIFIÉS, une polémique s’était engagée dans les journaux non spécialisés sur les limites du théâtre : jusqu’où peut-on aller ? Que peut-on montrer sur scène ? Après la première d’ANGELS IN AMERICA à Varsovie, des articles sont parus sur Kushner, la particularité de son engagement, mais aussi l’histoire de la réception de l’homosexualité en Europe. Dans l’un d’eux, j’ai appris que les homosexuels ont été les seuls à ne pas être libérés après la Seconde Guerre mondiale, le statut concernant les homosexuels dans la loi nazie ayant été maintenu jusque dans les années 80. Ce type d’article propose, à partir du spectacle, une vraie problématique autour de l’homosexualité.
Le « politiquement correct » est propre à l’Europe de l’Ouest et à l’Amérique. Il concerne beaucoup moins les Polonais avec qui le dialogue est complètement autre. On ne peut pas compter sur un public habitué à entendre dans l’art quelque chose de politiquement correct. Le réel succès de ce spectacle a été pour moi de mixer le public, que des homosexuels soient venus au théâtre sans avoir peur de s’afficher, main dans la main. C’est devenu un événement social. Je ne m’y attendais pas. Avec PURIFIÉS, le choc avait été très fort – à cette différence près qu’on n’avait pas de background social car la pièce se situait dans une abstraction pure, c’était un cri absolu, sans confrontation avec la société. Tandis que là, on parle de religion, d’homosexualité, d’éléments enracinés dans la vie politique et sociale. Le théâtre a une force politique. L’an dernier, un spectacle a été créé sur les rapatriés polonais allemands issus des mouvements de population causés par les déplacements des frontières après la guerre. Ce genre de spectacle, qui mêle rapatriés et comédiens, réveille politiquement tout le théâtre. De la même façon que DIBBOUK a été un événement politique en suscitant un dialogue polonais-juif, ANGELS IN AMERICA apprivoise le public autour de l’homosexualité. Je pense à la fameuse scène où le gars appelle sa mère pour lui dire qu’il est homosexuel alors qu’il était incapable de le lui dire frontalement. Il s’agit de mormons dans la pièce, mais c’est probablement tous les jours que quelqu’un appelle ainsi depuis Varsovie au village catholique.
J’insiste sur l’aspect homosexuel dans la réception en Pologne pour faire ressortir l’importance du contexte dans lequel on reçoit une mise en scène. Ailleurs, avec un public différent, l’accent sera mis sur des thématiques plus universelles, la culpabilité ou le châtiment.
J’ai traité ici le thème de l’homosexualité en développant ce que j’ai commencé dans d’autres pièces comme KROUM, où j’ai cherché ce qu’est la maladie qui nous effraie. Là, je n’ai pas voulu trop insister sur le sida car nous ne sommes plus dans la conjoncture des années 80. Je voulais aussi éviter cette vieille connotation d’une maladie spécifique aux homosexuels.
La réception ne sera pas la même en France qu’à Varsovie où il y a une attente autour de l’homosexualité dans son rapport au catholicisme. On est évidemment dans la couleur homosexuelle puisque je travaille à partir du message de Kushner mais, ce qui m’intéresse, c’est surtout l’évolution de la perception. L’homosexualité ouvre d’autres questions très générales, présentes dans mes spectacles précédents : la maladie, la religion, la culpabilité. En tant qu’homosexuel, est-ce que je suis coupable ? Coupable par rapport à ma mère pratiquante ? En tant qu’homme marié à une femme, suis-je coupable de lui avouer trop tard mon homosexualité ? Mon partenaire a le sida, suis-je coupable de le quitter alors qu’il est malade ? Ces questions se répondent, à partir des personnages qui sont liés.