Faire réagir émotionnellement

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Faire réagir émotionnellement

Texte rédigé à partir d’un entretien avec Krzyzstof Warlikowski

Le 19 Juil 2007
ANGELS IN AMERICA de Tony Kushner, mise en scène Krzysztof Warlikowski. Photo Stefan Okolowicz.
ANGELS IN AMERICA de Tony Kushner, mise en scène Krzysztof Warlikowski. Photo Stefan Okolowicz.

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ANGELS IN AMERICA de Tony Kushner, mise en scène Krzysztof Warlikowski. Photo Stefan Okolowicz.
ANGELS IN AMERICA de Tony Kushner, mise en scène Krzysztof Warlikowski. Photo Stefan Okolowicz.
Article publié pour le numéro
Couverture du numéro 93 - Ecrire le monde autrement
93

EN POLOGNE, les réso­nances d’ANGELS IN AMERICA n’ont rien à voir avec celles que la pièce a con­nues en Amérique où elle a été adap­tée en comédie musi­cale, en télé­film, récupérée par le show-busi­ness. Chez nous, c’est tou­jours la voix d’un New-Yorkais, gay, juif. Un lan­gage que per­son­ne n’a tenu jusqu’à main­tenant. Bien sûr, la société a évolué mais les ini­tia­tives pos­i­tives du début du mou­ve­ment homo­sex­uel ont été dernière­ment blo­quées par le gou­verne­ment. C’est un sujet actuelle­ment très chaud, avec des scan­dales poli­tiques tels que l’interdiction de la Gay Pride. Cette ten­dance s’accompagne de débats où l’on envis­age par exem­ple de tenir les homo­sex­uels écartés de l’éducation nationale.

Loin d’être du pur chaos intel­lectuel, ce que Tony Kush­n­er dit dans cette pièce est donc une voix étrangère qui a des réper­cus­sions sociales. Le con­texte polon­ais est à ce niveau très éloigné du con­texte français, les influ­ences du théâtre dans la vie courante sont beau­coup plus repérables car nous ne sommes pas sub­mergés par ces arti­cles où, avant même la pre­mière, on a tout dit, on croit avoir tout com­pris. Déjà, avec PURIFIÉS, une polémique s’était engagée dans les jour­naux non spé­cial­isés sur les lim­ites du théâtre : jusqu’où peut-on aller ? Que peut-on mon­tr­er sur scène ? Après la pre­mière d’ANGELS IN AMERICA à Varso­vie, des arti­cles sont parus sur Kush­n­er, la par­tic­u­lar­ité de son engage­ment, mais aus­si l’histoire de la récep­tion de l’homosexualité en Europe. Dans l’un d’eux, j’ai appris que les homo­sex­uels ont été les seuls à ne pas être libérés après la Sec­onde Guerre mon­di­ale, le statut con­cer­nant les homo­sex­uels dans la loi nazie ayant été main­tenu jusque dans les années 80. Ce type d’article pro­pose, à par­tir du spec­ta­cle, une vraie prob­lé­ma­tique autour de l’homosexualité.

Le « poli­tique­ment cor­rect » est pro­pre à l’Europe de l’Ouest et à l’Amérique. Il con­cerne beau­coup moins les Polon­ais avec qui le dia­logue est com­plète­ment autre. On ne peut pas compter sur un pub­lic habitué à enten­dre dans l’art quelque chose de poli­tique­ment cor­rect. Le réel suc­cès de ce spec­ta­cle a été pour moi de mix­er le pub­lic, que des homo­sex­uels soient venus au théâtre sans avoir peur de s’afficher, main dans la main. C’est devenu un événe­ment social. Je ne m’y attendais pas. Avec PURIFIÉS, le choc avait été très fort – à cette dif­férence près qu’on n’avait pas de back­ground social car la pièce se situ­ait dans une abstrac­tion pure, c’était un cri absolu, sans con­fronta­tion avec la société. Tan­dis que là, on par­le de reli­gion, d’homosexualité, d’éléments enrac­inés dans la vie poli­tique et sociale. Le théâtre a une force poli­tique. L’an dernier, un spec­ta­cle a été créé sur les rap­a­triés polon­ais alle­mands issus des mou­ve­ments de pop­u­la­tion causés par les déplace­ments des fron­tières après la guerre. Ce genre de spec­ta­cle, qui mêle rap­a­triés et comé­di­ens, réveille poli­tique­ment tout le théâtre. De la même façon que DIBBOUK a été un événe­ment poli­tique en sus­ci­tant un dia­logue polon­ais-juif, ANGELS IN AMERICA apprivoise le pub­lic autour de l’homosexualité. Je pense à la fameuse scène où le gars appelle sa mère pour lui dire qu’il est homo­sex­uel alors qu’il était inca­pable de le lui dire frontale­ment. Il s’agit de mor­mons dans la pièce, mais c’est prob­a­ble­ment tous les jours que quelqu’un appelle ain­si depuis Varso­vie au vil­lage catholique.

J’insiste sur l’aspect homo­sex­uel dans la récep­tion en Pologne pour faire ressor­tir l’importance du con­texte dans lequel on reçoit une mise en scène. Ailleurs, avec un pub­lic dif­férent, l’accent sera mis sur des thé­ma­tiques plus uni­verselles, la cul­pa­bil­ité ou le châ­ti­ment.

J’ai traité ici le thème de l’homosexualité en dévelop­pant ce que j’ai com­mencé dans d’autres pièces comme KROUM, où j’ai cher­ché ce qu’est la mal­adie qui nous effraie. Là, je n’ai pas voulu trop insis­ter sur le sida car nous ne sommes plus dans la con­jonc­ture des années 80. Je voulais aus­si éviter cette vieille con­no­ta­tion d’une mal­adie spé­ci­fique aux homo­sex­uels.

La récep­tion ne sera pas la même en France qu’à Varso­vie où il y a une attente autour de l’homosexualité dans son rap­port au catholi­cisme. On est évidem­ment dans la couleur homo­sex­uelle puisque je tra­vaille à par­tir du mes­sage de Kush­n­er mais, ce qui m’intéresse, c’est surtout l’évolution de la per­cep­tion. L’homosexualité ouvre d’autres ques­tions très générales, présentes dans mes spec­ta­cles précé­dents : la mal­adie, la reli­gion, la cul­pa­bil­ité. En tant qu’homosexuel, est-ce que je suis coupable ? Coupable par rap­port à ma mère pra­ti­quante ? En tant qu’homme mar­ié à une femme, suis-je coupable de lui avouer trop tard mon homo­sex­u­al­ité ? Mon parte­naire a le sida, suis-je coupable de le quit­ter alors qu’il est malade ? Ces ques­tions se répon­dent, à par­tir des per­son­nages qui sont liés.

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Chantal Hurault
Docteure en études théâtrales, Chantal Hurault a publié un livre d’entretiens avec Dominique Bruguière, Penser...Plus d'info
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