Travailler pour les gens encore un peu affamés…

Travailler pour les gens encore un peu affamés…

Le 30 Juin 1991
Monique Brun, Dominique Laidet, Remy Rauzier. LE JOUR SE LÈVE LÉOPOLD!
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Article publié pour le numéro
Mettre en scène aujourd'hui-Couverture du Numéro 38 d'Alternatives ThéâtralesMettre en scène aujourd'hui-Couverture du Numéro 38 d'Alternatives Théâtrales
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« … Décidé­ment les artistes ne font pas leur tra­vail … »

Michel Bute !

Aujour­d’hui qu’est-ce qui vous manque ?
Aujour­d’hui jeu­di 14 mars, il me manque le corps d’un comé­di­en, le chant d’un texte qu’il arra­cherait à la page du livre et les temps de silence qui l’en­vahissent quand, on le voit bien, il n’é­coute plus rien du monde qui l’en­toure et des voix qui lui parvi­en­nent, parce que comme le petit enfant ou comme le pre­mier ou le dernier homme, il se retrou­ve face à l’« expéri­ence de la vie ». Aujour­d’hui jeu­di 14 mars, il me manque de ne pou­voir être face à l’e­space vide, appa­remment vide, mais telle­ment rem­pli d’on­des, cha­cune por­teuse de la possi­bilité et de l’au­tori­sa­tion, de réou­vrir le livre et d’y inscrire en signes chauds, la suite du mys­tère.
Il me manque d’être au cœur d’un groupe d’hommes et de femmes penchés au-dessus de ce livre et au­ dessus de l’in­croy­able néces­sité de la trans­mis­sion.

A quoi avez-vous renon­cé ?
Mal­heureuse­ment à rien de ce qui m’a poussée à accom­plir l’acte théâ­tral la pre­mière fois. Tout est in­changé : l’u­topie et le rêve sont in­tacts, la pas­sion et l’amour égale­ment. Je dis « mal­heureuse­ment » parce que ce monde donne un curieux sens à la notion d’a­vance dans la vie, celui d’ « inté­gra­tion » , et l’intégra­tion sig­ni­fie mal­heureuse­ment l’aban­don oblig­a­toire des « orig­ines ».

Celui chez qui cette trace, celle qui fonde son iden­tité, ne veut pas foutre le camp, se retrou­ve bien vice traité d’im­ma­ture, d’i­nadap­té, pire, de « rêveur ! »… ce qui, pour le théâtre ne veut stricte­ment rien dire, parce que, pra­tiqué cor­recte­ment, le théâtre est un rap­port com­plet au réel.

Monique Brun, Dominique Laidet, Remy Rauzier. LE JOUR SE LÈVE LÉOPOLD!
Monique Brun, Dominique Laidet, Remy Rauzi­er. LE JOUR SE LÈVE LÉOPOLD !

Qu’est-ce qui est irrémé­di­a­ble­ment fini dans votre activ­ité ?
Je me suis déjà sur­prise tant de fois à croire que j’en avais fini avec « ça ou ça »… Mais la vie est mouve­ment et toute déci­sion de cet ordre-là est let­tre morte.
Donc à cause du terme « irrémé­di­a­ble­ment » je ne peux répon­dre à cette ques­tion.

Qu’est-ce qui vous échappe le plus dans vos spec­ta­cles ?
La ques­tion qu’il sup­pose éclair­er.


Quels sont vos grands sou­venirs de répéti­tion ?
Le jour où j’ai eu ren­dez-vous avec un acteur et non plus avec moi­ même. Ren­dez-vous qui a sur­gi d’un moment d’ab­sence à moi-même, de perte de la maîtrise (notion con­tenue dans la fonc­tion de met­teur en scène). L’ac­teur en a immé­di­ate­ment prof­ité pour pren­dre toute la place lais­sée par ce vide. Il ne l’a plus jamais quit­tée.


Les grands moments de théâtre qui furent dicisifs dans votre par­cours ?
Lau­rent Terzi­eff à la fin de RUBEZAHL de Milosz… mais peut-être était-ce L’ILE ROUGE) … Il était de dos au pub­lic, loin de nous, tout au fond du plateau, mur­mu­rant, et subite­ment cette impres­sion hal­lu­ci­na­toire que se dessi­nait dans le tis­su de son veston un œil, un nez, une bouche, un vis­age, son vis­age qui me par­lait. Ma­gique, quoi ! J’ai su qu’il ne faudrait jamais faire unique­ment avec ce que les yeux voient (ce serait sac­ri­fi­er l’al­chimie de l’ac­teur, faire ren­tr­er dans un cadre ce qui débor­de par essence), qu’il fal­lait par­tir à la recherche de tout ce que les autres sens « voient ».

Ain­si, y a‑t-il dans votre itinérai­re des instants de révéla­tion qui ont été déter­mi­nants pour tout le reste de votre tra­vail ?
Peut-être, mais je les ai ou­bliés, ou alors c’est que tout est déter­minant.
Faire du théâtre n’est pas une suc­ces­sion de mis­es en scène, c’est un choix de vie, une masse intè­gre de temps, comme un fleuve : le temps et le mou­ve­ment de son cours n’ont de sens (direc­tion, con­tenu) que vus d’avion, c’est-à-dire en ten­ant compte de son corps en entier.


Qu’est-ce qui est le plus impor­tant dans une répéti­tion ?
Com­ment on est heureux de se dire bon­jour, bien que les heures de sépa­ra­tion ne soient pas nom­breuses. Com­ment on laisse la place à la dé­connante et aux fous rires. Com­ment on laisse la tranche de vie qui nous a séparés depuis la dernière rep­e­ti­tion, pren­dre sa place si elle a place à pren­dre.
Je me sou­viens d’un début de répéti­tion, pen­dant les événe­ments de Roumanie ; l’in­for­ma­tion du mas­sacre de Timisoara (fausse, mais il était impos­si­ble de le devin­er) avait été don­née à midi, une comé­di­enne trop émue n’a pu qu’é­clater en san­glots plutôt que de nous dire bon­jour com­me d’habi­tude, un autre comé­di­en l’a prise dans ses bras et le temps s’est sus­pendu… Tous nous avons atten­du, silen­cieux, que ce partage de tendres­se fasse son effet… Plus tard, j’ai de­mandé à cette comé­di­enne si elle dési­rait répéter ou si nous annulions cette répéti­tion, afin de pren­dre encore plus ce temps-là, celui d’être avant tout ensem­ble… Nous avons répété…
Voilà le plus impor­tant : que nous puis­sions nous con­sol­er les uns les autres quand la dif­fi­culté du mon­de oppresse. Que nous prof­i­tions du fait que le théâtre est un espace où se parta­gent des larmes et des joies, bref un espace humain.


Com­ment mesurez-vous le plaisir au théâtre ? En tenez-vous compte dans votre tra­vail ?

Le moment dont je viens de par­ler était un moment de plaisir, de ce plaisir d’être ensem­ble. Le terme de plaisir est un pléonasme. Le théâtre est plaisir.
Endoss­er un per­son­nage et inven­ter l’his­toire est du pur plaisir, c’est le fameux futur con­di­tion­nel des enfants « là, on dirait que je serais la postière, j’en­tr­erais et toi tu me dirais ça… »


Cherchez-vous à déranger ?
Non, j’es­saye d’être moi, de faire con­fi­ance à mes émo­tions, mais peut-être cela suf­fit-il pour déranger ?


Qu’est-ce qui a comp­té pour vous au théâtre dans les dix dernières années ?
Les ren­con­tres, bien sûr, mais il y a quelque chose de privé là-de­­dans…


Qu’est-ce qui a comp­té pour votre théâtre ?

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