JEU DE FAUST/ Le radeau ou pourquoi nous avons besoin du théâtre.

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JEU DE FAUST/ Le radeau ou pourquoi nous avons besoin du théâtre.

Le 22 Juin 1991
JEU DE FAUST Photo Christian Kempf
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JEU DE FAUST Photo Christian Kempf
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Article publié pour le numéro
Mettre en scène aujourd'hui-Couverture du Numéro 38 d'Alternatives ThéâtralesMettre en scène aujourd'hui-Couverture du Numéro 38 d'Alternatives Théâtrales
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RÉPONDRE. Non pas pour qua­driller par les mots l’en­droit qu’un tel spec­ta­cle défriche si man­i­feste­ment. Non pour ré­gler son compte à l’é­mo­tion. Mais pour vous ren­dre peut-être la polites­se de votre art, de votre théâtre qui force à ce point le tal­ent des gens assis devant vous. Répon­dre ou encore re­mercier, puisque c’est ain­si qu’on dit pour « applaudir ».
On  trébuche  rarement  au théâtre — et cela est trop vrai pour « l’ Art », trop occupé à plaire : ça va de soi le plus sou­vent. Le sens con­venu s’en sort indemne. On reste encre soi, en bonne com­pag­nie. Ça coule de source, rien n’ap­pa­raît, les choses res­tent liss­es et l’on n’a pas le moin­dre risque — ou la moin­dre chance, — de vers­er dans le trou noir de la scène qui s’ou­vre dès que la lumière descend.
Lorsqu’elle descend juste­ment au début du JEU DE FAUST, qu’elle glisse « sur la pente des têtes qui re­gardent » , c’est pour ne pas revenir vrai­ment. On n’as­siste pas à l’habituel tour de passe-passe qui met la lumière de la salle sur la scène. C’est un flé­chissement, une chute et déjà une his­toire : celle de la lumière d’autre­fois qui a mis tant d’an­nées, d’an­nées-lu­mière, à nous par­venir et qui se pose, froide, ralen­tie et comme in extrem­is sur le monde devenu vieux.
Cette même lumière que les toiles de Rem­brandt dis­putent sans cesse à l’ob­scu­rité.
À la lueur du JEU DE FAUST, on aperçoit quelque chose qui est — et com­bi­en cela est rare — au même mo­ment essen­tiel et émou­vant, il se pro­duit sur scène une sorte d’u­nis­son si­lencieux, inat­ten­du, entre ce que l’âme éprou­ve et ce que le corps res­sent. Comme si cette vieille utopie de la réu­nion des deux ne pou­vait avoir lieu que là, dans l’in­stant con­damné du théâtre et, qui plus est, dans ce bric-à-brac de planch­es mal éclairé (c’est une fig­ure!), tra­ver­sé de person­nages déchus. Secret  trop sim­ple, trou­vé trop tard.
C’est dans cette intu­ition para­doxale que le JEU DE FAUST puise une grande part de sa force : on regarde, on voit, parce que la lumière va s’étein­dre. Comme la con­science qui brûle son pro­pre bois pour s’éprou­ver et pour éclair­er autour d’elle. D’où la vieil­lesse, d’où la fin du feu. Eclair­er ou autrement dit com­mencer d’étein­dre
Cette intu­ition si totale­ment explorée con­duit le spec­ta­cle à faire appa­raître les choses en allant les chercher comme à recu­lons : la clarté en obscur­cis­sant, le silence dans le fra­cas, l’épure dans la scorie et l’accu­mulation.
Quoi de plus juste alors et de plus péné­trant que ce théâtre tenail­lé par l’ex­tinc­tion où amantes, chimères, démons, anges, où les gros, les mai­gres, les ours et les étoiles vien­ nent s’agiter dans une danse donc on ne saie jamais si elle est macabre ou joyeuse.
C’est de savoir con­vo­quer, pro­voquer et main­tenir ce vac­ille­ment, cette appari­tion issue de la masse muette et opaque. des choses — et vouée à elle, c’est ce tal­ent, cet art, ou mieux die encore : c’est cela qui nous laisse incré­d­ule, émer­veil­lé, inqui­et comme l’en­fant. Parce qu’il y a là, en même temps que l’en­fance du monde, notre pro­pre enfance où rôdent ces per­son­nages à la fois fam­i­liers et in­ quié­tants, « unheim­lich » comme L’HOMME AU SABLE de Hoff­mann. Le gre­nier, le mys­tère, ce qui n’est ja­mais tombé dans les mots : cette auro­ biogra­phie sourde que cha­cun porte en soi sans y avoir accès et que nous livre ici, une bien sin­gulière « méta­physique par les planch­es », un brico­lage génial qui, à force de la cir­er dans tous les sens, parvient à remet­tre l’idée du monde dans le monde, par­mi nous, ren­dant ain­si leur dig­nité, leur évi­dence aux Ques­tions que l’usage est par­venu à vider du moin­dre sens.

    « Auf der Welt ist kein Bestancf
    Wir müssen aile sterbe
    Das ist uns wohlbekan­nc » (1)1

    Et c’est comme un enfant que le spec­ta­cle nous con­duit de la dou­leur à la joie, du regret à l’e­spoir, du rire aux larmes mon­trant si bien com­bien ces oppo­si­tions ne sont pas dans. le monde mais nées en nous, de nous, le « dis­con­tinu » dans la con­ti­nu­ité uni­verselle.
    On voit soudain, si simple­ment, si claire­ment que l’âme est « per­pen­dic­u­laire » à la vie, comme l’ar­chet au vio­lon. D’où la sonorité. On voit cela, et pour­tant il n’y a pour le voir qu’une chaise grinçante, une ampoule au bout de son fil et un gros homme qui, en ten­ant bizarrement son vio­lon voudrait faire « danser les étoiles ». On voit cela, et c’est comme si le « à quoi bon ! » jeté en tra­vers de toutes entre­pris­es humaines avait trou­vé là, la plus évi­dente des répons­es dans la plus improb­a­ble des si­tuations.
    Le spec­ta­teur est assis au bord de la scène et le monde tombe dans ses yeux grand ouverts. Tra­vail d’alchimiste, tra­vail faustien : à la lueur trem­blante d’une chan­delle, il peut tout apercevoir. Tout depuis les spec­tres jusqu’à la rosée, tout de l’es­prit aux choses les plus impal­pa­bles.
    Des corps dif­formes et gra­cieux, golem, homuncule, des savants four­voyés, des explo­rateurs déçus — la décep­tion humaine, essen­tielle, que je n’avais jamais vue portée ain­si par un spec­ta­cle à ce point d’in­can­des­cence — Méphis­to, Mar­guerite, tous sont là dans un théâtre sens dessus dessous où l’on aurait pu enfin s’af­franchir, comme d’un des­tin, de la pesan­teur.

    JEU DE FAUST Photo C. Krempf
    JEU DE FAUST Pho­to C. Krempf

    Les corps glis­sent, appa­rais­sent, dis­parais­sent dans un espace dont on sem­ble par­venu à chas­s­er pour un temps toutes lois de grav­ité et dont, comme le dit Pas­cal pour le cer­cle de l’uni­vers, « le cen­tre est partout et la cir­con­férence nulle part ».

    « Auf meinen Man­tel tritt
    und um dich kreist die Erde ! »2

    Espace en ape­san­teur où l’ac­teur qui rôde, s’a­vance du même pas que son per­son­nage, se deman­dant comme à lui-même « Qui parie ? Qui est là ? » et se tour­nant vers nous sem­ble s’in­ter­roger « Qui regarde ?». Et de buter dans la boîte de Pan­dore qui traîne sur le sol et qui n’est peut­ être qu’une sim­ple caisse de mau­vais bois…

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