Trouver un point d’équilibre

Entretien
Opéra
Théâtre
Edito

Trouver un point d’équilibre

Entretien avec Will Duke

Le 25 Juil 2020
Idomeneo, mise en scène Robert Carsen, vidéo Will Duke, création au Teatro Real à Madrid, 2019. Photo Javier del Real.
Idomeneo, mise en scène Robert Carsen, vidéo Will Duke, création au Teatro Real à Madrid, 2019. Photo Javier del Real.
Idomeneo, mise en scène Robert Carsen, vidéo Will Duke, création au Teatro Real à Madrid, 2019. Photo Javier del Real.
Idomeneo, mise en scène Robert Carsen, vidéo Will Duke, création au Teatro Real à Madrid, 2019. Photo Javier del Real.
Article publié pour le numéro
Couverture du numéro 141 - Images en scène
141
 Idomeneo, mise en scène Robert Carsen, vidéo Will Duke, création au Teatro Real à Madrid, 2019. Photo Javier del Real.
 Idomeneo, mise en scène Robert Carsen, vidéo Will Duke, création au Teatro Real à Madrid, 2019. Photo Javier del Real.
 Idomeneo, mise en scène Robert Carsen, vidéo Will Duke, création au Teatro Real à Madrid, 2019. Photo Javier del Real.
Idome­neo, mise en scène Robert Carsen, vidéo Will Duke, créa­tion au Teatro Real à Madrid, 2019. Pho­to Javier del Real.

Par­mi les met­teurs en scène avec lesquels vous col­la­borez en tant que créa­teur vidéo, vous avez tra­vail­lé à qua­tre repris­es avec Robert Carsen. Com­ment pensez- vous ensem­ble la présence de la vidéo dans la mise en scène ?

À la dif­férence des autres met­teurs en scène avec lesquels je tra­vaille, Robert Carsen crée lui-même les lumières de ses spec­ta­cles et abor­de chaque pro­jet en ayant déjà en tête la manière dont la vidéo et la lumière se com­bineront sur scène. Il est extrême­ment atten­tif à l’équilibre entre l’image et la mise en scène. Jusqu’à présent nous n’avons tra­vail­lé qu’avec une palette mono­chrome, util­isant fréquem­ment l’extrême ralen­ti et le flou, pour arriv­er à ce que la vidéo donne un con­texte dra­maturgique sans pren­dre le dessus sur l’action scénique. Robert a instinc­tive­ment une approche très ciné­matographique de la mise en scène et nous faisons sou­vent référence à des films lors de nos con­ver­sa­tions.

De quelle façon l’évolution des répéti­tions a‑t-elle pu influer sur le choix des images, le rythme du mon­tage ?

Mon tra­vail, lors des répéti­tions, varie énor­mé­ment en fonc­tion du met­teur en scène. Simon McBur­ney ou Tom Mor­ris, qui créent un spec­ta­cle en le dévelop­pant avec les inter­prètes en salle de répéti­tion, s’attendront à ce que la vidéo évolue en par­al­lèle de ce proces­sus. Robert Carsen ou John Full­james, qui vien­nent d’un milieu plus opéra­tique, auront une vision bien plus claire de la vidéo avant que les répéti­tions ne com­men­cent. Dans tous les cas, ce n’est que lorsque nous arrivons sur scène que je peux com­mencer à tra­vailler en détail.

L’image vidéo inscrit néces­saire- ment un temps qui lui est pro­pre. Com­ment ce temps agit-il sur les autres com­posantes du jeu ?

De manière générale, je dirais que c’est le spec­ta­cle qui impose une tem­po­ral­ité à la vidéo plutôt que l’inverse, mais la ques­tion du rythme est très intéres­sante. J’ai remar­qué, au fil des pro­jets, la dif­férence d’utilisation de la vidéo entre le théâtre et l’opéra. Au théâtre, qui donne tra­di­tion­nelle­ment pri­or­ité au texte, elle est sou­vent util­isée pour le ponctuer ou décaler l’interprétation qu’en aura le spec­ta­teur. À l’opéra, c’est la musique qui est pri­or­i­taire et le rythme de la vidéo lui est plus sou­vent con­nec­té. Les met­teurs en scène de théâtre se con­cen­treront instinc­tive­ment sur le rythme du texte ou du mou­ve­ment quand, à l’opéra, ce sera sur le rythme de la musique. C’est pour cela qu’il est très intéres­sant de tra­vailler avec des met­teurs de théâtre à l’opéra ! On observe sou­vent chez eux que leur pre­mier instinct est de suiv­re le texte avant de réalis­er que la musique sera tou­jours plus forte que les mots.

L’opéra inté­grant plusieurs dis­ci­plines (musique, chant), la vidéo s’intègre-t-elle plus naturelle­ment selon vous dans cet art qui est hybride en lui-même ?

Depuis que j’ai com­mencé à col­la­bor­er à des pro­jets d’opéra, mon tra­vail a effec­tive­ment été influ­encé par la musique. Le ciné­ma est une de mes plus grandes influ­ences artis­tiques et j’ai tou­jours été fasciné par la façon dont il com­bine image et musique. Le tra­vail de David Lynch, qui les mêle avec une grande sen­si­bil­ité pour créer quelque chose d’extraordinaire, a eu un grand impact sur moi. Simon McBur­ney utilise ain­si le son et la musique comme squelette dra­maturgique de toutes ses pro­duc­tions théâ­trales et parvient à créer sur scène de très beaux mariages entre la musique et l’image. Je pense qu’au ciné­ma, au théâtre ou à l’opéra, cer­tains moments sans texte où l’on donne au pub­lic une plus grande lib­erté d’interprétation peu­vent être les plus puis­sants, les plus touchants et les plus mémorables de toute la pro­duc­tion.

Oui, la vidéo s’intègre peut-être plus naturelle­ment à l’opéra, qui est effec­tive­ment plus hybride et abstrait que le théâtre. Au théâtre, il faut tra­vailler très dur pour que la vidéo ne prenne pas le pas sur le tra­vail – sou­vent très sub­til– du comé­di­en. À l’opéra, même si le jeu devient plus com­plexe, la pri­or­ité de l’interprète est de pro­duire le son écrit dans la par­ti­tion, et ce son accom­pa­g­né de l’orchestre sera sou­vent plus puis­sant que tout ce que je pour­rais faire en vidéo. Il me sem­ble que cela peut être libéra­toire pour la vidéo.

Con­cer­nant les scéno­graphes, tra­vaillez-vous en col­lab­o­ra­tion avec eux sur les sur­faces de pro­jec­tion ? Sur la matière de l’image ?

Il y a tou­jours des dis­cus­sions sur la nature des dif­férentes sur­faces util­isées dans le décor et la façon dont les matéri­aux vont réa­gir à la pro­jec­tion, mais cha­cun a une atti­tude dif­férente envers le choix des images. Le scéno­graphe avec qui j’ai sans doute le plus tra­vail­lé est Michael Levine. Nous essayons d’intégrer la vidéo à la scéno­gra­phie très tôt, en pro­je­tant par­fois des images sur la pré­ma­que­tte en car­ton blanc. Et il con­tin­ue à col­la­bor­er avec moi pen­dant tout le proces­sus de créa­tion des images au plateau. Cette manière de tra­vailler me plaît, mal­heureuse­ment les déco­ra­teurs ont sou­vent l’impression à un moment don­né qu’il leur faut se met­tre en retrait et nous laiss­er avoir, seuls avec le met­teur en scène, les con­ver­sa­tions sur le con­tenu des images.

Dans Idome­neo avec Robert Carsen, votre créa­tion vidéo avait une place très impor­tante, pro­jetée sur un écran immense. Dans son dia­logue avec les autres com­posants de la scène, vous méfiez-vous de la puis­sance de l’image ?

L’écran fai­sait vingt-qua­tre mètres de large et de la vidéo était pro­jetée presque en con­tinu. L’écran était ici util­isé comme une toile peinte tra­di­tion­nelle. Les images étaient en per­ma­nence en mou­ve­ment, la plu­part du temps de façon presque imper­cep­ti­ble, hormis cer­tains moments où, s’accélérant, elles atti­raient inévitable­ment plus l’attention des spec­ta­teurs, mais elles étaient soigneuse­ment syn­chro­nisées avec l’action sur scène et avec la musique. Je suis très con­scient du pou­voir que peut avoir une si grande image sur le reste de la mise en scène et nous tra­vail­lons tou­jours en équipe pour arriv­er à trou­ver un point d’équilibre.

Dans The Encounter, avec Simon McBur­ney, la vidéo était en rup­ture totale avec tout type d’illustration et dévelop­pait au con­traire de véri­ta­bles pul­sa­tions.

The Encounter était une expéri­ence assez atyp­ique. C’était ma pre­mière col­lab­o­ra­tion avec Simon McBur­ney et, comme il était en scène pen­dant l’intégralité du spec­ta­cle, il n’avait pas vrai­ment le temps d’intervenir sur la vidéo. J’ai prin­ci­pale­ment tra­vail­lé avec le scéno­graphe, Michael Levine, et nous avons décidé qu’il ne fal­lait pas utilis­er d’images fig­u­ra­tives, l’incroyable univers sonore recréant déjà l’Amazonie dans l’esprit des spec­ta­teurs. Nous avons util­isé la vidéo pour créer des espaces plus abstraits, psy­chologiques, afin d’emmener le pub­lic plus pro­fondé­ment dans l’esprit du pro­tag­o­niste, Loren McIn­tyre.

Votre col­lab­o­ra­tion avec Simon McBur­ney, chez qui l’image vidéo est très présente sans pour autant pren­dre le pas sur l’artisanat du théâtre, a‑t-elle été déci­sive dans votre par­cours d’artiste ?

Notre col­lab­o­ra­tion a effec­tive­ment eu un rôle impor­tant dans mon par­cours d’artiste. Le tra­vail avec Simon est très dif­férent de celui avec la plu­part des autres met­teurs en scène : plutôt que de plan­i­fi­er à l’avance, il invente pen­dant les répéti­tions. Il tra­vaille avec des inter­prètes capa­bles de s’adapter très rapi­de­ment à de nou­velles idées, et si quelque chose ne fonc­tionne pas il n’a absol­u­ment pas peur de couper et de recom­mencer. Il s’attend à pou­voir tra­vailler de la même manière avec son équipe artis­tique. Bien sûr, il arrive un moment où le décor doit être con­stru­it, donc fixé, mais lumière, son et vidéo doivent pou­voir con­tin­uer à réa­gir très rapi­de­ment au flux des change­ments. Les élé­ments scéniques et tech­niques restent donc très « vivants » pen­dant une grande par­tie du proces­sus.

Qu’en est-il de la cohab­i­ta­tion entre la pro­jec­tion de la vidéo et la lumière ?

L’équilibre est tou­jours déli­cat. La pro­jec­tion n’est sou­vent pas assez puis­sante et on demande au créa­teur lumières de dimin­uer ses inten­sités lumineuses au plateau. Sur un spec­ta­cle comme The Encounter, pour lequel j’ai col­laboré avec Paul Ander­son qui créait les lumières, cela a été rel­a­tive­ment facile de trou­ver cet équili­bre car il y a des « moments vidéo » spé­ci­fiques durant lesquels on peut baiss­er la lumière pour con­cen­tr­er le regard sur l’image pro­jetée. En revanche, dans The Rake’s Progress, il y avait de la vidéo pen­dant presque tout le spec­ta­cle et le décor était une boîte blanche, ce qui a ren­du le tra­vail de Paul incroy­able­ment com­plexe, notam­ment pour éclair­er les inter­prètes sans met­tre en péril le tra­vail de la vidéo.

The Rake’s Progress, mise en scène Simon McBurney, vidéo Will Duke, création au Festival international d’Art lyrique d’Aix-en-Provence, 2017. Photo Vincent Pontet.
The Rake’s Progress, mise en scène Simon McBur­ney, vidéo Will Duke, créa­tion au Fes­ti­val inter­na­tion­al d’Art lyrique d’Aix-en-Provence, 2017. Pho­to Vin­cent Pon­tet.

En quoi l’image vidéo offre-t-elle un hors-champ sig­nifi­ant ? Je pense ici au rap­port que vous main­tenez mag­nifique­ment entre l’abstraction et le con­cret.

La vidéo est un out­il très effi­cace pour sug­gér­er le hors-champ sur scène. Elle peut être util­isée pour chang­er rad­i­cale­ment l’environnement ou pour mon­tr­er des événe­ments d’autres espaces-temps. Quand je par­le aux met­teurs en scène de la valeur ajoutée de la vidéo, j’essaie tou­jours de leur mon­tr­er qu’elle est la plus effi­cace lorsqu’elle apporte une dimen­sion d’interprétation sup­plé- men­taire qu’aucun des autres élé­ments – le texte, le décor, la musique ou la lumière– ne peut apporter. Un exem­ple de hors-champ est notre util­i­sa­tion d’images doc­u­men­taires dans Beware of Pity, une autre pro­duc­tion de Simon McBur­ney à la Schaubühne. La pièce porte sur un sol­dat à la veille de la Pre­mière Guerre mon­di­ale, ses actions sont une allé­gorie des événe­ments qui ont déclenché cette guerre en Europe. Le spec­ta­cle se con­clu­ait par la pro­jec­tion d’une pho­to de réfugiés sur une embar­ca­tion en Méditer­ranée, ce qui changeait immé­di­ate­ment l’interprétation de l’œuvre et lais- sait une impres­sion très forte dans l’esprit des spec- tateurs quand ils quit­taient le théâtre.

Vous démul­ti­pliez par­fois les sup­ports de pro­jec­tions, avec des angles de vue et des for­mats dif­férents, con­comi­tants ou non. En quoi ce type de com­po­si­tion développe un nou­veau lan­gage de l’image au théâtre ?

Le créa­teur vidéo a rarement le choix des sur­faces de pro­jec­tion, qui sont le plus sou­vent choisies par le met­teur en scène et le scéno­graphe. Mais la pro­jec­tion d’images sur des sur­faces en trois dimen­sions est une tech­nique qui m’intéresse beau­coup, et je crois qu’elle con­tribuera à dévelop­per le lan­gage de la vidéo sur scène. Cela pren­dra du temps pour que les met­teurs en scène et les scéno­graphes com­pren­nent tout le champ des pos­si­bles qu’ouvrent ces tech­niques, et c’est bien sûr aus­si le rôle des créa­teurs vidéo de repouss­er les lim­ites de ce qui est réal­is­able. L’autre tech­nolo­gie qui va révo­lu­tion­ner l’utilisation de la vidéo sur scène est la créa­tion de con­tenus en temps réel. Elle com­mence déjà à être util­isée dans des pro­duc­tions à gros bud­get et devrait se pop­u­laris­er avec la baisse du prix des équipements.

Entretien
Opéra
Théâtre
Robert Carsen
Edito
Simone Mc Burney
Will Duke
2
Partager
Chantal Hurault
Docteure en études théâtrales, Chantal Hurault a publié un livre d’entretiens avec Dominique Bruguière, Penser...Plus d'info
Partagez vos réflexions...

Vous avez aimé cet article?

Aidez-nous a en concocter d'autres

Avec votre soutien, nous pourrons continuer à produire d'autres articles de qualité accessibles à tous.
Faites un don pour soutenir notre travail
Soutenez-nous
Chaque contribution, même petite, fait une grande différence. Merci pour votre générosité !
La rédaction vous propose
Mon panier
0
Ajouter un code promo
Sous-total

 
Artistes
Institutions

Bonjour

Vous n'avez pas de compte?
Découvrez nos
formules d'abonnements