Captation et spectacle vivant : le regard de Clément Cogitore

Entretien
Opéra

Captation et spectacle vivant : le regard de Clément Cogitore

Le 12 Juil 2020
Les Indes galantes, réalisation Clément Cogitore, vidéo, couleur (6 mn), 2017. Production : Opéra national de Paris – 3e scène/ Les Films Pélléas. Courtesy de l’artiste, de la galerie Eva Hober (FR) et de la galerie Reinhard Hauff (DE).
Les Indes galantes, réalisation Clément Cogitore, vidéo, couleur (6 mn), 2017. Production : Opéra national de Paris – 3e scène/ Les Films Pélléas. Courtesy de l’artiste, de la galerie Eva Hober (FR) et de la galerie Reinhard Hauff (DE).

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Les Indes galantes, réalisation Clément Cogitore, vidéo, couleur (6 mn), 2017. Production : Opéra national de Paris – 3e scène/ Les Films Pélléas. Courtesy de l’artiste, de la galerie Eva Hober (FR) et de la galerie Reinhard Hauff (DE).
Les Indes galantes, réalisation Clément Cogitore, vidéo, couleur (6 mn), 2017. Production : Opéra national de Paris – 3e scène/ Les Films Pélléas. Courtesy de l’artiste, de la galerie Eva Hober (FR) et de la galerie Reinhard Hauff (DE).
Article publié pour le numéro
Couverture du numéro 141 - Images en scène
141

En 2017, le cinéaste Clé­ment Cog­i­tore réal­i­sait un court-métrage pour 3e Scène, la plate-forme numérique de l’Opéra de Paris. Des danseurs de krump s’y livraient à une joute sur l’exaltante Danse du grand calumet de la paix des Indes galantes de Jean- Philippe Rameau. Un court-métrage (pro­jeté au CENTQUATRE-PARIS en 2019) qui a per­mis à Clé­ment Cog­i­tore d’être invité à créer l’intégralité des Indes galantes dans sa pro­pre mise en scène à l’Opéra Bastille en 2019.

Est-ce qu’une danse comme le krump peut être resti­tuée grâce au recours à la caméra ?

Quand j’ai réal­isé les Indes galantes pour la col­lec­tion 3e Scène, l’idée était de tourn­er sur scène afin que les caméras soient des éner­gies au même titre que les corps des danseurs. Les caméras étaient presque invis­i­bles, les danseurs et les fig­u­rants – dont cer­tains fil­maient égale­ment le bat­tle avec des télé­phones porta­bles – ne savaient pas tou­jours où elles se trou­vaient. Cela donne l’impression d’être immergés au milieu des corps. Ce n’est pas du tout le même résul­tat que pour la cap­ta­tion des Indes galantes, réal­isée à l’Opéra Bastille par François-René Mar­tin, en deux soirées de représen­ta­tion. Les caméras y avaient des places pré­cis­es, prédéter­minées par l’Opéra de Paris. Ce genre de cap­ta­tion per­met de faire beau­coup de choses mais évidem­ment pas ce que j’ai pu faire en approchant les caméras des danseurs.

Pourquoi avoir inté­gré des per­son­nages qui fil­ment dans votre court-métrage ?

C’est une pra­tique courante des bat­tles de krump : le pub­lic filme sou­vent les danseurs. Et les danseurs eux-mêmes se fil­ment par­fois en direct. Je trou­vais intéres­sant de mon­tr­er ce rap­port à la caméra.

Com­ment filme-t-on une œuvre vivante en étant soi-même met­teur en scène ? Est-ce-que la con­nais­sance du plateau l’enrichit ?

Je n’ai jamais fait de cap­ta­tion de mise en scène mais je perçois les prob­lèmes aux­quels les réal­isa­teurs de cap­ta­tion sont con­fron­tés. Pour la 3e Scène de l’Opéra de Paris, certes, c’est de la danse filmée sur la scène de l’Opéra, mais c’est avant tout un film qui aurait pu être tourné dans un stu­dio de ciné­ma. Il était sym­bol­ique­ment impor­tant pour moi que ces danseurs soient sur la scène de l’Opéra de Paris. J’ai filmé des corps, mais cela n’a rien à voir avec le fait de filmer du spec­ta­cle vivant, ce n’est pas de la cap­ta­tion. Il s’agit de scènes en cer­cle, les danseurs sont au cen­tre sans qu’il y ait de qua­trième mur. Ce n’est donc pas du tout la même logique que lorsque l’on capte un bal­let ou une mise en scène, tout était ici mis en place en fonc­tion des images que je voulais pro­duire.

Filmer de la danse vous intéresse ?

Ce qui m’intéresse plus, je pense, c’est l’intégration de la danse dans un opéra-bal­let, dans un décor et une dra­maturgie don­nés. Filmer de la danse m’intéresse mais la danse est une expéri­ence telle­ment physique que j’ai l’impression que cela touche plus vite ses lim­ites ! Ma vidéo des Indes­galantesdure six min­utes, dans lesquelles j’espère avoir resti­tué l’intensité que j’ai ressen­tie sur le plateau, pen­dant le tour­nage. Au-delà, cela s’épuiserait dans la durée car je pense que l’émotion de la danse reste avant tout celle éprou­vée devant un corps en mou­ve­ment dans un espace physique com­mun.

Quel regard portez-vous sur la cap­ta­tion théâ­trale ou opéra­tique ?

C’est un doc­u­ment qui per­met d’avoir une idée de ce qui a été fait, mais ça ne rem­plac­era jamais le con­tact avec la scène et la sen­sa­tion d’être au milieu du pub­lic. La cap­ta­tion peut par­fois apporter un deux­ième point de vue sur la mise en scène, cela peut être une pos­si­bil­ité de la revis­iter ou de mas­quer cer­tains défauts. Pour la cap­ta­tion que François René-Mar­tin a faite des Indes galantes, il y avait des instants où je lui avais don­né des indi­ca­tions pour évac­uer par le cadre des élé­ments qui fonc­tion­naient moins bien que d’autres.

Qu’est-ce qui ne fonc­tion­nait pas ?

Des élé­ments de cos­tume, de maquil­lage et de décors faits pour être vus de loin. Lorsque l’on est à l’Opéra Bastille, le pre­mier spec­ta­teur est env­i­ron à dix mètres du pre­mier soliste, ce n’est pas la con­fig­u­ra­tion des Bouffes du Nord ! Cela per­met de créer une cir­cu­la­tion du regard dif­férente, de gag­n­er en prox­im­ité sur l’expression des chanteurs notam­ment. Mais on perd l’effet mon­u­men­tal, cette sen­sa­tion d’art total que l’on ressent forte­ment à Bastille. L’image n’arrive pas tou­jours à la resituer en plan très large, c’est dif­fi­cile à trans­met­tre.

Quelles ques­tions vous posent les liens entre l’image et la scène ?

La vidéo me sem­ble légitime sur le plateau mais j’en ren­con­tre peu d’utilisations vrai­ment libres ou inno­vantes. L’image vidéo en tant que principe nar­ratif m’a sou­vent déçu.

Et le com­bat avec le corps des acteurs me sem­ble assez bru­tal. L’image l’emporte tou­jours sur le corps ! Un des dan­gers de la caméra sur scène est qu’elle agit comme un aspi­ra­teur du regard, elle per­met de mon­tr­er avec pré­ci­sion un vis­age par exem­ple, cela crée de l’intimité et induit une accou­tu­mance. Il est rare qu’elle quitte le plateau sans sus­citer un manque, une rup­ture d’échelle.

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Clément Cogitore
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Photo de Marjorie Bertin, Crédit Anthony Ravera RFI
Marjorie Bertin
Docteur en Études théâtrales, enseignante et chercheuse à la Sorbonne-Nouvelle, Marjorie Bertin est également journaliste à...Plus d'info
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