Dans le dialogue entre théâtre et musique, il y a d’un côté l’opéra, qui nous vient de loin (avec ses avatars comme la comédie musicale), où la musique se met au service d’une fable à raconter. Et de l’autre côté, il y a le théâtre musical né dans les années 1960, avec les compositeurs Berio, Pousseur, Kagel ou Cage, qui inverse la proposition et met le théâtre au service de la musique, libérant la musique d’un assujettissement à la fable, le texte n’étant qu’un élément parmi les autres composants musicaux.
Entre ces deux pôles, il se trouve aujourd’hui quantité de démarches singulières dont l’histoire reste à écrire, parmi lesquelles (je résume abusivement et non exhaustivement) le ballet musical d’Ingrid von Wantoch Rekowski, le théâtre sonore de Roland Auzet, la musique documentaire de Lucie Antunes, le théâtre rock de Mathieu Bauer, l’opéra déconstruit de Samuel Achache et Jeanne Candel. Je me trouve quelque part là-dedans.
Le théâtre dans la musique
Je suis un transfuge de la musique. Ma formation est d’abord musicale. Elle s’est déroulée dans un conservatoire, dans les classes de harpe, solfège, déchiffrage, orchestre… On y applique une pédagogie faite de contraintes, de répé-titions, où la créativité artistique se résume à l’interprétation (ce que je préférais) : l’académisme, la discipline, le labeur solitaire, la recherche de la perfection technique. Le conservatoire était un vieux bâtiment, avec des salles de classe petites et non insonorisées. Pour répéter, on tirait un instrument là où il y avait de la place, souvent dans un lieu de passage, un couloir, des toilettes. Il y avait de la musique partout. Une grande poésie se dégageait de ces parasitages, cela ressemblait à un collage avant-gardiste.
Lors des concerts des élèves, avant, pendant et après l’exécution d’un morceau, un drame se jouait : la tension des jeunes gens avant l’exercice, l’attention des parents ; les petits rituels comme les gants pour se réchauffer les mains, le réglage du tabouret et du pupitre, le positionnement de la partition, l’accord de l’instrument, les recommandations discrètes du prof ; les entrées et les sorties des jeunes artistes, les saluts ; les cordes qui rompent ou les trous de mémoire ; les silences… On découvrait un théâtre contenu dans la musique, qui racontait quelque chose de la musique, qui en conditionnait l’écoute. On dit : « Avant et après Mozart, c’est toujours du Mozart ». Dans les trous de la musique, il y a du théâtre qui fait partie de la musique, rarement conscient (sauf chez les clowns musiciens comme Grock et George Carl). Aujourd’hui, je pense qu’il y a un véritable espace de création à mettre en scène des concerts.