« La liberté de l’art n’est ni un don de la politique ni du pouvoir […] »

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« La liberté de l’art n’est ni un don de la politique ni du pouvoir […] »

Le 27 Mar 2018
Klatwa (Malédiction) de Oliver Frljic, création le 18 février 2017, Teatr Powszechny de Varsovie. Photo Magda Hueckel¸.

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Klatwa (Malédiction) de Oliver Frljic, création le 18 février 2017, Teatr Powszechny de Varsovie. Photo Magda Hueckel¸.
Article publié pour le numéro
Couverture deu numéro 134 - Institutions / insurrections
134

Ce n’est pas des mains du pou­voir que l’art obtient sa lib­erté. La lib­erté existe en nous, nous devons lut­ter pour la lib­erté, seuls avec nous-mêmes, dans notre plus intime intérieur. » 

TADEUSZ KANTOR

Tomasz Kireńczuk (directeur de pro­gram­ma­tion du Fes­ti­val Dia­log de Wrocław) : « Cette phrase de Kan­tor est fon­da­men­tale. Aujourd’hui, nous sommes con­fron­tés à ce prob­lème en Pologne. Le min­istère de la Cul­ture con­sid­ère que l’argent dont il dis­pose est le sien alors que c’est celui des Polon­ais. Kan­tor atti­rait notre atten­tion sur une sit­u­a­tion idéale dans laque­lle l’État admin­istr­erait, gèr­erait l’argent pub­lic sans que cela soit idéol­o­gisé. »

En sep­tem­bre 2017 le mou­ve­ment « Cul­ture Indépen­dante » a vu le jour. Il réu­nit les hommes et femmes du milieu cul­turel, des artistes, ani­ma­teurs, tous ceux qui veu­lent défendre la cul­ture indépen­dante. Ses mem­bres ne représen­tent aucun par­ti ni idéolo­gie, leurs visions poli­tiques, esthé­tiques et philosophiques diver­gent, mais la cul­ture indépen­dante, libre, ouverte est leur point com­mun. « Un pays indépen­dant mérite une cul­ture indépen­dante. La cul­ture en Pologne devrait être à l’image des Polon­ais : de droite et de gauche, con­ser­va­trice et avant-gardiste, patri­o­tique et cos­mopo­lite, chré­ti­enne et athée… La plu­ral­ité dans la cul­ture doit être respec­tée. « “Cul­ture Indépen­dante” en par­le dans son man­i­feste. Et le gou­verne­ment aujourd’hui cherche à s’approprier la cul­ture… Je pense que notre min­istre de la Cul­ture ne serait pas d’accord avec Tadeusz Kan­tor. Il aurait dit que la lib­erté de l’art est le don de la poli­tique. Aujourd’hui, ce que nous allons faire ou pas dépend de la déci­sion d’une seule per­son­ne. Le min­istre décide s’il nous accorde cette lib­erté ou pas. »

Aujourd’hui, la cul­ture en Pologne est en dan­ger. Lorsqu’un spec­ta­cle ne se con­forme pas aux règles morales et aux valeurs admis­es par les dirigeants, on utilise divers moyens de pres­sion : économiques, organ­i­sa­tion­nels ou religieux, on crée une atmo­sphère d’autocensure. L’État polon­ais se croit capa­ble de dis­tinguer le bon du mau­vais, en ver­tu de critères qu’il définit lui-même. La dernière vic­time de la cen­sure économique est le Fes­ti­val Dia­log de Wrocław, et avant, le Fes­ti­val Mal­ta de Poz­nań. La cen­sure « organ­i­sa­tion­nelle », quant à elle, a touché le Teatr Pol­s­ki de Wrocław ; la cen­sure religieuse, Kląt­wa (Malé­dic­tion) d’après S. Wyspi­ań­ki par le Croate Oliv­er Frljić au Teatr Powszech­ny de Varso­vie, un spec­ta­cle incon­fort­able, bru­tal. Alors que le lien entre l’État et l’Église sem­ble insé­para­ble, que l’État influ­ence le fonc­tion­nement des insti­tu­tions laïques en Pologne, le spec­ta­cle traite de notre résis­tance face à ce mécan­isme et analyse le poids de la big­o­terie catholique sur nos déci­sions et nos actes indi­vidu­els. Mais surtout il inter­roge la cen­sure religieuse et son influ­ence sur l’art : l’autocensure ou la peur d’ébranler le sen­ti­ment religieux.

Hymn do miłolci (L’Hymne à l’amour) de Marta Górnicka, création le 21 janvier 2017, Teatr Nowy de Poznan. Photo Marcin Oliva Soto / Les Archives du Festival Dialog-Wrocław.
Hymn do miłol­ci (L’Hymne à l’amour) de Mar­ta Gór­nic­ka, créa­tion le 21 jan­vi­er 2017, Teatr Nowy de Poz­nan. Pho­to Marcin Oli­va Soto / Les Archives du Fes­ti­val Dia­log-Wrocław.


La cul­ture et la démoc­ra­tie sont un espace de dia­logue et de lib­erté. Les dirigeants actuels empêchent ce dia­logue. Ils cherchent à punir les artistes – les libres penseurs, mais aus­si les pro­gram­ma­teurs, pri­vant ain­si le pub­lic polon­ais de la pos­si­bil­ité de juge­ment, de réflex­ion et du choix… Quel art les politi­ciens cherchent-ils à impos­er à la société polon­aise ? Le bureau du prési­dent de la République polon­aise a organ­isé un débat sur l’avenir du théâtre polon­ais. Sa mis­sion ? Con­stru­ire une com­mu­nauté polon­aise, nationale, catholique et antieu­ropéenne. L’art nation­al n’a de sens que s’il est capa­ble de dépass­er ses pro­pres fron­tières, dis­ait Kan­tor.
Aujourd’hui, en Pologne, on s’enferme dans une vision unique, étriquée, fer­mée à la diver­sité, à l’universalité et à la dif­férence. Ain­si, on choisit l’option de la régres­sion. On ne laisse pas le champ libre aux artistes, on le bar­ri­cade, et par con­séquent on enferme le pub­lic, les artistes et les insti­tu­tions cul­turelles dans une vision unique qui serait, selon leurs critères, juste. L’expression artis­tique est con­trôlée pour mieux pro­téger l’art nation­al.
Le Fes­ti­val Dia­log de Wrocław n’a jamais cher­ché à éviter les sujets dif­fi­ciles et les propo­si­tions rad­i­cales, sachant que le théâtre de qual­ité se défendra tou­jours dans la con­fronta­tion avec le pub­lic. C’est aus­si la mis­sion du fes­ti­val de ren­dre cette con­fronta­tion pos­si­ble, surtout dans la sit­u­a­tion actuelle, où le chau­vin­isme, la xéno­pho­bie et le pop­ulisme pren­nent de l’ampleur.
Tomasz Kireńczuk : « J’ai vu Kląt­wa (Malé­dic­tion) le jour de la pre­mière en févri­er 2017 et j’ai tout de suite décidé de le pro­gram­mer au Fes­ti­val Dia­log. Par rap­port au proces­sus d’élaboration de la pro­gram­ma­tion, il était très impor­tant pour moi d’avoir vu ce spec­ta­cle le jour de la pre­mière et non quelques mois plus tard. Il n’y avait pas encore tout ce que ce spec­ta­cle a provo­qué : les fortes con­tro­ver­s­es de la part des groupe­ments nation­al­istes, les attaques de la part du min­istère, les ten­ta­tives d’intimidations, d’ingérence. Je me référais alors unique­ment à ses qual­ités artis­tiques et poli­tiques.
Selon le min­istère de la Cul­ture, aucune liste noire n’existe. Et c’est toute la per­ver­sité de nos dirigeants actuels. Aucune loi n’interdit Kląt­wa, par exem­ple, mais on a créé une atmo­sphère où son exploita­tion n’est pos­si­ble qu’à Varso­vie.
Les théâtres ont peur de l’inviter.

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Piotr Gruszczynski
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