Tilde Björfors, directrice et fondatrice de la compagnie Cirkus Cirkör, à l’origine du nouveau cirque en Suède, compte plus de vingt ans de travail. Aujourd’hui, alors que le cirque contemporain est bien implanté en Suède, elle continue de traverser les frontières et de décloisonner les arts de la scène en créant des spectacles ancrés dans les questions d’actualité, comme celle de la migration.
Sa dernière œuvre en grand format est l’opéra de Philip Glass, Satyagraha (2016), qu’elle a transformé en brassant tous les arts de la scène : musique, chant, récit, texte, jeu théâtral et cirque. L’histoire vraie du Mahatma Ghandi et de ses années en Afrique du Sud, comme jeune avocat luttant pour les droits des immigrés indiens, se transforme en une allégorie « réelle » de notre temps. Les circassiens, qui brûlent des passeports sur scène, mimant ainsi le geste de révolte que les ouvriers de l’industrie textile ont posé en guise de protestation contre les discriminations dont ils étaient victimes, jouent avec le feu, le papier, les tissus et cordons – déjà utilisés dans son spectacle sur le thème du tricotage, Knitting Peace.
Sur la scène du Folkoperan (l’opéra populaire) de Stockholm, les textes de Satyagraha – la Voie de la vérité – sont projetés sur de grands tissus. Le spectateur lit les notes philosophiques tout en regardant le spectacle et en s’immergeant dans la musique répétitive et minimaliste de Glass. La beauté est saisissante, sur le plan visuel comme sur celui des idées et de la réflexion sous-jacente.
Les associations et les transformations scéniques sont habituelles chez Tilde Björfors, qui a travaillé avec de grandes institutions, comme la scène nationale en Suède ou le Théâtre Royal de Dramaten. Ce dernier a produit le remarquable Roméo et Juliette (2002), avec d’extraordinaires scènes de combats et de bouffonneries de rue.
L’unique nuit d’amour du couple fut un tour de force de souplesse et de poésie à travers des rideaux tendus ; inoubliable !
On dit de Tilde Björfors qu’il est difficile de l’arrêter. Plusieurs fois, pendant les vingt-deux années d’existence de sa compagnie Cirkus Cirkör (jeu de mots entre Cirque et Cœur), on a cru que c’était la fin – problèmes financiers ou d’organisation, manque d’espace, et échec
personnel d’avoir perdu la main sur la formation universitaire qu’elle souhaitait mettre sur pied. Mais elle s’est obstinée et elle travaille aujourd’hui dans son laboratoire-cirque.
« J’ai toujours rêvé d’un art où tout est possible, qui s’ouvre à l’infini. Être directrice n’a jamais été mon objectif, mais il fallait bien que quelqu’un prenne cette responsabilité. Au début, à vingt-quatre ans, j’étais un peu naive. La découverte de la nécessité pour les artistes de cirque d’avoir un lieu pour leurs exercices, pour perfectionner leur discipline et leur art, fut le point de départ de la constitution d’une compagnie stable. »1
Tout a commencé au lycée où la classe de Tilde suivait un stage de théâtre physique dans l’esprit de Grotowski, où le corps humain était utilisé comme un instrument qui devait être maitrisé par les acteurs.
Après quelques expériences en Suède avec des théâtres qui s’inspiraient déjà d’Eugenio Barba et d’Ariane Mnouchkine, Tilde a été invitée au Théâtre du Soleil pour une collaboration avec Pei Yan Ling de Pékin. Le temps passé à Paris lui a permis de découvrir le cirque nouveau, qui se développait au début des années 1990, et notamment l’Académie Fratellini dans le Parc de la Villette. Elle a pu assister à des productions de plusieurs compagnies comme Archaos, le Cirque Plume, le Cirque Baroque, le Cirque O, Les Oixa Fous, Les Arts Sauts.
« Pendant ces années à Paris, j’ai rencontré beaucoup d’artistes scandinaves et il était clair qu’en Suède, nous avions un besoin urgent d’un espace pour nous excercer et répéter. Nous rêvions de productions formidables qui auraient changé la vie culturelle en Suède. Mais il fallait aussi une perspective de pédagogie. « Tout est possible », c’était mon mantra ces années-là.
Nous avons créé un spectacle, La Création – tout est né du chaos, et nous avions un deal avec des écoles : des cours de cirque en échange de prêt de salles de sport pour nous entrainer. »
Le cirque nouveau se définit par un engagement social. Même la compagnie la plus célèbre et la plus commercialisé, le Cirque du Soleil au Canada, déclare avec fierté : « Nous n’oublions jamais que nous venons de la rue. »
- Les citations sont tirées d’un entretien avec l’artiste réalisé en 2017 et publié en intégralité dans la revue Dans (suède) ↩︎