Amener la pensée sur scène

Entretien
Théâtre

Amener la pensée sur scène

ENTRETIEN AVEC DOMINIQUE ROODTHOOFT

Le 10 Juil 2018
Isabelle Dumont et Dominique Roodthooft dans Smatch 3, conception Dominique Roodthooft, Manège Mons, 2013. Photo Alice Piemme.
Isabelle Dumont et Dominique Roodthooft dans Smatch 3, conception Dominique Roodthooft, Manège Mons, 2013. Photo Alice Piemme.

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Isabelle Dumont et Dominique Roodthooft dans Smatch 3, conception Dominique Roodthooft, Manège Mons, 2013. Photo Alice Piemme.
Isabelle Dumont et Dominique Roodthooft dans Smatch 3, conception Dominique Roodthooft, Manège Mons, 2013. Photo Alice Piemme.
Article publié pour le numéro
135

Envis­ager la scène comme un lab­o­ra­toire d’idées et de ques­tions liées à l’humain dans le monde d’aujourd’hui, inven­ter des dis­posi­tifs de paroles et d’actions pour les partager avec le pub­lic sans dénon­cer ou moralis­er, voilà qui est au cœur de la démarche de la met­teuse en scène lié­geoise Dominique Roodthooft, que ce soit à tra­vers une écri­t­ure de plateau ou le mon­tage de textes non théâ­traux. Une démarche à la fois réflex­ive et sen­si­ble qu’elle développe à par­tir du Cor­ri­dor, la mai­son de créa­tion pour les arts vivants qu’elle a fondée avec le plas­ti­cien et écrivain Patrick Coril­lon. Ren­con­tre.

ID
Aux sources de ton engage­ment dans le théâtre, il y a déjà une exi­gence de pen­sée très active, Dominique…

DR Depuis trente ans, je m’appuie sur les idées de gens fon­da­teurs pour moi, que j’ai ren­con­trés dans mon pre­mier méti­er d’assistante sociale : pas néces­saire­ment des philosophes, plutôt des penseurs et des prati­ciens comme Raimun­do Dinel­lo, péd­a­gogue et psy­cho­logue de l’éducation uruguayen, et Odette et Hen­ri Bassis, fon­da­teurs du Groupe français d’éducation nou­velle. C’est grâce à eux que j’ai com­mencé à m’intéresser de près à l’analyse et à la péd­a­gogie insti­tu­tion­nelles, aux rap­ports de pou­voir dans les insti­tu­tions (à ce moment-là, les écoles) avec ce qu’ils fab­riquent comme êtres humains. Com­bat­tre l’échec, redon- ner à l’élève le pou­voir de con­stru­ire ses savoirs, et cela de façon col­lec­tive, était au cen­tre de mes préoc­cu­pa­tions. Plus tard, il y a eu la ren­con­tre avec le philosophe et psy­ch­an­a­lyste Miguel Benasayag qui m’a fait décou­vrir la rup­ture épisté­mologique avec la résis­tance tra­di­tion­nelle (qui passe par la révo­lu­tion pour pren­dre le pou­voir) et les nou­velles résis­tances avec, comme pre­mier exem­ple, les Indi­ens du Chi­a­pas et le sous-com­man­dant Mar­cos : ils ont fait la révo­lu­tion mais en refu­sant le pou­voir. Depuis ce moment-là, d’autres formes de résis­tances pren­nent de plus en plus de place dans notre société.

ID
En quoi l’espace de la scène t’a per­mis de dévelop­per autrement ces idées et pra­tiques ?

DR Quand j’ai com­pris que l’institution (un cen­tre psy­cho-médi­co-social où je tra­vail­lais) me don­nait un rôle auquel je ne pou­vais échap­per (la sit­u­a­tion fait l’homme !) et que j’étais en totale con­tra­dic­tion avec mes con­vic­tions et mes actions, j’ai essayé de trou­ver un endroit où je pou­vais dia­loguer avec les gens et les emmen­er ailleurs ; la scène m’a paru un bon endroit, ain­si qu’un espace de lib­erté for­mi­da­ble. Mais je ne fais pas ce méti­er pour « faire du théâtre ». J’essaie d’inventer des sit­u­a­tions qui me per­me­t­tent de retrou­ver les valeurs aux­quelles je crois, avec le pari de créer des expéri­ences de vie dans lesquelles embar­quer tout le monde dans une aven­ture col­lec­tive où cha­cun peut apporter son con­tenu et où nous allons con­stru­ire ensem­ble une forme tou­jours en mou­ve­ment. Pour moi, c’est ça la philoso­phie, c’est la recherche, le doute, le bégaiement, le devenir, le mou­ve­ment de la pen­sée qui s’accompagne du mou­ve­ment du corps… Le jeu de l’acteur ne m’intéresse pas en soi, ce n’est pas ma ques­tion.

ID
Faire d’une inter­ro­ga­tion philosophique l’objet même du spec­ta­cle était au cœur de la trilo­gie des SMATCH, créés au Kun­sten­fes­ti­valde­sarts en 2009 et 2011 pour les deux pre­miers, et au Manège de Mons en 2013 pour le troisième.

DR J’y ai dévelop­pé plus formelle­ment le fait d’amener la pen­sée sur scène et de la partager avec un pub­lic, en met­tant en place un dis­posi­tif d’actions qui per­me­tte aux gens de penser par eux-mêmes, de faire des liens pen­dant qu’ils assis­tent à la représen­ta­tion. Ce sont les traces qui restent de mes pre­mières ren­con­tres avec les grands péd­a­gogues que j’ai évo­qués plus haut. Je cherche à obtenir chez les spec­ta­teurs une mise en mou­ve­ment de la pen­sée, à action­ner leur poten­tiel de créa­tion. SMATCH[1] touchait à la manière dont les croy­ances s’organisent pour finir par devenir la réal­ité elle-même. SMATCH[2] par­lait de la ques­tion de la vie même de l’homme et de son déracin­e­ment, à tra­vers sa rela­tion sen­si­ble aux végé­taux et à la terre. SMATCH[3] par­tait de l’anatomie pour inter­roger la force et la fragilité de notre con­di­tion humaine face aux pou­voirs qui s’exercent sur les corps comme sur les esprits.

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Dominique Roodthooft
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Isabelle Dumont
Actrice, créatrice de spectacles et de conférences scéniques, chercheuse curieuse, Isabelle Dumont a été interprète...Plus d'info
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