À la recherchede perspectives kõkamõu

Entretien
Théâtre

À la recherchede perspectives kõkamõu

Entretien avec Luiz Davi Vieira Gonçalves

Le 19 Juil 2021
Rituel yanomami, Aldeia Maturacá, Amazonas, 2017. Photo : Maryelle Inácia Morais Ferreira.
Rituel yanomami, Aldeia Maturacá, Amazonas, 2017. Photo : Maryelle Inácia Morais Ferreira.

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Rituel yanomami, Aldeia Maturacá, Amazonas, 2017. Photo : Maryelle Inácia Morais Ferreira.
Rituel yanomami, Aldeia Maturacá, Amazonas, 2017. Photo : Maryelle Inácia Morais Ferreira.
Article publié pour le numéro
Couverture du numéro 143 - Scènes du Brésil
143

Luiz Davi Vieira Gonçalves est per­former, met­teur en scène, anthro­po­logue et pro­fesseur de Licen­ciatu­ra en théâtre1 à l’Universidade do Esta­do do Ama­zonas (Uni­ver­sité de l’État d’Amazonas). Il dirige le groupe de recherche Tabi­hu­ni enreg­istré au CNPq. En qual­ité d’artiste-anthropologue, comme il se définit lui-même, il a tra­vail­lé pen­dant plusieurs années avec les Yanon­a­mi, sous-groupe des Yanoma­mi, dans la région du Mat­u­racá dans l’Alto do Rio Negro, en Ama­zonie, à la fron­tière du Brésil avec le Venezuela. En cher­chant à com­pren­dre les pra­tiques cor­porelles mis­es en œuvre dans le cadre de rit­uels indigènes, il a été pro­fondé­ment affec­té par l’univers du groupe en ques­tion au point que cela a entraîné de pro­fondes trans­for­ma­tions dans ses pra­tiques artis­tiques et péd­a­gogiques.

Bris­er le lan­gage pour touch­er la vie,
c’est faire ou refaire le théâtre.
Antonin Artaud

Vous êtes enseignant à l’université et directe­ment engagé dans la for­ma­tion de pro­fesseurs de théâtre qui auront un rôle à jouer au sein des cycles d’enseignements pri­maires et sec­ondaires. Qui sont ces jeunes étu­di­ants, et quelle est la moti­va­tion qui les amène à rechercher cette for­ma­tion ?

Quels élèves nous avons et quelle for­ma­tion nous voulons ? Ici, à Man­aus, c’est le cœur de nos ques­tion­nements. Nous avons réu­ni dans la for­ma­tion des élèves com­plète­ment dif­férents les uns des autres. Il y a l’étudiant qui vient parce qu’il veut jouer à la télé. Il y a celui qui vient de ter­ri­toires éloignés des grands cen­tres urbains et qui cherche une pre­mière for­ma­tion dans le domaine des arts parce que, dans sa ville d’origine, il a côtoyé des formes spec­tac­u­laires tra­di­tion­nelles, par exem­ple. Et main­tenant, depuis env­i­ron trois ans, nous recevons un autre pro­fil d’étudiants au sein de l’université : des indigènes, qui sont en train d’arriver en nom­bre. Par­mi eux, il y a ceux qui sont nés en ville et qui ont déjà eu quelques infor­ma­tions sur l’enseignement du théâtre ; ceux qui ont reçu une for­ma­tion de base au vil­lage, ou par­fois au sein d’écoles, sou­vent salési­ennes, dans la ville la plus proche ; ceux enfin qui vien­nent directe­ment d’une com­mu­nauté amérin­di­enne et qui ne par­lent pas por­tu­gais. Ces étu­di­ants, en arrivant dans les grandes villes, vivent des expéri­ences très lour­des, car, avec ce change­ment de ter­ri­toire, ils ont beau­coup d’informations à assim­i­l­er en même temps. Il existe égale­ment une forte présence du mou­ve­ment noir dans nos cours, avec des étu­di­ants quilom­bo­las2. Ain­si, nous avons un groupe d’étudiants dont l’envergure, par sa plu­ral­ité, est mer­veilleuse. Mais cette enver­gure implique beau­coup d’attention et de réflex­ion lorsque l’on tra­vaille sur notre struc­ture péd­a­gogique. Il y a quelque temps, j’ai été con­tac­té par Célia Bet­ti­ol, une pro­fesseure en Sci­ences de l’éducation d’ici. Comme elle avait accom­pa­g­né mon tra­vail avec les Yanoma­mi, elle m’a pro­posé de dévelop­per un pro­jet que nous avons appelé « Dia­logues Inter­cul­turels ». Notre idée a été de met­tre en pra­tique, en tant que méthodolo­gie, la notion kõkamõu qui sig­ni­fie « agir ensem­ble, d’un com­mun accord » dans la langue des Yanoma­mi. Avec une pro­fesseure en lin­guis­tique, Jei­viane Jus­tini­ano, qui con­naît des langues indigènes, nous avons com­mencé à tra­vailler à par­tir du domaine des arts et de l’anthropologie pour con­solid­er un pro­jet inti­t­ulé « Tecen­do Diál­o­gos Inter­cul­tur­ais » (« Tiss­er des dia­logues inter­cul­turels ») et, surtout, pour penser la manière dont nous pour­rions tra­vailler avec ces indigènes qui arrivent à l’université.
Nous avons vingt indigènes dans le pro­jet, et six tuteurs blancs. Ensem­ble, nous agis­sons dans une per­spec­tive kõkamõu, c’est-à-dire qui prend en con­sid­éra­tion de la même manière les réal­ités de toutes les par­ties prenantes, et réfléchissons à la façon d’accueillir toute cette diver­sité et de dévelop­per des activ­ités qui aident à faire que leur présence ici soit réelle­ment effec­tive. Et ce, sans leur impos­er un mod­èle. Notre inten­tion est d’intégrer les par­tic­u­lar­ités de la cul­ture indigène et de remet­tre en ques­tion le cadre par­fois ver­ti­cal de l’université.

Com­ment conçois-tu l’enseignement du théâtre à l’adresse de ces étu­di­ants ? Quels sont les con­tenus prévus dans cette for­ma­tion ?

Il y a une base préétablie : nous abor­dons des auteurs comme Stanislavs­ki, Brecht, etc. Il existe de grandes ten­sions entre nous, pro­fesseurs, lorsqu’il s’agit de pré­par­er les cours et de penser les con­tenus péd­a­gogiques. On m’a déjà dit en réu­nion « non, là tu par­les d’anthropologie, ce n’est pas du théâtre » parce que je voulais, notam­ment, penser l’expression cor­porelle à par­tir d’une per­spec­tive indigène. Par exem­ple, j’aimerais tra­vailler cos­mologique­ment le thème du corps. Plutôt qu’enseigner la nota­tion Laban, je préfèr­erais inviter un indigène tukano qui fait son doc­tor­at en anthro­polo­gie pour qu’il nous explique la notion cos­mologique du corps et que nous essayions de l’expérimenter tous ensem­ble.
Ce genre de choix génère des ten­sions et néces­site donc du tact. Nos col­lègues sont jeunes, par­fois nous nous trompons, mais nous accep­tons les erreurs. Et c’est vrai­ment bien parce que, d’une cer­taine manière, nous sommes en train de réus­sir à pren­dre en compte ces per­spec­tives davan­tage plurielles que l’Amazonie nous demande.
Mais je con­sid­ère que c’est encore trop peu. J’aimerais que ce dia­logue soit plus ouvert et plus récur­rent. Nous pour­rions par exem­ple créer un con­cours pour recruter un enseignant indigène qui serait force de propo­si­tions et dont la péd­a­gogie serait plus adap­tée à nos dif­férentes for­ma­tions. C’est quelque chose que je revendique. Mais je pense qu’on doit avancer pas à pas.

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