« Je ne pense covid qui nous sépare. » On a vu émerger ce slogan dans les rues de Bruxelles pendant le confinement, évoquant l’état d’impuissance sidérée dans laquelle 2020 nous a plongé.e.s. Covid, la petite dernière de la série noire des crises sanitaires, sociales, écologiques, financières a bien enraciné les principes d’une logique de fractionnement. Celle-là a creusé l’écart dans la répartition des ressources et des richesses, des pertes et des bénéfices, accentué les inégalités en précarisant et en invisibilisant à l’extrême des communautés entières de vivant.e.s, déroulé le tapis rouge à des expert.e.s capables de vomir des chiffres déshumanisants et de nous confronter à des dilemmes vides de sens : la vie ou l’économie ?
Comment réagir face à de telles situations d’urgence ? Et quels moyens se donne-t-on pour résister aux « alternatives infernales1 » ? On ne peut répondre à ces questions depuis un prisme strictement artistique, on se place forcément comme acteur.rice d’un contexte plus global. Et il s’agit de trouver le juste équilibre entre plusieurs temporalités et lignes de front : pallier aux incuries, s’impliquer dans des solutions directes et immédiates et/ou mettre à contribution ses outils esthétiques pour renouveler la bataille des imaginaires et tenter d’apporter une réponse décente, durable, à cette crise de nos relations existentielles au vivant.
Des dispositifs de solidarité capables de répondre aux urgences sociales et sanitaires provoquées par l’épidémie de Covid ont été mis en place pour combler les manquements des pouvoirs publics. Des expériences auto-gestionnaires ont montré qu’on pouvait détourner une conception autoritaire du pouvoir ; une intelligence collective de non expert.e.s s’est solidifiée démontrant qu’on pourrait prendre congé de la vision économique dominante qui distancie et isole. Qu’est-ce alors qu’agir en tant qu’artiste ? L’enjeu des situations de destruction dépasse celui d’un renouvellement des statuts et des formes. Plutôt que de faire de ces expériences de nouveaux spectres, peut-on rendre tangibles leurs potentialités ? Faire exister et perdurer les lieux d’entraide et les pratiques de partage qui ont vu le jour, en garder la trace, faire mémoire en donnant à écouter la multitude des témoignages et des récits qui s’écrivent en marge d’un discours officiel prisonnier d’une conception néolibérale. Plutôt que de compter les mort.e.s, c’est de ces expériences qu’il nous faut nous contaminer pour nous réapproprier l’espace et la vie publiques. (Ré-)habiter le vide qui (nous) sépare, renforcer nos alliances et dessiner une nouvelle carte de répartition des forces.
Des situations d’attention et d’écoute comme valeurs politiques
La plateforme Loop‑s est née d’un premier projet, Approche, que j’ai mené avec Laurie Bellanca et Luce Goutelle, et qui s’est déroulé à la fin de l’année 2015 dans six cafés de six communes de Bruxelles. Les auditeur.rice.s rassemblé.e.s dans les cafés entendaient, par le biais d’ondes hertziennes émises par des radios FM posées sur les tables, les récits de bruxel-lois.e.s avec qui nous nous étions entretenu.e.s au sujet de leurs techniques d’approche. Nous avions rencontré des personnalités très diverses : un homme sage-femme, une adepte du spiritisme, un éthologue, un lobbyiste, la doublure de Naruto… Approche s’est déroulé en décembre, juste après les attentats consécutifs de Paris et Bruxelles suivis du lockdown. Quand la ville s’est retrouvée occupée par les chars militaires, la place de la Bourse métamorphosée en mémo-rial des victimes : alors que les informations déglutissaient du repli sur soi, nous enregistrions les voix des habitant.e.s de Bruxelles sur les différents langages qu’iels mettaient en œuvre, parlés, écrits, corporels, rituels, pour aller au devant de l’autre, aborder et entrer en relation avec l’inconnu. Avec les habitué.e.s ainsi qu’une petite communauté de complices et de curieux.se.s et qui nous accompagnait et s’augmentait de soir en soir, nous avons réinvesti café, bar et bistrot comme théâtres de petites expériences et de temps partagés.