Simon Werle est écrivain et traducteur. Il a traduit en allemand L’HERITAGE, DES VOIX SOURDES, LA NUIT JUSTE AVANT LES FORÊTS, COMBAT DE NÈGRE ET DE CHIENS, DANS LA SOLITUDE DES CHAMPS DE COTON, LE RETOUR AU DÉSERT ET ROBERTO ZUCCO.
Il est également l’auteur de traductions versifiées de quatre tragédies de Racine et du TARTUFFE. Sa version de PHÈDRE a été créée dans une mise en scène de Peter Stein en 1987.
Anne-Françoise Benhamou : Comment avez-vous été amené à traduire en allemand, après PHÈDRE de Racine, le théâtre de Koltés ?
Simon Werle : La première pièce que j’aie traduite, c’est DANS LA SOLITUDE DES CHAMPS DE COTON. C’étaient mes débuts de traducteur de théâtre. PHÈDRE n’avait pas eu encore de retentissement. Je n’étais pas spécialisé en théâtre — avant, j’avais traduit Victor Segalen et Michel Leiris — mais j’avais envie de continuer. Et j’ai vu, dans un tout petit théâtre de Munich, par hasard, une représentation de COMBAT DE NÈGRE ET DE CHIENS, mis en scène par Gunnar Klattenhoff. Quelques années après, j’ai fait une nouvelle traduction de la pièce. Mais j’avais été frappé, dès cette première rencontre, par la force singulière du texte.
Ce qui m’attirait, dans COMBAT DE NÈGRE ET DE CHIENS, C’est justement ce problème de l’intraduisible, avec la présence de la langue ouolof ; c’est cette façon d’amener en scène un univers vraiment inconnu, tout à fait incompréhensible pour des Européens — un monde qui tourne autour d’une force secrète, comme, dans COMBAT DE NÈGRE ET DE CHIENS, ce nom secret du mort qui est toujours présent sans être jamais révélé.
Je voyais là une mythologie qui ne relevait pas d’un « compte rendu » de la part de l’auteur, mais qui avait une efficacité et offrait des perspectives véritablement différentes de celles des Blancs.
Dans cette pièce, il y a déjà un découpage assez net entre des passages plutôt « naturalistes » — Léone parlant de ses chaussures — et une parole dont le statut est autre, comme cette tirade d’Alboury sur les gens séparés du soleil par un petit nuage — avec ce mythe de la cohésion de la race noire.
A.F. B. : Comment rendez-vous compte de ce partage en traduisant ?
S. W. : Je tente avant tout de saisir le rythme des phrases ; la phrase est mon unité de traduction, au risque parfois de perdre de vue la pièce dans son ensemble, ou même une scène… Mais c’est un moyen de rester très près des microstructures ; j’écoute les résonances des mots français et celles des mots allemands pour voir si elles ne « jurent » pas — ce qui arrive souvent. Je fais beaucoup de versions, puis j’opère un tri. Mon travail concerne moins une compréhension dramaturgique que ces choix qui visent à éliminer les interférences et à recréer une certaine musique que je crois entendre. Et il y a là le risque de sentir un rythme particulier là où il n’existe pas, un rythme qui pourrait être naturel à la langue française, bien que moi, je le croie exotique.
A.F. B. : DANS LA SOLITUDE DES CHAMPS DE COTON est un texte plus « homogène » que COMBAT DE NÈGRE.