Les sens du masque

Théâtre
Réflexion

Les sens du masque

Le 21 Mar 2020
Coiffe Paxe-Akyhetara, Brésil, Amazonie, Collection du Musée international du Carnaval et du Masque de Binche, Belgique.

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Coiffe Paxe-Akyhetara, Brésil, Amazonie, Collection du Musée international du Carnaval et du Masque de Binche, Belgique.
Article publié pour le numéro
Couverture du numéro 140 - Les enjeux du masque
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L’universalité du masque et son usage depuis des mil­lé­naires amè­nent à penser qu’il est intime­ment lié à la ques­tion de l’identité et à la néces­sité de se représen­ter, de se définir par rap­port à l’autre. Le masque est, par essence, social : il trans­met les règles de la société (à tra­vers la hiérar­chie sociale, le rôle des gen­res, la rela­tion homme-ani­mal, la rela­tion homme-être suprana­turel, la rela­tion nature-cul­ture) soit en les met­tant en scène, soit en per­me­t­tant de les enfrein­dre. Le masque peut jouer aus­si un rôle d’exutoire, en per­me­t­tant d’évacuer les émo­tions, les con­traintes de la société et en lais­sant place à la satire. Par un effet de cathar­sis, un équili­bre sain est ain­si main­tenu dans la com­mu­nauté et le cycle de l’année peut repren­dre place.

Les sens du masque
Le masque est habituelle­ment défi­ni comme « un faux vis­age, dont on se cache la fig­ure pour se déguis­er »1. Selon cer­tains, éty­mologique­ment, le terme mas­ca serait dérivé du vieil italique et sig­ni­fierait un être hideux, mal­faisant. Selon d’autres, il proviendrait du mot arabe maskhara (mashara), qui sig­ni­fie « fal­si­fi­er », « se trans­former » en ani­mal, en mon­stre ou en un être extra­or­di­naire2. Le mot msk était util­isé par les Égyp­tiens du Sec­ond Empire pour désign­er le cuir, vu comme une sec­onde peau. Il est prob­a­ble que ce mot est ensuite entré dans le lan­gage arabe sous la forme msr. L’usage des ter­mes maschera en ital­ien, mask en anglais, masque en français, sug­gère une même orig­ine. Le terme au sens strict désigne un objet placé devant le vis­age, sur la tête ou qui englobe celle-ci et qui trans­forme l’apparence de son por­teur. Mais il con­vient d’étendre davan­tage la déf­i­ni­tion, puisque le masque n’est générale­ment pas util­isé isolé­ment, et ne peut donc être con­sid­éré sans le cos­tume, les acces­soires, les instru­ments de musique ou le rit­uel qui l’accompagnent. 

Le masque, s’il est uni­versel, révèle une affil­i­a­tion eth­nique, typologique et mor­phologique, qui fait transparaître une appar­te­nance iden­ti­taire. En ce qui con­cerne la zone géo­graphique européenne, on note ain­si, mal­gré les spé­ci­ficités liées à chaque com­mu­nauté, des stéréo­types scéniques qui se répè­tent et se retrou­vent de la Pologne au Por­tu­gal, de l’Irlande à la Grèce. Ceci amène à penser que les rit­uels masqués en Europe sont issus d’un fonds cul­turel com­mun, dont l’étude est ren­due d’autant plus intéres­sante que les car­navals en Europe con­nais­sent un regain d’intérêt et de par­tic­i­pa­tion depuis une quar­an­taine d’années. La rai­son en est notam­ment qu’en réponse à l’uniformisation et à la glob­al­i­sa­tion générale qui car­ac­térisent l’époque actuelle, la réaf­fir­ma­tion des iden­tités cul­turelles s’impose de plus en plus comme indis­pens­able et inévitable. Nou­veau cheval de bataille pour cer­tains, sujet maintes fois répété pour d’autres, le con­cept d’identité cul­turelle, dont le masque s’empare, est plus que jamais une notion d’actualité.

La ques­tion de l’identité et du rap­port à soi et à l’autre est un thème cen­tral dans les tra­di­tions masquées3. Le port du masque peut ain­si être vu comme une forme d’exutoire libéra­teur de sen­ti­ments pro­fonds que l’on n’exprime pas néces­saire­ment en temps nor­mal. La méta­mor­phose du corps par le déguise­ment invite égale­ment à la trans­for­ma­tion de l’individu, ce dernier pou­vant ain­si, par exem­ple, devenir le récep­ta­cle de forces divines ou sur­na­turelles. Lors des rites masqués, place est faite pour un temps à l’inconscient indi­vidu­el et col­lec­tif, au rêve et aux pul­sions de vie et de mort. C’est aus­si sou­vent un moment où l’ordre social et les valeurs tra­di­tion­nelles sont ren­ver­sés, des excès en tout genre étant per­mis : la con­som­ma­tion d’alcool, sou­vent sujette à tabou dans la lit­téra­ture, par­ticipe de cette même logique et la facilite. Cette péri­ode de fête per­met ain­si, par un effet de délivrance, de main­tenir un équili­bre sain dans la société.

L’essence sociale du masque
Le masque est social par déf­i­ni­tion4. Out­il de com­mu­ni­ca­tion, le masque peut égale­ment sup­pléer au lan­gage ver­bal. Masques et cos­tumes ser­vent ain­si à la dif­fu­sion d’un ou plusieurs mes­sages, et s’accompagnent d’éléments annex­es tels que la musique, la danse, le lan­gage ver­bal, qui font par­tie entière du per­son­nage ain­si créé. La charge sym­bol­ique du masque est telle que son mes­sage peut être mul­ti­ple. L’ensemble d’une société peut édu­quer, con­di­tion­ner, trans­met­tre, ordon­ner, sanc­tion­ner, sex­u­alis­er par le masque, même si celui-ci relève d’un univers a pri­ori majori­taire­ment mas­culin5

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Clémence Mathieu
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Clémence Mathieu
Directrice du Musée International du Carnaval et du Masque (MÜM) de Binche.Plus d'info
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