Thème avec variations

Théâtre
Réflexion

Thème avec variations

Le 15 Mar 2020
Masques populaires roumains. Photo Mircea Cantor.

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Masques populaires roumains. Photo Mircea Cantor.
Article publié pour le numéro
Couverture du numéro 140 - Les enjeux du masque
140

Les Vari­a­tions Gold­berg… com­bi­en de fois ne les ai-je pas écoutées ? J’aime ces « vari­a­tions » car, comme au théâtre ou dans la pein­ture, elles pro­curent le plaisir de la coex­is­tence du motif comme socle et de l’éparpillement de ses vari­antes, de la sécu­rité du même et la lib­erté du dif­férent qui, par­tant, se démul­ti­plie, se dis­perse, danse. Ain­si on se perd sans se per­dre puisqu’on peut revenir, retrou­ver ce qui per­dure et, tout à la fois, se réjouir de ce qui se trans­forme. Rela­tion en mou­vance sous la pres­sion des deux ter­mes con­traires ! Aujourd’hui le thème, c’est le masque, via les vari­a­tions liées à quelques sou­venirs con­servés après des ren­con­tres mémorables. Le masque et les masques ! 

Des Trois Sœurs – le spec­ta­cle prago­is de Otomar Kre­jča – une scène porte la mar­que indélé­bile des masques ! Au IIe acte, pour la fête du Mar­di gras russe est prévue une assem­blée des amis invités à danser, chanter et se dis­traire dans la cap­i­tale de l’ennui que les sœurs ne rêvent que de désert­er, une fois passés les musi­ciens por­teurs de vœux ! Mais la femme d’Andreï, Nat­acha, qui vient de s’immiscer dans le foy­er, annule les réjouis­sances et les invités sont écon­duits l’un après l’autre. Et le salon où l’on avait exalté au Ier acte l’anniversaire de la sœur cadette Iri­na est désor­mais un espace dés­espéré­ment vide, vidé par cette « Lady Mac­beth » qui a pris le pou­voir et s’instaure en maîtresse indue des lieux. La mélan­col­ie s’empare des êtres et de la mai­son. Une défaite… mais lorsque l’abandon ne laisse plus aucun espoir, à la porte sur­gis­sent « les masques » – intu­ition géniale de Kre­jča – masques grotesques et com­pos­ites, les masques des céré­monies vil­la­geois­es qui effraient et ani­ment des éner­gies prim­i­tives, immaîtrisées. On leur inter­dit l’accès, mais le groupe s’immobilise sur le seuil dans un arrêt sur image inquié­tant, sauvage et menaçant ! Univers des masques que l’on refoule ! 

J’ai con­nu ces masques, j’en ai offert un en cadeau à la Sor­bonne à mes débuts d’enseignant asso­cié. Placé dans la bib­lio­thèque, en le retrou­vant chaque semaine, il me rap­pelait égale­ment l’artisan roumain qui l’avait fab­riqué au nord de la Roumanie, Mr. Popa, et les Trois sœurs de Kre­jča. Car­refour de la scène et de l’Est ! 

Plus tard, une toile d’Ensor admirée avec Matthias Lang­hoff à Brux­elles, ressus­ci­tait la scène de l’entrée des masques ! Fonds com­mun d’une Europe agitée, il y a un siè­cle, par la défer­lante pas­sagère des masques. Le masque est un alpha­bet et un instru­ment de jeu ! 

Le masque mar­qua l’une des scènes fon­da­tri­ces du théâtre français dans l’Âge d’or du Théâtre du Soleil ! Non pas le masque comme out­il de jeu, mais comme option dra­maturgique. Le spec­ta­cle débute dans une travée latérale où, debout, nous suiv­ons les aven­tures d’Arlequin à Mar­seille pen­dant l’épidémie de peste qui rav­agea la ville ! Philippe Caubère déploie, avec éclat, le jeu du servi­teur ayant pour référence le per­son­nage goldonien et, masque à l’appui, il appa­raît tel son suc­cesseur sur les ter­res français­es. Migra­tion de l’art, de Strehler à Mnouchkine… ensuite, la représen­ta­tion se pour­suit dans la grande salle où Arle­quin se con­ver­tit en Abdal­lah qui cette fois-ci joue à vis­age décou­vert ! L’abandon du masque mar­que un change­ment de lan­gage théâ­tral mais, sub­tile­ment, sans con­di­tion : l’un comme l’autre vien­nent d’ailleurs et con­nais­sent les dif­fi­cultés de la migra­tion ! Du jeu avec masque au jeu sans masque – c’est tout un par­cours de serviteur/migrant qui se des­sine ! Com­ment l’oublierais-je ? 

Cela rap­pelle une solu­tion qui a sus­cité des remous dans le con­texte autori­taire du réal­isme social­iste : dans de la mise en scène de Comme il vous plaira, signée à Bucarest par Liviu Ciulei, joue lui – même Jacques le Mélan­col­ique, d’abord paré d’un masque que le per­son­nage retire lorsqu’il cherche refuge dans l’espace affranchi des pro­to­coles de la cour pour s’assumer à vis­age décou­vert. Dis­cours du masque via neg­a­ti­va ! Sac­ri­fi­er le masque, vieux motif philosophique, désigne le rejet de la dis­sim­u­la­tion sociale, l’engagement sur le chemin vers soi-même ! Moti­va­tion légitime pour l’irritation des censeurs ! 

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Georges Banu
Écrivain, essayiste et universitaire, Georges Banu a publié de nombreux ouvrages sur le théâtre, dont...Plus d'info
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